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que les mœurs s'adoucissent, et que l'aisance générale y rend les hommes plus sensibles.

Placée à ces termes, la question tombe dans le domaine du fait. Le publiciste doit en chercher la solution dans l'étude approfondie des faits moraux, dans l'analyse des intérêts, des passions ou des idées qui produisent les crimes capitaux; dans ces solennelles enquêtes chaque jour ouvertes devant les cours d'assises; dans ce sentiment intime du public, expression de la conscience de tous, qui juge les actions criminelles et leur assigne des peines analogues; enfin, dans les effets des châtimens eux-mêmes sur les condamnés. Les utiles travaux de la Statistique criminelle, d'une si heureuse création, et continués avec tant de talent au ministère de la justice, donneront, dans quelques années, un point d'appui nouveau, une base plus solide à cette discussion : les huit années de cette Statistique, publiées jusqu'ici, révèlent déjà une tendance visible à restreindre l'emploi de la peine capitale, même à l'égard des crimes les plus horribles (1);

(1) Si l'on prend pour exemple l'assassinat, on trouve en 1825, 244 accusés, 81 condamnés à mort, 61 à d'autres peines; en 1826, 312 accusés, 88 à mort, 106 à d'autres peines; en 1828, 251 accusés, 56 à mort, 98 à d'autres peines; en 1829, 227 accusés, 52 à mort, 90 à d'autres peines; en 1830, 230 récusés, 46 à mort, 92 à d'autres peines; en 1831, 242 accusés, 35 à mort, 83 à d'autres peines; en 1832, 331 accusés, 48 à mort, 152 à d'autres peines.

et, d'un autre côté, le nombre de ces crimes n'a pomt augmenté à raison de cet adoucissement des châtimens (1). Ces deux faits également graves, l'un comme expression de la conscience publique, l'autre de l'état de la moralité, ne reposent point encore sur une assez longue expérience; il faut que des années les reproduisent dans la même proportion, pour que le publiciste soit fondé à en inférer que la société peut se désarmer sans péril, et que sa sûreté ne sera pas compromise par la suppression de l'échafaud.

Résumons ces diverses considérations. La peine de mort n'est point en elle-même une peine illégitime; elle est dans le droit de la société, mais ce droit est soumis dans son exercice à deux conditions: son efficacité et son actuelle nécessité. L'efficacité de la peine de mort, à l'égard d'une certaine classe de crimes, ceux dont le motif est dans l'intérêt et quelquefois même dans la passion, est incontestable; mais alors même son application peut exciter de terribles regrets. Enfin, sa nécessité actuelle est vivement attaquée, et il faut avouer que des faits graves, des circonstances nouvelles prêtent à ces attaques une force gran

(1) En 1828, 363 accusés condamnés pour assassinat, infanticide, meurtre, empoisonnement; en 1829, 350; en 1830, 322; en 1831, 323; en 1832, 430. Ce dernier chiffre s'explique par les circonstances atténuantes dont l'admission a diminué le nombre des acquittemens.

dissante. Le doute s'est emparé de beaucoup d'esprits; mais le législateur avant d'accorder la suppression définitive, doit attendre qu'elle puisse s'allier avec la sécurité de tous; qu'elle soit adoptée par les mœurs; il ne peut pas devancer la société : il ne peut que la suivre.

Reprenons maintenant la législation.

Lors de la discussion du Code pénal de 1791, p!usieurs orateurs réclaïnèrent avec chaleur l'abolition de la peine de mort l'opinion contraire prévalut; cependant cette discussion dut laisser quelques traces, car, nous trouvons peu d'années après une loi ainsi conçue : « A dater du jour de la publication de la paix générale, la peine de mort sera abolie dans la répu blique française (1). »

La paix arriva, mais la promesse resta vaine : une loi nouvelle du 8 nivôse an 10, déclara que, « la peine de mort continuerait d'être appliquée dans les cas déterminés par les lois, jusqu'à ce qu'il en eût été autrement ordonné. >>

Les procès-verbaux des délibérations du conseil d'état qui préparèrent le Code pénal, ne font mention d'aucune discussion à ce sujet. M. Target fut seulement chargé d'en établir le principe : « La peine de

(1) Loi du 4 brumaire an 4, art. 1.

mort est-elle légitime? Est-elle nécessaire? Ces deux questions n'en font qu'une. Sans nécessité cette peine ne serait pas légitime, et si elle est nécessaire, la légitimité en est incontestable... La peine de mort, en attendant des temps plus heureux est encore nécessaire; et si elle l'est, loin de blesser l'humanité, elle la sert, en conservant la vie à tous ceux que le scélérat aurait immolés encore, à plusieurs de ceux qui seraient tombés victimes de forfaits semblables (1). » Ce jurisconsulte avait cependant posé quelques limites à son application; mais elles furent reculées dans la discussion, et cette peine fut même prodiguée à des délits d'un ordre secondaire; le remède naquit de l'excès même du mal. La répugnance des jurés à envoyer à l'échafaud des accusés qui ne leur semblaient pas mériter une telle peine, fonda la doctrine de l'omnipotence, doctrine pernicieuse au fond, mais qui se produira avec une nouvelle force toutes les fois que les lois répressives cesseront d'être en harmonie avec l'opinion publique. La théorie des circonstances atténuantes n'a fait à peu près qu'enregistrer cette doctrine et lui donner un cours légal. Avant d'examiner ses résultats, n'omettons pas un fait important qui peut donner lieu à de sérieuses réflexions.

L'abolition de la peine de mort fut demandée

(1) Observations préliminaires, Locré, tom. XXIX, pag. 9.

quelques mois après la révolution de 1830, par un député. Cette proposition, à laquelle la prévention qui planait sur la tête des ministres de Charles X, donnait, à la vérité, un intérêt de circonstance, accueillie avec enthousiasme, fut adoptée, séance tenante, à l'unanimité. Le roi, auquel elle fut immédiatement portée, la reçut avec la même faveur; néanmoins elle n'eut aucune suite. La réforme de 1832 ne s'en est souvenue que pour s'en écarter....

Le garde des sceaux s'exprimait en ces termes, en présentant cette dernière loi : « Toutes les fois que l'on s'occupe de législation pénale, la question de l'abolition de la peine de mort est la première et la plus haute qui s'offre à la pensée. Réclamée par des publicistes et des philosophes, sollicitée dans une occasion malheureusement trop mémorable, par la chambre qui vous a précédés, mise en pratique dans quelques pays, l'abolition de la peine de mort est un des vœux les plus ardens de beaucoup d'amis de l'humanité, qui sont divisés cependant sur les moyens de le satisfaire. Le projet de loi a été conçu dans la pensée qu'une abolition totale et immédiate n'est pas praticable. Il est des cas où les crimes sont à la fois si atroces et si dangereux, que de très grands obstacles s'élèveraient dans la plupart des esprits contre l'adoucissement de la peine qui les frappe. Conservée pour des cas qui demeureront très rares, maintenue dans la législation comme un épouvantail pour le crime, la

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