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peine de mort pourra peut-être disparaître plus tard, lorsque la suppression sera devenue en harmonie avec les mœurs publiques. Le projet de loi a pour objet de rendre beaucoup plus rare le recours à cette dernière et lamentable ressource de la société contre le crime (1). »

Le rapporteur de la commission de la chambre des députés est allé plus loin (2) : « Votre commission n'a point soulevé la question de la légitimité de cette peine, question redoutable qui trouble la conscience et embarrasse la raison; mais que résout, contre les doutes de la philosophie et les scrupules de l'humanité, la pratique de tant de peuples et de tant de siècles! Votre commission s'est associée de tous ses vœux aux efforts philanthropiques qui poursuivent l'abolition de cette peine. Mais l'intérêt même de cette cause sacrée que le mauvais succès d'une tentative hasardée pourrait compromettre; l'intérêt de la société qu'on ne peut désarmer de sa protection la plus efficace, sans lui en avoir assuré une autre non moins énergique, quoique moins sanglante, l'état du pays et des opinions, sur lequel la magistrature rend un témoignage unanime, tout nous a déterminés à penser qu'une abolition graduelle était seule raisonnable et possible.

(1) Code pénal progressif, pag. 79.

(2) Ibid., pag. 81.

Et nous avons cru marcher assez avant dans cette voie par l'admission des circonstances atténuan

tes... >>

Ces observations ne sembleraient-elles pas indiquer que déjà, dans l'esprit du législateur, l'abolition de la peine de mort est sinon, une pensée arrêtée, au moins un but lointain encore, mais vers lequel il marche? Il la maintient dans des cas plus rares, mais comme un épouvantail, mais en émettant le vœu d'une prochaine abolition. Il conserve debout la menace et semble promettre ses efforts pour qu'elle ne soit pas suivie d'effets. C'est, enfin, dans l'intérêt même de cette cause sacrée qu'il redoute une tentative hasardée; il n'attend pour l'exécuter qu'une seule chose, c'est que l'expérience ait éprouvé un autre système pénal. C'est cette pensée du législateur, pensée d'incertitude et de doute, qui a formulé la théorie des circonstances atténuantes.

Cette théorie a des effets très graves dans son application à la peine de mort. Le droit attribué au jury de déclarer, dans tous les cas, les circonstances atténuantes,et le résultat de cette déclaration qui est d'abaisser nécessairement la peine d'un degré, revêt en réalité ce jury d'un pouvoir immense celui de laisser subsister ou d'abolir à son gré la peine capitale. Ainsi, la loi abdique sa puissance; le législateur se dépouille du droit de résoudre cette haute question sociale. C'est au tribunal de douze jurés que cette grande cause de

la politique et de la philosophie vient se plaider. Selon leur conviction du moment, ils vont effacer la peine ou la maintenir. Le législateur l'a inscrite dans la loi, et reste inerte devant l'application; c'est entre les mains des citoyens eux-mêmes qu'il dépose le glaive du bour

reau.

Un tel système peut séduire au premier coup d'œil ; une question s'élève, grave, terrible; elle préoccupe les esprits, le législateur s'abstient; il en abandonne la solution aux simples citoyens qui tour à tour sont appelés aux fonctions de jurés. Il leur dit : « Écartez la peine de mort si vous la croyez illégitime ou inutile. Si vous la croyez indispensable et légitime, laissez appliquer la loi. » Ainsi, c'est une véritable enquête, une enquête solennelle sur l'état de l'opinion publique relativement à cette question. La Statistique en proclamera les résultats.

Mais cette transaction entre le fait et le droit, entre la théorie et l'application, est-elle sans inconvéniens? Le pouvoir exorbitant que le législateur abdique, tombera-t-il toujours entre des mains habiles? Les jurés sont-ils assez haut placés pour juger des quest ons sous lesquelles palpite tout l'avenir social? Ne se laisseront-ils jamais dominer par des préjugés, où des lumières fau ses et incomplètes? ne peut-on pas craindre quela peine de mort ne reste dans la loi comme une arme abandonnée qui ne retrouvera son tranchant que dans les temps de haines et de passions? N'est-ce TOM. I.

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pas enfin trop compter sur les hommes que de leur livrer des peines faibles ou terribles, humaines ou sanglantes, suivant le caprice de leur volonté?

Les peines doivent être égales pour tous; or, cette égalité ne subsiste plus lorsque le choix en est déféré au tribunal mobile de douze hommes pris au hasard dans la foule et qui y rentrent après leur jugement, sans laisser de traces après eux, sans être enchaînés par une responsabilité quelconque, sans lier leurs successeurs par leurs décisions. C'est méconnaître les limites de la mission naturelle du jury, que de donner à sa décision des effets si graves, que d'en faire dépendre une véritable question de législation; car, il ne s'agit pas d'opter entre deux peines de la même nature, plus ou moins longues, plus ou moins rigoureuses, mais de choisir entre la détention et la mort, entre deux peines qu'un abîme sépare. Le même fait, commis avec les mêmes circonstances, sera puni, dans tel ressort, de la peine des travaux forcés seulement, dans tel autre, de la peine de mort.

Sans doute, ces conséquences qui accusent la théorie de la loi, ne doivent point avoir dans la pratique toute la gravité qu'on pourrait en attendre. Les jurés ont plus de tendance à empreindre leurs décisions d'humanité que de rigueur, et s'ils doivent abuser de la puissante faculté qui leur est donnée, il est permis de croire que ce sera plutôt pour affaiblir les peines que pour les aggraver. Déjà plusieurs de leurs verdicts ont

révélé une opinion assez générale pour l'abolition de la peine capitale; et cette doctrine s'est manifestée avec éclat lorsqu'il s'agissait même de sévir contre des crimes atroces (1). On peut en trouver les motifs soit daus la douceur de nos mœurs, soit dans cette idée qu'une civilisation plus grande, une aisance plus générale, rendent les hommes plus sensibles à des peines moins graves, soit enfin dans les idées libérales qui peu à peu ont conquis toutes les classes de la société.

La peine de mort, telle que la loi l'a faite, pourra donc, lorsqu'elle sera appliquée, être entachée d'inégalité, parce que la distribution de cette peine aux mêmes faits, n'a point de règle fixe.

Tels sont les termes dans lesquels se résume cette

(1) D'après les relevés de la statistique criminelle, il y a eu sur un nombre à peu près identique d'accusations capitales, en 1825, 134 condamnés à mort, 156 en 1826, 109 en 1827, 114 en 1828, 89 en 1829, 92 en 1830, 105 en 1831, 90 en 1832. En 1833, ce nombre n'a pas excédé 40. Les neuf premiers mois de 1834 don nent un résultat plus faible encore. Nous devons ajouter ici que le pouvoir lui-même intervient fréquemment pour commuer la peine aussi en 1825, sur 134 condamnations contradictoires, 111 exécutions ont eu lieu; en 1826, sur 156 condamnations, 111 exécu▴ tions; en 1827, 76 sur 109; en 1828, 75 sur 114; en 1829, 60 sur 89; en 1830, 38 sur 92; en 1831, 25 sur 105; en 1832, 41 sur 90. En 1833, le nombre des exécutions n'a pas excédé 20; en 1834, il n'atteindra probablement pas ce chiffre.

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