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grande question. Nous avons dû nous borner à dessiner rapidement les traits principaux de cet immense débat: on voit qu'il se réduit à une question de fait, disons plus, à une question de temps et d'opportunité. L'opinion de Beccaria toujours combatiue, toujours vivante, a été comme un germe que les années ont développé : érigée en loi à la Louisiane, déjà puissante dans d'autres états, un jour peut-être elle dominera nos codes; et nos législateurs, au lieu de la combattre, se bornent à en ajourner l'application.

Le législateur a supprimé la mutilation qui précédait, dans le code de 1810, la mort du parricide: il a proclamé que ce supplice était une inutile barbarie. Pourquoi donc a-t-il conservé cette étrange disposition qui prescrit de conduire le condamné pour parricide, sur le lieu de l'exécution, en chemise, nupieds et la tête couverte d'un voile noir? Pourquoi le laisser exposé sur l'échafaud, en attendant la mort, pendant que l'huissier fait la lecture de l'arrêt de condamnation? Cette disposition, quoique modifiée, est encore une barbarie. « Le principe éternellement vrai de la gradation des peines, disait à ce sujet M. Berlier au conseil d'Etat (1), ne saurait s'étendre à différencier et à graduer le mode d'infli

(1) Locré, tom. XXIX, pag. 115.

ger la peine de mort; la justice qui établit des punitions, et la justice sociale qui veut des exemples, sont également satisfaites quand le coupable meurt (1).» N'est-ce donc pas une aggravation de supplice que cette translation en chem se, ces pieds nus, ce voile noir sur la tête? Faut-il encore prolonger l'agonie de la victime pendant l'inutile lecture de l'arrêt de condamnation! On veut inspirer de l'horreur, on inspire de la pitié; un tel spectacle outrage l'humanité et révolte les spectateurs.

Nous passons aux peines perpétuelles.

L'assemblée constituante avait proscrit les peines perpétuelles : elle les regardait comme plus terribles que la mort même qu'elle conservait dans la loi. La peine de 24 années de fers était la plus forte du Code pénal du 29 septembre 1791, après la peine de mort. Ce système de répression fut attaqué en 1810:

« L'assemblée constituante, disait M. Target, par un sentiment d'humanité digne de respect, sans doute, mais dont la sagesse n'a pas été prouvée par l'expérience, avait posé en règle que nulle peine ne serait

(1) Ultimum supplicium esse mortem solam interpretamur, disait la loi romaine, texte qui semble avoir été paraphrasé par Montaigne quand il dit : En la justice même, tout ce qui est au-delà d la mort me semble cruauté. »

perpétuelle. Tous les criminels qui n'étaient pas frappés de mort avaient en perspective un terme fixe qui, pour les ames profondément dépravées, annulle presqu'entièrement l'effet de la peine. Il faut que les actions qui, dans l'ordre des crimes, suivent immédiatement ceux auxquels la mort est infligée, ne laissent point de délivrance à prévoir : sans cela les gradations ne seraient point observées, l'échelle des peines ne serait plus correspondante à celle des crimes, et la proportion serait rompue (1).

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Ces argumens ont été à peu près reproduits en 1832, par le rapporteur de la chambre des députés, lors de la discussion de la loi modificative du code pénal:

<< La perpétuité des peines, a-t-il dit, retranche du monde un être incorrigible; elle épargne à ses semblables et à lui-même les nouveaux forfaits auxquels d'indestructibles habitudes l'avaient en quelque sorte prédestiné. Elle rassure la société en dissipant l'alarme que le crime avait causée, et en prévenant celle que le retour du criminel ferait naître. Les peines perpétuelles ont aussi un puissant effet d'intimidation : elles sont une imitation de l'éternité des supplices, et l'idée de l'éternité des supplices saisit fortement les imagi

(1) Observations de M. Target, Locré, tom. XXIX.

nations. Elles seront la transition entre la peine de mort et les peines temporaires. Retranchez-les, et l'échelle pénale présentera un intervalle immense, sans correspondance avec l'échelle des crimes. Combien de crimes, en effet, pour lesquels la peine de mort est trop sévère et les peines temporaires trop indulgentes! Moins inquiétantes pour le jury qu'une peine irréparable, plus effrayante pour les coupables qu'une peine dont ils espèrent voir la fin, les peines perpétuelles ont une efficacité préventive qui leur est propre, et qui doit être conservée (1).

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Notre opinion est également que le principe de la perpétuité des peines doit être maintenu, mais en le modifiant toutefois dans son application, de manière à ce qu'il ne détruise pas entièrement l'un des effets les plus tutélaires de la peine, l'amendement du coupable.

On a surtout reproché aux peines perpétuelles d'achever la démoralisation du condamné. C'est l'espoir, a-t-on dit, de reprendre une place honorable dans la société qui le soutient dans les efforts qu'il fait pour changer ses habitudes et corriger ses penchans. Eprouvera-t-il le besoin d'une réconciliation avec luimême, si la loi le déclare irréconciliable avec la société? N'est-ce pas détruire le repentir dans son germe

(1) Code pénal progressif, pag. 87.

et la réhabilitation morale dans son plus puissant mobile?

A cette objection, plusieurs réponses. Nous avons vu que l'application de la peine de mort, tendait par une pente marquée à devenir plus rare : le pouvoir social rétrécit lui-même les limites dans lesquelles cette peine est resserrée, et dans les cas où elle est encore prononcée, il hésite devant une exécution capitale, et intervient souvent avec la grâce (1). Dans une telle situation, la perpétuité des peines est une nécessité! C'est l'atténuation de la peine de mort; c'est la peine qui seule peut en justifier et en favoriser l'abolition. « Car on serait placé, a dit un criminaliste que nous aurons occasion de citer plus d'une fois, entre deux maux inévitables, celui de ne pas opposer aux crimes un frein assez puissant en leur appliquant des peines inférieures à leurs dangers et à leurs maux, ou celui d'excéder l'intensité dont ils ont besoin, par une application criminelle et plus fréquente de la peine de mort (2). »

Ensuite, le but principal de toute peine est de prévenir les crimes et la perpétuité des peines qui, ainsi que l'a remarqué M. Dumon, saisit fortement l'imagi

(1) V. suprà, pag. 117.

(2) Scipion Bexon, Code de la sûreté publique, in-fol., introduction Ivij.

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