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France, a dit M. Charles Lucas, sur le système désastreux des bagues, dans les conseils généraux des départemens, dans les chambres, dans le gouvernement, enfin dans la nation tout entière (1). » Nous n'avons pas sur ce point une opinion aussi absolue : la peine des travaux forcés a des vices très graves, mais elle possède aussi quelques avantages qu'on ne doit pas contester.

La statistique criminelle a dissipé quelques préjugés que les esprits les plus éclairés avaient admis trop aveuglément. A peine pensait-on qu'il pût sortir des bagnes quelques condamnés qui ne fussent avides de se jeter de nouveau dans la voie du crime; les forçats libérés étaient considérés en masse et sans distinction comme des brigands; la société les rejetait de son sein avec terreur. Ces alarmes étaient exagérées. Il est aujourd'hui établi par des relevés authentiques que le plus grand nombre des condamnés qui tombent en récidive n'appartiennent pas aux libérés des bagnes: il résulte, en effet, des comptes de la justice criminelle, qu'en 1828, sur 100 libérés, 27 seulement sont tombés en récidive; en 1829, 25; en 1830, 30; en 1831, 31; enfin, en 1832, 38. La proportion des récidives, parmi les condamnés à la réclusion qui sortent des maisons centrales, est un peu plus élevée; elle

(1) 1827. Du système pénal, pag. 329.

que

est de 31 sur 100 en 1828; 28 en 1829; 30 en 1830; 32 en 1831, et 39 en 1832. On doit remarquer encore la plupart des crimes commis par les libérés des bagnes, sont d'une nature moins grave que leurs premiers crimes, et surtout sont moins graves que ceux qui sont commis par les libérés des maisons centrales : ces crimes s'adressent plutôt aux propriétés qu'aux personnes. Peut-être doit-on attribuer ces résultats moins au régime des bagnes qu'au caractère des infractions qui généralement y sont punies: ces infractions supposent souvent plus de fougue et d'audace que de véritable corruption.

Cela posé, la peine des travaux forcés doit être examinée en elle-même et abstraction faite des effets quelque peu fantastiques qu'on lui avait prêtés. Elle a deux vices principaux : elle est inégale; car comment en appliquant les condamnés aux travaux les plus pénibles, mesurer la force des individus? Comment distinguer la faiblesse réelle de la faiblesse simulée? « Si le poids de la chaîne, dit M. Livingston, est déterminé par la loi, le faible succombera sous le fardeau que le fort portera sans peine. Si ce point est laissé à la discrétion du geòlier, c'est une source intarissable d'extorsion et de tyrannies subalternes (1).» Elle n'est pas réformatrice : « Dans les travaux pu

(1) Report on the plan of a penal Code, pag. 56.

blics, a observé Bentham, l'infamie de la publicité tend plus à dépraver les individus que l'habitude du travail ne tend à les réformer(1). » On doit ajouter que si les travaux en plein air favorisent l'état physique des condamnés, ils ont pour effet de les corrompre par la facilité des communications qu'ils établis

sent entre eux.

Mais cette peine est essentiellement exemplaire : c'est là son plus grand avantage. Elle intimide, elle inspire l'effroi; l'opinion publique y trouve une expiation suffisante des plus grands crimes. «< Elle offre sans cesse, ajoute M. Scipion Bexon, l'exemple des maux attachés au crime par le spectacle répété des chaînes, des fatigues et des signes honteux de la servitude des coupables (2). » Peut-être est-ce la seule peine qui pût rassurer la société, si la peine de mort devait un jour être supprimée.

Il serait, d'ailleurs, possible de corriger ses inconvéniens les plus graves. Déjà l'ordonnance du 20 août 1828, en séparant les condamnés d'après la durée de leurs peines, a été un pas immense dans cette voie progressive. De nouvelles classifications, basées sur la nature des infractions, quelques améliorations introduites dans l'ordre de discipline intérieure et la

(1) Théorie des peines, pag. 190.

(2) Code de la sûreté publique, introduct.

bagnes, pourraient dépouiller la peine de son effet démoralisateur. Mais en la conservant, il faudrait en limiter l'emploi; le code pénal l'a prodiguée aux attentats les plus divers, aux crimes contre les personnes et contre les propriétés, à des infractions qui ne révèlent qu'une immoralité fort douteuse c'est la base de ses pénalités; il y confond tous les faits sans avoir assez d'égard à leur plus ou moins de gravité, quelles que soient les circonstances caractéristiques qui peuvent modifier leur nature. Ainsi employée, cette peine, au lieu d'être exemplaire, est devenue barbare; en la voyant appliquer à un gardien qui a laissé échapper un prisonnier, aux bigames, etc., l'opinion publique s'est émue de pitié et a accusé la loi. Le législateur doit la réserver pour les crimes qui demandent une solennelle expiation. Devenue plus rare, elle acquerra une puissance de prévention plus grande, et les criminels dont les attentats ont troublé à un moindre degré l'ordre social, seront soumis à l'action plus efficace d'un système pénitentiaire mieux appliqué.

La déportation est la seconde peine perpétuelle.

Cette peine a préoccupé vivement les esprits. Ses partisans vantent son efficacité préventive, qui met la la population métropolitaine à l'abri des entreprises et de la contagion morale des condamnés. Ils lui attribuent aussi la vertu de faciliter l'amendement des

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coupables, en leur ouvrant une carrière nouvelle sous un autre ciel, et de changer à la fois, leur pays, leurs habitudes et leur cœur.

Ses adversaires lui reprochent d'être peu efficace et peu exemplaire. La question a été examinée sous toutes ses faces (1): il nous serait facile d'en résumer les principaux argumens, si cette discussion ne nous semblait pas parfaitement oiseuse. La déportation ne pourrait présenter quelques avantages, qu'autant qu'elle serait appliquée aux individus que la misère ou la perversité a portés au crime; à cette population qui remplit les bagnes, et surtout aux condamnés à temps. Mais alors, c'est un autre système pénal qu'il faut substituer tout entier au système actuel. Dans notre Code, la déportation n'est point une peine générale qui embrasse tous les délits d'une certaine gravité; c'est une peine spéciale, ré, servée à un petit nombre de délits d'une même nature: aux délits politiques.

(1) Voyages aux Terres australes, par Péron; Observations sur la déportation, par M. de Barbé-Marbois; Théorie des peines; par Bentham, Histoire des colonies pénales, par M. de Blosseville; Appendice au système pénitentiaire, par MM. de Beaumont et de Tocqueville; du Système pénal, par M. Charles Lucas, et Discussion de la loi du 28 avril 1832; Code pénal progressif, pag. 96 et suiv.

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