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« Les crimes d'État qui ne sortent pas d'une ame atroce, disait M. Target (1), mais de fausses idées politiques, de l'esprit de parti, d'une ambition mal entendue, seront efficacement réprimés par un châtiment sévère et sans terme, qui ravit au condamné pour jamais, honneurs, fortune, jouissances, relations, existence civile et patrie. » Ainsi, les rédacteurs du Code pénal n'avaient point eu l'idée d'introduire dans nos lois la transportation anglaise, qui correspond à la réclusion et aux travaux forcés de ce Code; c'était une relégation, non dans une colonie pénale, mais dans une colonie ordinaire, qu'ils avaient voulu établir, et cette peine ne s'appliquait qu'à des crimes qui ne supposent point cette perversité profonde et incorrigible qui alarme la société.

La déportation n'a jamais été exécutée, faute d'un lieu où elle pût être convenablement subie on la commuait arbitrairement dans la pratique en une détention dans un lieu spécial. C'est pour faire cesser cette irrégularité que le gouvernement proposait, en 1832, de substituer la peine qui s'exécutait réellement à celle qui n'avait qu'une existence nominale. On a droit de s'étonner de l'insistance que mirent quelques députés à conserver dans le Code ce mot de

(1) Observations sur le projet du Code, Locré, tom. XXIX, pag. 17.

déportation (1); car, pourquoi tromper le condamné par l'illusion d'une peine qu'il ne doit point subir? et qu'importait à la question générale de la déportation, l'application exceptionnelle de cette peine à quelques délits spéciaux? La seule question que l'on dût discuter était de savoir, si la déportation était appropriée aux crimes politiques qu'elle réprimait, et cette question n'a pas même été effleurée dans la dis

cussion.

Si l'on considère cette peine comme un simple exil dans un lieu spécial, cet exil ne serait point une peine suffisante pour les délits politiques, puisqu'elle ne mettrait point la société à l'abri de la fuite des coupables et de leur retour dans son sein; si, au contraire, on la considère comme une peine réprimante, efficace et propre à préparer la réforme des criminels les plus endurcis, si on l'accompagne d'une surveillance et d'un régime sévères, elle ne convient point encore à ces délits. Nous ne partageons donc pas l'opinion de M. Charles Lucas, qui propose de déporter à Cayenne ceux qui auraient porté atteinte à la liberté de la presse et à la liberté des cultes (2). Restreinte dans des limites aussi étroites, l'utilité de

(1) Voyez les Discours de MM. Delpon, Chalret-Durieu, Odilon-Barrot et Mérilhou; Code pénal progressif, pag. 101. (2) Du système pénal.

cette mesure est plus que contestable. Sous des apparences humaines, elle cache une grande sévérité : l'exil et la déportation doivent être réservés à de grands crimes, car rien n'est plus sensible au cœur de l'homme, que l'éloignement de la famille et de la patrie. Nous concevons la déportation appliquée aux crimes les plus graves, aux hommes les plus dépravés, parce qu'elle délivre la société de la présence de ces coupables incorrigibles; mais cette peine nous paraît bizarrement choisie quand elle ne s'applique qu'à quelques infractions spéciales, qui ne révèlent aucune immoralité intrinsèque.

Nous avons déjà vu que le gouvernement avait proposé de supprimer la déportation.

La Chambre des députés a paru craindre que cette abolition pure et simple ne préjugeât, contre la création future d'une colonie pénale française, le grand problème social qui laisse à examiner cette sorte d'établissement. Elle a voulu conserver une question qui n'était nullement en jeu; elle a maintenu cette peine dans la loi, mais sans en étendre ses étroites limites, et en lui substituant dans l'exécution celle de la détention.

Le dernier paragraphe de l'art. 17 du Code pénal. est, en effet, ainsi conçu : « Tant qu'il n'aura pas été établi un lieu de déportation..... le condamné su« bira à perpétuité la peine de la détention. » Cette substitution d'une détention perpétuelle à la dépor

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tation a soulevé d'énergiques réclamations, qui se fondaient toutefois uniquement sur ce que la première de ces peines semblait plus dure que l'autre (1). A cette objection de fait qui ne pouvait trouver de raison décisive de solution, le rapporteur de la commission répondait : « Le but principal que le législateur doit se proposer, c'est la sécurité de la société. La détention perpétuelle assure cette sécurité. Sans doute, la perpétuité de la peine n'est pas toujours nécessaire. Les circonstances qui changent, les occasions qui fuient, les passions qui s'affaiblissent, les partis qui se dissolvent, l'ordre politique qui s'affermit, tout concourt à diminuer l'importance d'un condamné et les dangers de sa liberté. Mais si tel est l'effet probable du temps, cet effet n'est pas nécessaire; il ne peut ne pas se réaliser. Les annales d'un pays voisin ne nous offrent-elles pas l'exemple de conspirations héréditaires qui ont occupé et agité des siècles entiers?.... D'ailleurs, ce n'est pas seulement pour la répression immédiate du crime, par l'impuissance temporaire ou perpétuelle à laquelle elles réduisent le coupable, que les peines agissent et protégent la société; elles la protégent surtout par le salutaire effroi qu'elles inspirent La crainte d'une

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1) Voyez les Discours de MM. Roger, de Vatimesnil, Salverte et de Laborde, Code pénal progressif, pag. 103 à 109.

mes,

détention perpétuelle peut refroidir ou décourager des imaginations ardentes, qu'une détention temporaire n'effraierait pas. » On ajoutait encore un motif puisé dans l'esprit du Code pénal. Dans le système de ee Code, les peines se divisent en temporaires ou perpétuelles en matière politique, il y a le bannissement à temps et la déportation à perpétuité; en matière ordinaire, il y a pour les hommes les travaux forcés temporaires et perpétuels, pour les femla réclusion à temps et la réclusion à perpétuité. C'était donc une simple déduction de ce principe que l'institution de la nouvelle peine de la détention à temps et à toujours. Une dernière considération vient encore à l'appui de cette opinion. C'est surtout à l'égard des crimes politiques que plusieurs publicistes éloquens ont sollicité l'abolition de la peine de mort (1). Or, la seule voie de l'obtenir serait de présenter une peine qui assurât la sécurité entière de la société. Une peine temporaire n'aurait pas cet effet ; car le parti politique qui la prononcerait ne serait pas satisfait de l'impuissance momentanée du conspirateur qu'il redouterait. Nous reviendrons tout à l'heure à l'examen de la peine de la détention, considérée en elle-même et non plus comme l'exécution de la déportation.

(1) De la Peine de mort en matière politique, par M. Guizot.

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