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fort exemplaire et fort redoutée des condamnés; sou vent il n'existe aucun moyen plus efficace de donner au châtiment la même publicité qu'au crime, et de rendre préventive et sensible pour tous l'action répressive de la justice. Mais à ces avantages, cette peine joint de graves inconvéniens : elle dégrade le condamné à ses propres yeux ; il peut, avant l'exposition, avoir conservé quelques sentimens de pudeur; il les perd lorsqu'il a été contraint d'affronter les huées de la populace; et le sentiment de son infamie lui ôte la possibilité, comme le désir, de regagner l'estime de ses concitoyens. Quant au public, cette peine qui l'effraie peut aussi le dépraver; elle éteint en lui les sentimens de bienveillance et de pitié; elle le familiarise avec la vue de l'infamie (1). »

Qui n'eût, après ces énergiques paroles, pensé que le projet renfermerait la suppression d'une peine aussi terrible? Il se bornait cependant à en 'modifier la forme matérielle et à en restreindre l'application dans des limites plus étroites. Après avoir dévoilé la plaie, il reculait devant le remède. Il faut connaître la face nouvelle que cette demi-mesure législative a imprimée à la question.

L'exposition publique, exécutée sous des formes diverses, remonte à des temps éloignés. On trouve

(1) Code pénal progressif, pag. 125.

dans nos plus vieilles coutumes, la mention des droits de carcan et de pilori comme faisant partie des droits appartenant aux seigneurs hauts justiciers. Le Code pénal de 1791 supprima le pilori et conserva le carcan. Il créa en même temps l'exposition publique, qui n'est que la même peine affranchie du poteau où le condamné est attaché et de l'isolement où le carcan l'expose. Cette peine devint l'accessoire des fers, de la réclusion, de la gêne et de la détention. En 1810, l'exposition fut supprimée et le carcan maintenu: « Le carcan, disait l'exposé des motifs, isole le condamné, il le laisse seul avec son crime, exposé à toutes les atteintes de la honte, principal ressort de cette peine... On en a rendu, ajoutait l'orateur du gouvernement, l'application plus fréquente, parce qu'on a reconnu son efficacité. »

En effet, cette peine remplissait une place immense dans le système pénal de cette époque : le Code en avait usé avec prodigalité. Elle frappait avec une brutalité aveugle, et sans distinction d'âge ni de sexe, de faute première ni de récidive; elle était la même pour celui qui avait été coupable de violence ou d'entraînement passionné, et pour celui qui avait vieilli dans l'habitude du crime. Le Code l'attachait par un lien indissoluble, non seulement à la peine perpétuelle des travaux forcés, mais aux travaux forcés à temps et à la réclusion. Or en réfléchissant que les peines d'une gravité si différente s'appliquent à des délits que leur TOM. I.

péril et leur moralité séparent d'un immense intervalle, on devait s'étonner de les voir inflexiblement suivies d'une peine invariable, dont le supplice grandit seulement à mesure que la culpabilité descend et s'affaiblit.

Un tel système appelait les regards du législateur. Le premier travail de la révision a été de supprimer complètement la peine du carcan comme peine priucipale: nous venons de voir que la dégradation civique l'a remplacée. Conservée seulement dans le cas d'accession à une autre peine, elle a été réduite à l'exposition publique, reprise à cet effet du Code de 1791. Après cette modification matérielle, il s'agissait de combiner un nouveau système d'application.

On voulut d'abord, au lieu d'attacher cette peine à certaines peines, ne l'adjoindre qu'à certains crimes et ne la rendre accessoire nécessaire que de ceux qui supposent le plus d'infamie. Cette classification ne fut point adoptée: on opposa que les inconvéniens et les avantages de l'exposition tiennent à des circonstances locales et personnelles; et qu'elle peut, appliquée au même crime, ici produire une impression profonde et solennelle, et là n'être qu'un spectacle inutile et dès lors barbare. On proposa ensuite de la réserver pour les peines les plus graves, et d'en affranchir celle de la réclusion. Mais quelques esprits s'effrayèrent de cette restriction; ils pensèrent que la réclusion isolée serait insuffisante à l'égard des vols domestiques et

des vols commis, soit dans les auberges, soit dans les ateliers, soit dans les fabriques. On s'arrêta, alors, dans le projet, à déclarer la peine de l'exposition purement facultative; il fallait que cette peine fût formellement ordonnée par la Cour d'assises : la dispense résultait du silence de l'arrêt : le droit commun était la suppression.

La Chambre des députés conserva ce système de peine facultative, mais elle pensa que la rédaction du projet mettrait trop d'obstacles à l'application de la peine; elle créa la nécessité d'une dispense de la part de la Cour d'assises. L'exposition redevint le droit commun, la dispense une exception qui devait être prononcée. C'était un premier pas qui s'éloignait de l'esprit d'humanité qu'on remarquait dans le projet.

La Chambre des pairs alla plus loin : elle trouva à cette faculté illimitée des inconvéniens graves. Elle craignit que les magistrats n'eussent pas toujours la force morale nécessaire pour infliger une peine dont l'effet est quelquefois si terrible, et ne reculassent devant les conséquences de leur arrêt. Elle pensa que si le législateur peut, dans un grand nombre de cas, fixer avec justice l'application de cette peine, il n'en doit pas laisser peser la responsabilité sur les magistrats. Et ce fut d'après ces principes qu'elle proposa de rendre l'exposition nécessaire à l'égard des condamnés aux travaux forcés à perpétuité et des condamnés en état de récidive, et facul

tative seulement à l'égard des condamnés aux travaux forcés à temps et à la réclusion (1). Cette distinction est devenue définitive dans la loi. Ainsi, l'exposition est encore le droit commun; elle est encore l'accessoire obligé d'une peine, celle des travaux forcés à perpétuité; d'une classe de criminels, les condamnés en récidive; enfin, et d'après l'art. 165 du Code pénal, d'une classe de crimes, les crimes de faux. A l'égard même des condamnés aux peines des travaux forcés à temps et à la réclusion, la dispense n'est pas de plein droit, il faut qu'elle soit écrite dans l'arrêt le silence de cet arrêt soumet le condamné à son exécution. C'est dans ce système nouveau qu'elle doit être examinée. (Art. 22, Code pénal.)

Les inconvéniens de cette peine, ses mauvais effets sur le condamné qu'elle flétrit pour toujours, sur le public qu'elle endurcit et qu'elle déprave par un spectacle d'infamie, ont été retracés avec énergie dans l'exposé des motifs, par le garde-des-sceaux, dont nous avons reproduit les paroles. On peut encore reprocher à l'exposition publique son immorale inégalité qui, agissant en sens inverse de la corruption du condamné, effleure à peine un scélérat incapable de honte, et écrase un malheureux susceptible de repentir. On peut lui reprocher d'être la

(1) Code pénal progressif, pag. 128 et suiv.

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