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moins personnelle de toutes les peines, puisqu'elle atteint et accable par sa publicité même une famille tout entière.

Elle dessèche dans l'ame du condamné le germe de l'amendement moral. Quel espoir reste-t-il à celui qui a été signalé sur une place publique, au mépris et à l'horreur de ses semblables? il est l'objet d'un anathème irrévocable: si la peine ne produisait pas cet effet, son but serait manqué. Ses concitoyens peuvent le plaindre encore, mais la société lui est fermée; il n'a rien à espérer des hommes, et rien à en craindre. Si la défiance et le mépris général lui ôtent jusqu'à la ressource du travail, il n'a plus de ressource que dans le crime c'est la loi qui l'y précipite.

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Enfin, l'exposition est une peine indivisible; elle n'a point de degrés pour les crimes distincts qu'elle flétrit; elle est matériellement la même pour tous. Elle est irrefragable: si l'innocence du condamné vient à éclater, comment effacer l'infamie que la place publique a imprimée à son front?

Quels sont donc les motifs qui ont déterminé sa conservation? M. Dumon les a déduits dans son rapport : « Cette peine a une grande efficacité répressive; elle est exemplaire comme la peine de mort, et n'a pas, comme cette peine, le triste dénouement qui détruit, par la pitié, tous les effets de l'exemple. Elle donne à la sanction pénale la plus imposante publicité, et elle est surtout très redoutée. »

On ne peut nier, en effet, l'exemplarité de l'exposition. Mais cette qualité ne peut à elle seule faire disparaître les nombreuses défectuosités que nous venons de signaler. « Elle est exemplaire, épouvantable, s'écrie M. Rossi; elle ne l'est que trop; mais cette qualité peut-elle racheter l'immoralité de ce moyen de punition, son illégitimité intrinsèque (1) »? L'exposé des motifs l'a déclaré : « Cette peine qui effraie le public peut aussi le dépraver; elle éteint en lui les sentimens de bienveillance et de pitié, et le familiarise avec la vue de l'infamie. » Doit-on acheter si cher une si désastreuse exemplarité?

Elle intimide les coupables; mais elle les dégrade et ferme leur retour à la vertu. Et puis, la terreur est sans doute l'un des effets que l'on doit obtenir en punissant, mais maintenir une peine qui n'a que ce seul effet, c'est embrasser le seul principe de l'utile, abstraction faite de toute justice morale.

On peut concevoir cependant que le législateur ait hésité à désarmer le pouvoir social d'un instrument de répression efficace et puissant. Mais il eût été du moins plus fidèle aux principes qu'il rappelait, aux faits qu'il énonçait, s'il en eût restreint l'application aux seuls condamnés à perpétuité. Ceux-là sont considérés par la loi comme perdus pour la société qui les rejette à jamais elle peut donc les couvrir d'infamie sans

(1) Voyez Traité de droit pénal, tom. III.

un péril trop imminent, puisqu'elle ne doit plus les recevoir dans son sein. Mais n'est-ce pas une déplorable contradiction que d'attacher une indélébile flétrissure à des hommes qui après dix ans, six ans, ans, cinq ans, vont reprendre rang et place dans la société ? d'unir une peine perpétuelle avec une peine temporaire? d'infliger à un criminel quelques années de prison pour qu'il redevienne honnête homme, et de le déclarer en même temps et à toujours infame, de sorte que son repentir même ne puisse effacer son crime?

Nous avons vu les changemens que la rédaction du projet de loi a successivement éprouvés. Le principe, quoique resserré dans des termes plus étroits, est resté le même : c'est la faculté laissée au juge d'infliger la peine ou de la retirer. Peut-être cette investiture du juge est-elle fondée sur une fausse appréciation des limites des pouvoirs. Les peines facultatives, outre qu'elles laissent trop d'arbitraire dans la répression, s'éloignent du principe fondamental de la législation criminelle qui sépare le fait et le droit. La Cour d'assises doit sans doute être armée du pouvoir d'appliquer dans une juste mesure les peines de la loi aux faits déclarés constans par le jury. Mais si elle est investie du droit de prononcer ou de ne pas prononcer telle peine à la même déclaration du jury, il faut admettre qu'elle devra apprécier, rejuger les faits, par conséquent entrer dans le domaine du fait, em

piéter sur les attributions du jury. Ensuite on a exprimé la crainte que le juge ne fût exposé à des soupçons de partialité et à des reproches d'injustice; que ses intentions fussent dénaturées, ses préférences calomniées; qu'on pût imputer à des considérations de fortune ou de famille la dispense de l'exposition publique accordée au repentir on au malheur. Mais il existe un péril plus grave, c'est une inégale distribution de la justice. Les coupables du même crime n'auront pas à supporter les mêmes peines. Et la loi n'impose aucune règle au juge: elle le livre à lui-même, à sa conscience, à ses opinions. Que dans le ressort de telle cour, l'exposition soit regardée par lui comme une peine affligeante et inutile, tous les accusés qu'il peut en affranchir ne la subiront pas. Ensuite, ce système facultatif admis, nous eussions préféré que la cour d'assises fût tenue d'ordonner la peine plutôt que d'en dispenser; que son silence contînt une exemption plutôt qu'une exécution; que le droit commun fût l'affranchissement, l'exception, la prononciation de la peine. Le juge qui prononce une dispense accorde une faveur, et il ne doit point être le dispensateur de priviléges; son silence, au contraire, n'aurait point fait naître la même interprétation. Enfin, il est plus naturel de s'abstenir de prononcer une peine que de motiver une dispense de cette peine. La dernière rédaction de l'art. 22 du Code pénal a multiplié les expositions.

CHAPITRE VI.

Des peines accessoires : Examen de la mort civile

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les mesures elle pourrait être remplacée. Quels droits le gouvernement peut rendre au déporté. De l'interdiction des droits civiques, civils et de famille. — Caractères et effets de cette peine.-De l'interdiction légale des condamnés à temps.- De la surveillance de la haute police: - Caractères distinctifs de cette peine avant et depuis la révision de 1832. —Revue critique de la jurisprudence sur cette matière. Questions transitoires. (Art. 18, 29, 30, 31, 42, 44 à 50 du Code pénal.)

Les peines que nous nommons accessoires sont des incapacités résultant de certains châtimens, plutôt que des peines proprement dites: elles consistent dans la privation de différens droits dont jouissent les membres de la cité; cette privation a plus ou moins d'étendue dans l'application de la mort civile, des interdictions de droits et de la surveillance de la haute police.

La privation des droits civils est une source féconde de pénalités qui, maniées avec habileté et appropriées

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