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au caractère de chaque délit, peuvent souvent être efficaces.

Le Code pénal a donné à cette peine plusieurs degrés. L'interdiction légale n'impose au condamné qu'une seule incapacité il ne peut administrer ses biens. L'interdiction des droits civils peut s'étendre à plusieurs de ces droits, suivant la nature et la gravité du délit. La dégradation civique entraîne un ensemble d'incapacités qu'elle fait peser simultanément sur la même tête. Enfin la mort civile est la privation la plus absolue des droits civils.

La mort civile est un déplorable legs que notre législation a recueilli dans le vaste héritage du droit de Justinien. Les jurisconsultes romains dont les décisions sont devenues les lois de l'univers, se sont parfois égarés dans des fictions où respire la subtilité de l'école plus que la sagesse du législateur. On connaît les rigoureuses déductions qu'ils avaient tirées de cette maxime : mors civilis æquiparatur naturali (1). L'ancien droit français continua religieusement cette douloureuse fiction; toutefois la mort civile ne fut plus que l'accessoire de certaines peines : la condamnation à mort par contumace, et les peines perpétuelles des galères, du bannissement, et de la détention en

(1) L. relegati ff. de pænis.-V. Farinacius, Quæst. crim., t. I, quæ t. 34, no 49.

maison de force l'entraînèrent seules à leur suite (1). Enfin le Code de 1791 l'avait supprimée (2); mais les lois révolutionnaires la reprirent au milieu des débris de l'ancienne législation pour l'appliquer aux émigrés (3); et les rédacteurs du Code civil, imbus des vieilles maximes du droit, la replacèrent dans nos lois, malgré l'énergique opposition du tribunat (4).

Nous ne devons point nous arrêter, soit à reproduire les opinions des divers publicistes sur la mort civile (5); soit à rappeler, comme l'ont fait quelques auteurs, les nations étrangères qui l'ont effacée de leurs codes (6): les lecteurs verront plus loin que, jugée par le législateur lui-même, son abolition n'est plus qu'une question de date et d'opportunité. Nous n'avons point non plus à nous occuper des questions purement civiles que l'application de cette peine a soulevées ces questions, qui prennent leur source dans les dispositions du Code civil, sont étrangères

(1) Ord. de 1670, tit. 17, art. 29; ord. de 1747, tit. I, art. 24. -Muyart de Vouglans, p. 75; Jousse, p. 86.

(2) Art. 1, 2 et 3 du tit. IV du Code du 25 sept.-6 oct. 1791. (3) L. 28 mars 1793, tit. I, sect. I, art. 1.

(4) Locré, t. II.

(5) MM. Rossi, t. III, p. 204; Livingston, Report on a plan of penal Code; Taillandier, voyez Code pénal progressif, p. 112; Scipion Bexon, introd., § 26; Mittermaier, etc.

6) V. les Codes de la Louisiane, de la Bavière, du Brésil, d'Haïti, etc.

au droit pénal. Notre tâche, quoique resserrée dans ces limites, est encore assez étendue.

L'art. 23 du Code civil dispose que la condamnation à la mort naturelle emporte la mort civile, et l'article suivant ajoute que « les autres peines afflictives perpétuelles n'emportent la mort civile qu'autant que la loi y aura attaché cet effet. » Le Code pénal avait donc à déterminer quelles peines perpétuelles entraînerait cette terrible incapacité : son art. 18 déclare qu'elle est la conséquence nécessaire des travaux forcés à perpétuité et de la déportation.

Lorsque la réforme de ce Code fut agitée, un vif dissentiment se manifesta sur cette question. Le projet préparatoire qui fut communiqué aux cours royales, avait supprimé la mort civile; le plus grand nombre des cours, et notamment la cour royale de Paris, approuvèrent cette suppression, quelques unes la combattirent la peine fut maintenue dans le projet définitif. Il est impossible de ne pas placer ici les lucides explications que le rapporteur de la chambre des députés donna à cet égard: elles révèlent à la fois la pensée du pouvoir et les obstacles qui en firent ajourner la réalisation.

<«< La mort civile, disait M. Dumon, est une fiction; est-il digne de la gravité du législateur de fonder une peine sur une fiction? Quelle n'est pas d'ailleurs l'inégalité de cette peine qui, pour quelques condamnés, équivaut à la mort même, qui, pour d'autres, n'ajoute

à leur état ni privation, ni infamie? La mort civile dissout le mariage; elle rompt de vive force un lien que les parties ne voudraient pas rompre; elle donne à la fidélité les effets du concubinage, elle proscrit la vertu. La mort civile ouvre de plein droit la succession du condamné; qu'importe qu'il mérite sa grace ou qu'il l'obtienne? il rentre dans la société sans fortune comme sans famille. En cas de condamnation par contumace, les effets accomplis au bout de cinq ans, deviennent irrévocables : un nouveau jugement, une déclaration d'innocence ne sont plus qu'une dérisoire et stérile réparation. La déshérence qui attribue à l'État les biens acquis par le condamné, fait revivre la confiscation; et dans les cas où la repré sentation n'est pas admise, l'incapacité dont le condamné est frappé, dépouille ses enfans et transporte à d'autres familles l'héritage qu'il aurait recueilli et que ses enfans auraient retrouvé dans sa succession.

« Ces raisons eussent déterminé votre commission à vous proposer l'abolition de la mort civile, si cette abolition n'eût entraîné après elle des conséquences nombreuses sur la plupart de quelles il n'appartient guère à une loi pénale de statuer. Affranchi de la mort civile, le condamné tombera sous l'interdiction que le Code pénal prononce; mais les incapacités qui résultent de cette interdiction sont-elles suffisantes? l'autorité paternelle, l'autorité maritale, peuvent-elles s'exercer du fond d'un bagne avec quelque dignité ou

quelque fruit? Le droit de donner ou de recevoir peutil être laissé à celui qui n'exercerait souvent ce droit que sous les inspirations du crime ou comme un bénéfice d'infamie? Les biens dont la propriété est rendue au condamné seront des biens d'interdit, c'està-dire frappés d'indisponibilité, et soumis à tous les embarras d'une administration légale : Sa femine et ses enfans n'auront aucun droit sur ces biens, et périront peut-être de misère au sein de cette fortune dont personne ne pourra jouir (). Il y a des contrats que rompt la mort civile, quels seront sur ces contrats et sur les droits des tiers, les effets de son abolition?

« Il est évident que la loi qui supprimera la mort civile, devra statuer, par des règles nouvelles, sur l'état du condamné, sur la possession de ses biens et sur les droits des tiers. Tout en déclinant ce travail comme trop étranger à celui dont vous l'avez chargée, votre commission appelle spécialement, sur cette matière, l'attention du gouvernement (2).

Ces considérations entraînèrent le vote de la Chambre des députés qui repoussa successivement la proposition de M. Taillandier, qui avait pour objet l'abolition immédiate de la mort civile, et un amendement de M. Charamaule qui restreignait la dis

(1) Cette proposition est inexacte. V. infrà, pag. 207 et 208. (2) Code pénal progressif, pag. 111.

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