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cesser avec ce châtiment même, si la grâce vient en interrompre le cours; enfin elle constitue une incapacité réelle, personnelle et qui n'a rien d'immoral en elle-même.

Ainsi la loi, en se hâtant d'effacer une fiction qui n'est propre qu'à égarer ses décisions, doit néanmoins laisser peser sur la tête des condamnés une interdiction à peu près complète des droits politiques et des droits civils. Et cette interdiction peut contenir deux classes distinctes d'incapacités : les unes qui, suivant le sort de la peine, tomberaient nécessairement avec elle par l'effet de la grâce; telle serait la tutelle du condamné; les autres qui continueraient de s'attacher à ce condamné jusqu'à sa réhabilitation, telles que les déchéances qui constituent la dégradation civique.

Nous avons vu que le Code pénal n'attache la mort civile qu'aux peines des travaux forcés à perpétuité et de la déportation. De là s'est élevée dans la discussion de 1832, la question de savoir, si la peine nouvelle de la détention perpétuelle, qui remplace la déportation dans son exécution, devait également l'entraîner.

M. de Vatimesnil avait proposé un amendement ainsi conçu : « L'art. 29 du Code pénal sera appliqué au condamné à la détention perpétuelle, pendant la durée de la peine. » On disait à l'appui : cette peine est d'institution nouvelle; or puisqu'on proclame hau

tement les désastreux effets de la mort civile, on doit sinon la proscrire, parce que ce serait modifier indirectement un code qui n'est pas en délibération, du moins s'abstenir de la prononcer dans ce cas nouveau. Le Code civil laissant la faculté de l'adjoindre aux peines perpétuelles, ou de l'en détacher, il serait étrange, lorsque la suppression n'en est qu'ajournée, de lui donner des racines et de l'implanter plus profondément dans la législation, en l'attachant à une peine nouvelle.

On a répondu que la détention perpétuelle n'est qu'un mode d'exécution de la déportation; qu'elle doit donc emporter les mêmes incapacités, que toutes les peines perpétuelles, doivent être accompagnées de la privation de certains droits civils, et que la loi n'ayant prononcé d'autres incapacités à l'égard des condamnés à perpétuité que celles qui prennent leur source dans la mort civile, il était nécessaire de maintenir provisoirement cette peine, jusqu'à ce que le législateur se fût occupé de formuler l'interdiction qui pourra la remplacer. Ces considérations ont prévalu, et l'amendement a été rejeté (1).

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Aucune discussion sérieuse ne s'est élevée sur l'application à la détention perpétuelle du 2o§ de l'art. 18

(1) Code pénal progressif, pag. 116 à 121.

du Code pénal, ainsi conçu : « Néanmoins le gouvernement pourra accorder au condamné à la déportation l'exercice des droits civils ou de quelques-uns de cès droits. » Cette disposition peut toutefois soulever de graves difficultés.

Le Code pénal de 1810 ne l'avait admise qu'en faveur du déporté, et seulement dans le lieu de la déportation. Resserrée dans ces termes, cette exception se justifiait. Le condamné qui a été privé des droits civils dans son pays, peut en acquérir de nouveaux dans la nouvelle patrie que la peine lui a donnée; il peut s'y marier, il peut y posséder; la faculté de lui rendre l'exercice des droits civils pouvait donc avoir des effets utiles. « Le déporté, disait M. Treilhard, dans l'exposé des motifs, sera provoqué à mériter par une conduite sage et laborieuse, de récupérer la vie civile et d'acquérir l'état de colon; ce sera l'encourager à devenir meilleur, et ce ressort ne sera pas moins utile au bien de la colonie qui est intéressée à compter des citoyens plutôt que des captifs, et à les fixer dans son sein par l'attrait de la propriété et les liens de la vie civile. » De ces paroles il résukte évidemment que l'intention du législateur n'était point de relever des droits anéantis par la mort civile, mais seulement de permettre au déporté d'exercer des droits nouveaux dans la société où il se trouvait transporté. Les droits acquis étaient respectés; les liens que la mort civile avait brisés n'étaient pas re

noués : l'incapacité ne cessait que pour l'avenir; elle continuait de peser sur le passé.

Est-ce bien dans ce sens que le législateur de 1832 a compris la même disposition? Peut-être n'en a-t-il point mesuré toute la portée. Il n'y a vu qu'une exception favorable aux déportés, et comme la détention perpétuelle était substituée à la déportation, il n'a pas voulu, plus rigoureux que le Code de 1810, priver cette classe de condamnés du même bienfait. Mais le motif n'existait plus : le déporté rendu à la société, quoique dans un autre hémisphère, avait besoin de jouir des droits civils, pour jouer un rôle actif dans cette société. Qu'importe, au contraire, au détenu, à jamais séparé de la vie sociale, d'acquérir des droits nouveaux qu'il ne pourrait exercer?

Serait-ce donc qu'on aurait voulu restreindre les effets de la mort civile elle-même, et permettre au gouvernement de la désarmer dans certains cas de ses conséquences les plus odieuses? Si tel est le sens du § 2 de l'article 18, des objections très fortes s'élèveraient pour le combattre. Les incapacités légales qui constituent la mort civile sont encourues du jour de l'exécution de la peine : c'est ce jour même que la succession du condamné s'est ouverte, que son mariage s'est dissous, qu'il a cessé de vivre aux yeux de la loi civile. Ces incapacités ouvrent dès lors des droits, soit au profit de la société, soit au profit des tiers. Comment admettre que le gouvernement puisse

avoir la puissance de renverser ces droits, de renouer les liens du mariage, de deshériter des ayantdroits! Lorsque les incapacités sont encourues, la grâce elle-mênie ne peut en relever le condamné (1); et la réhabilitation ne les fait cesser que pour Pavenir (2).

A la vérité, le gouvernement peut exercer la faeulté que lui attribue le Code, avant la mise à exécution de la peine, avant que les incapacités n'aient été acquises, qu'elles ne soient irrévocables. Mais comment concevoir qu'une faculté aussi extraordinaire puisse être sérieusement exercée? Il dépendrait donc du gouvernement d'ouvrir ou de fermer une succession, de continuer ou de dissoudre un mariage, de confirmer ou de suspendre les droits d'une épouse ou d'un père? Nous ne pouvons admettre une telle puissance les droits des familles, les droits des tiers échappent au pouvoir d'une décision gracieuse. Si telle était, d'ailleurs, l'intention de la loi, si la mort eivile paraissait trop rigoureuse pour la classe des condamnés auxquels s'applique la détention perpétuelle, n'eût il pas été plus rationnel d'accueillir l'amendement qui proposait de séparer ces deux peines? n'eût-il pas été plus facile de restreindre à quelques incapacités

(1) Avis des comités réunis du Conseil d'Etat, du 21 déc. 1822, approuvé le 8 janv. 1823.

(2) Art. 633 du E. d'inst. crim.

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