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fense sociale, aura plus ou moins admis le concours accessoire d'un principe moral; nous verrons plus loin un exemple de cette coïncidence dans le Code pénal.

Il faut, au surplus, le dire hautement; car toutes les théories du droit pénal se résument là: il ne peut exister un bon système pénal que sous un gouvernement libre. Les théories, quelque fortes que fussent leurs lois, seraient impuissantes sous le despotisme. Il y a une liaison intime entre les progrès des institutions politiques et ceux des lois criminelles; elles croissent, elles se perfectionnent ensemble; celles-ci sont la conséquence presque immédiate des autres. C'est donc au pouvoir social qui émane d'institutions. libres, à apprécier, soit sous un point de vue théorique, soit abstraction faite de tout système, les actes qui menacent l'existence de la société : bornée aux faits qui offrent ce péril et qui sont empreints d'une criminalité intrinsèque ou relative, la justice pénale aura rempli sa mission.

Notre dessein n'est pas d'insister sur ces idées; il a suffi de les indiquer. Ce que nous voulons constater comme résultat de cette discussion, c'est que l'examen de toute législation pénale serait incomplet si l'on oubliait de remonter au principe qui lui a servi de base; c'est qu'il est certain que ce principe n'est pas sans influence sur le législateur qui l'a pris pour point d'appui de ses prescriptions. Le commentateur doit donc puiser

dans cette recherche, la première règle de ses interprétations.

Nous arrivons au Code pénal.

Préparé quelques années après la publication des traités de Bentham (1), qui firent une si profonde sensation parmi les publicistes, ce Code dut naturellement s'empreindre des principes de cet auteur. On le trouve plusieurs fois cité dans les rapports officiels du conseil d'Etat. Sa théorie revit tout entière dans ces lignes de M. Target :

<< Il est certain que la peine n'est pas une vengeance: cette triste jouissance des ames basses et cruelles n'entre pour rien dans la raison des lois. C'est la nécessité de la peine qui la rend légitime. Qu'un coupable souffre, ce n'est pas le dernier but de la loi; mais que les crimes soient prévenus, voilà ce qui est d'une haute importance. Après le plus détestable forfait, s'il pouvait être sûr qu'aucun crime ne fût désormais à craindre, la punition du dernier des coupables serait une barbarie sans fruit, et l'on ose dire qu'elle passerait le pouvoir de la loi. La gravité des crimes se mesure

(1) Les Traités de législation civile et pénale de Bentham, ont été publiés en 1802 par M. Dumont; la Théorie des peines et des récompenses n'a été publiée qu'en 1811 par le même publiciste; enfin, le Traité des preuves judiciaires n'a paru qu'en 1823. Voyez les préfaces de M. Dumont.

donc, non pas tant sur la perversité qu'ils annoncent que sur les dangers qu'ils entraînent (1).

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C'est donc à l'école des utilitaires qu'appartiennent les rédacteurs du Code pénal de 1810. Ils mesurent la peine sur le danger et non sur la moralité des actes qu'ils incriminent. Ils font, en thèse générale, abstraction de cette loi morale que révèle la conscience et qui distingue parmi les actions humaines celles qui sont licites, celles qui sont défendues. La nécessité de la peine, c'est la règle des incriminations du Code pénal.

Cependant d'un principe rigoureux on peut ne pas tirer toutes les conséquences extrêmes. Les rédacteurs du Code, en se rangeant sous la bannière de l'école utilitaire, n'ont point prétendu suivre par une logique sévère le principe de l'intérêt dans toutes les applications à côté de ce principe, on voit même surgir parfois une pensée de moralité.

:

« L'on n'a pas oublié, disait M. Berlier, que des lois qui statuent sur tout ce que les hommes ont de plus cher, la vie et l'honneur, ne doivent effrayer que les pervers, but qui serait manqué si elles imprimaient trop légèrement le caractère de crime à des actes qui ne sont pas essentiellement criminels. L'on

(1) Observations de M. Target sur le Code pénal, Locré, tom. 29, pag. 8.

a soigneusement cherché à établir de justes proportions entre les peines et les délits (1). »

la

Ces paroles révèlent en quelque sorte un principe moral dans la pensée du législateur. Il est vrai que ce principe fléchit et s'efface toutes les fois que les besoins réels ou prétendus de la société sont mis en avant; le législateur est préoccupé des périls de l'ordre social; il ne s'attache que secondairement à peser valeur intrinsèque des actes qu'il frappe de ses peines. Mais l'application même secondaire de ce principe de justice doit être mise en lumière; on croirait vainement connaître l'esprit de la loi si on en faisait abstraction; nous aurons plus d'une occasion de remarquer des incriminations qui reposent sur une saine appréciation du juste et de l'injuste.

En général, le Code pénal de 1810 nous paraît avoir été jugé avec trop de sévérité. L'excessive élévation de ses pénalités a surtout frappé les regards, et l'on en a déduit une réprobation générale. Il faut distinguer: l'échelle pénale aujourd'hui refaite quoique d'une manière incomplète, était en effet empreinte d'une barbare exagération, et les réclamations qui se sont élevées à ce sujet étaient l'expression de la conscience publique qui cherchait vainement une juste

(1) Exposé des moti's du tit. 1 du liv. 3 du Code pénal. Locré, 29, pag. 422.

proportion entre les châtimens et les délits. Mais le système des incriminations, quelque défectueux qu'il soit, ne méritait peut-être point les mêmes reproches, et les peines trouvent généralement (à quelques exceptions près) une base légitime dans le caractère immoral des actes qui sont compris dans la catégorie des délits. Le projet du Code était conçu dans un esprit plus doux, plus modéré. On suit facilement dans les discussions du conseil d'Etat les déviations que ce principe de modération a éprouvées. Chaque crime, chaque délit, successivement analysé dans ses élémens et ses effets, excitait ce sentiment d'indignation et de crainte qui conduit à l'exagération des peines. C'est dans ce sens qu'on a pu dire avec justesse que les rédacteurs du Code « se sont bien moins occupés de combiner une répression suffisante pour la sûreté publique, que de compenser l'horreur du crime par l'horreur du châtiment (1). »

La réforme de cette législation était devenue un besoin public. La marche progressive des idées libérales, l'adoucissement des mœurs, les discussions philosophiques, avaient amené les esprits à réclamer énergiquement des améliorations dans le système pénal. Cette idée était descendue dans les mœurs; l'application journalière de la doctrine de l'omnipotence

(1) M. Ch. Remusat, Globe du 10 sept. 1825.

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