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justesse les revenus de chaque délinquant ? Comment réunira-t-il les élémens de ce calcul, lorsque ceuxci seront intéressés à les lui céler? S'il tombe dans quelque erreur, si son calcul est inexact, l'inégalité de la peine ne devient-elle pas aussitôt manifeste? La base est juste, mais elle ne suffit pas; il aurait fallu y joindre les moyens d'en faire une exacte application.

Arrivons à notre législation.

Le code rural du 28 septembre 1791 et le code des délits et des peines du 3 brumaire an 4, avaient pris pour base de l'amende la valeur de la journée de travail. Cette disposition aurait eu quelque analogie avec le code du Brésil, si le taux de l'amende y avait été calculé sur le prix de la journée de chaque délinquant. Mais la loi n'avait pas été jusque-là elle s'était bornée à évaluer le taux de la journée de travail dans chaque localité, et ce taux moyen était ensuite doublé, quadruplé, suivant le caractère du délit, et abstraction faite de la fortune du délinquant.

Le Code pénal a changé cette sorte d'unité, base des amendes, sans changer le système de leur pondération. Sa théorie, simple et claire, a été d'établir des amendes uniformes à l'égard de tous les prévenus, et dont le taux fût en proportion avec la gravité des délits. « Le projet, disait l'exposé des motifs du Code, laisse au juge une certaine latitude pour fixer la quo

TOM. I.

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tité de l'amende correctionnelle : les circonstances qui atténuent ou qui augmentent un délit ne peuvent être toutes prévues par la loi; il faut donc accorder au juge le moyen de proportionner l'amende à la faute. » Ainsi la loi gradue cette peine, elle l'élève ou l'abaisse suivant le degré moral de l'infraction, mais non suivant la position sociale du délinquant; elle ne fait aucune acception de personnes; c'est l'application rigoureuse du principe de légalité devant la loi, mais ce principe conduit directement à l'inégalité dans la distribution du châtiment, puisque le riche se joue de la même amende qui va consommer la ruine du pauvre.

On a cherché à pallier ce vice en élargissant les limites dans le quelles l'amende était circonscrite, en agrandissant les pouvoirs du juge, en effaçant, pour ainsi dire, le minimum de cette peine. Mais ce remède n'a point été entièrement efficace, d'abord parce que le maximum des amendes est toujours illusoire pour les plus riches, ensuite parce que la loi n'a point fait de la fortune du délinquant une circonstance aggravante ou atténuante de cette peine. D'ailleurs, la faculté presque illimitée d'atténuation que l'art. 463 du Code pénal a créée, ne s'applique qu'aux amendes prononcées par ce Code, et cependant c'est surtout dans les législations spéciales que cette peine, plus fréquemment employée, devient rigoureuse par le taux élevé auquel on l'a souvent fixée.

Néanmoins, le système du Code, incomplet seule

po

ment, nous paraît fondé sur une idée saine de pratique. Toute la théorie de la matière se réduit à ser en principe que l'amende doit être proportionnée à la fortune des délinquans. Mais comment arriver à établir cette proportion? Filangieri (1) et Bentham (2) ont proposé de la fixer en déterminant non la quotité de la somme, mais la portion de la fortune du prévenu qui lui serait enlevée par la peine: ainsi tel délit serait puni de la privation du cinquième, du dixième, du vingtième des biens du coupable. Mais ce principe, d'où semble découler une rigoureuse égalité, peut être défectueux dans l'application. Car si vous enlevez le dixième de sa fortune au possesseur d'un million, cette peine ne lui sera point aussi onéreuse qu'à celui dont mille ou dix mille francs composent tout l'avoir. Nous avons parlé plus haut du danger des investigations nécessaires pour constater les revenus ou les biens des délinquans.

Il nous paraît donc que la distribution des amendes, proportionnellement à la position sociale des prévenus, ne peut être opérée que par le juge. La loi n'a point de règles assez précises, de distinctions assez multipliées pour tous les cas, pour toutes

(1) Liv. 3, pag. 2, et M. Pastoret, 2° part., chap. 8, et 3° part., chap. 10, § 3.

(2) Théorie des peines, pag. 340.

les circonstances; elle doit nécessairement se confier à la sagesse des magistrats pour faire la part des temps, des conditions, des ressources pécuniaires. Son principe doit être de leur laisser une grande latitude dans l'application de l'amende, en les avertissant toutefois qu'ils doivent tenir compte, non seulement de la gravité de l'infraction, mais aussi des circonstances individuelles où se trouvent les délinquans. C'est en partageant cette idée que M. Charles Lucas a proposé de n'établir qu'un maximum pour les amendes, en donnant aux juges la faculté de les abaisser indéfiniment (1).

Ainsi, dans ce système, la loi déléguerait au juge le soin d'appliquer le principe de l'égale répartition des ainendes, mais elle le guiderait dans cette difficile opération en fixant les élémens de son calcul: ces élémens sont d'une double nature et se puisent soit dans le degré de gravité du délit, soit dans la position sociale du délinquant. Notre Code pénal aurait complétement suivi cette voie s'il avait permis au juge de faire entrer ce dernier élément en ligne ligne de compte dans la computation de l'amende. Ce n'eût été, au surplus, qu'appliquer une ancienne maxime rappelée par Tiraqueau: « mitius est agendum cum pauperibus quam

(1) D185 tème pénal, pa; 304.

cùm divitibus, cum agitur de pæna pecuniariá (1`. » Mais s'il suffit, en général, de fixer le maximum des amendes, cette fixation présente quelques diffi cultés. A quelles limites doit-elle s'arrêter? « Ce maximum, a dit M. Charles Lucas, doit être tel que l'application n'en soit pas illusoire pour les citoyens les plus riches. » Et il est certain, en effet, que l'exacte application du principe de l'égalité cesserait d'avoir lieu, si les fortunes élevées pouvaient se jouer de cette limite. Mais, d'une autre part, on ne doit pas perdre de vue qu'en élargissant le cercle des amendes, on accroît en proportion la mesure de puissance dont le juge est investi.

M. Livingston a posé en principe, dans l'art. 9o du 90 code de la Louisiane, que l'amende ne peut dans aucun cas excéder la quatrième partie de la fortune du condamné : c'est là le maximum de cette peine. Le législateur du Brésil a été moins loin : l'amende, dans son code, n'atteint que les revenus du délinquant. Cette dernière règle est peut-être plus conforme au principe fondamental de cette matière. L'amende, en effet, rencontre des limites dans sa propre nature; si elle est exagérée, si elle atteint le capital, ce n'est plus une amende, mais une confiscation partielle. Poser la borne entre l'amende et la confiscation, est, on

(1) De penis temperandis aut remittendis, 17.

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