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comme une réparation civile du dommage causé à l'État par la fraude (1). L'amende n'est point une réparation civile puisque si les propriétaires des marchandises en sont responsables, cette responsabilité, aux termes de la loi fiscale elle-même, n'atteint ni les pères et mères, ni les maîtres et commettans. Elle n'a point ce caractère, puisque l'action en réparation civile survit au décès même du délinquant, aux termes de l'art. 2 du code d'instruction criminelle; or pourrait-on continuer une poursuite correctionnelle contre les héritiers du prévenu décédé avant le terme de cette poursuite? La Cour de cassation, elle-même, a répondu négativement à cette question, en statuant sur un délit de douanes : « Attendu qu'en matière de contravention aux lois fiscales, comme dans toutes les autres matières, les amendes ont un caractère pénal; qu'elles sont personnelles ; que l'action s'en éteint donc par le décès du contrevenant, lorsqu'il a lieu avant que la condamnation ait été prononcée; que si l'administration a le droit de poursuivre cette peine, c'est qu'elle en a reçu l'attribution de la loi; que cette attribution est fondée sur ce que les amendes font partie des intérêts fiscaux qui sont confiés à sa surveillance; mais que son action, en cette partie, n'en est

(1) Arr. cass., 6 juin 1811,17 déc. 1831, et 11 oct. 1834. (Journ. du droit crim 1831, pag. 6 et 314.).

pas moins soumise aux règles qui concernent les actions publiques (1). »

La contradiction de cet arrêt avec ceux qui ont été cités précédemment est évidente, puisque d'une part, la Cour de cassation imprime à l'amende le caractère d'une simple réparation civile, et, d'une autre, celui d'une peine. Cette double solution atteste assez que la loi a été méconnue. A nos yeux l'amende, en matière fiscale, ne cesse jamais d'être une peine; seulement, et par une dérogation formelle au principe des peines, elle n'est point strictement personnelle : elle atteint, outre le prévenu déclaré coupable, les personnes que la loi présume ses complices: tel est le double caractère de cette amende. L'État trouve la réparation du préjudice que la fraude lui a causé dans le paiement des droits et la confiscation des marchandises et des objets de transport : l'amende a une mission pénale; elle flétrit la désobéissance aux lois; elle punit la fraude.

La législation des contributions indirectes a consacré la même exception : l'art. 35 de la loi du 1er germinal an 13 est une reproduction fidèle de la loi du 6 août 1791. Les mêmes hésitations se font aussi remarquer dans la jurisprudence qui en a fait l'application. Ainsi,

(1) Arr. cass., 28 mess an 8. (Sir. 1.1.309.) 9 déc. 1813. (Journ. du droit crim., 1834. pag. 6.)

un arrêt de la Cour de cassation déclare que l'amende, en cette matière, est une peine soumise à toutes les règles générales relatives aux peines (1); un second arrêt confirme cette décision, et en tire ladéduction que les jugemens qui prononcent cette amende sont exécutoires par la voie de la contrainte par corps, encore bien qu'ils ne l'aient pas prescrite (2); enfin, un troisième, renversant cette jurisprudence, pose en principe que l'amende ne doit être considérée que com.re une réparation civile du dommage causé (3). Or, comment admettre que, dans la même matière, l'amende puisse tantôt prendre le caractère d'une peine pour justifier l'emploi de la contrainte par corps, tantôt d'une réparation, pour motiver la responsabilité civile? Il faut donc appliquer à cette matière comme à celle des douanes la doctrine que nous avons énoncée. Et, au surplus, nous ferons remarquer, en terminant sur ce point, que l'arrêt du 11 octobre 1834 a fait peser la responsabilité de l'amende, non pas sur le propriétaire des marchandises, comme l'art, 35 de la loi du 1er germinal an 13 autorise à le faire, mais sur le père d'un enfant mineur : c'est une nou

(1) Arr. cass., 9 déc. 1813.

(2) Arr. cass.,

314.)

14 fév. 1832. (Journ. du dro't crim.. 1832, pag.

(3) Arr. cass., 11 oct. 1834. (Journal du droit crim., 1834, pag.

velle déviation des règles légales qu'il importait de signaler.

Telles sont les seules dérogations que la loi ait faites à la règle générale qui régit les amendes. L'ordonnance de 1669 (tit. 19, art. 13), déclarait les pères et maîtres civilement responsables des condamnations rendues, en matière forestière, et la jurisprudence avait entendu cet article en ce sens que la responsabilité s'étendait même aux amendes, lorsqu'il s'agissait de délits commis dans les bois de l'État. L'art. 206 du code forestier a réformé cette interprétation, en déclarant que cette responsabilité ne s'étendrait qu'aux restitutions, dommages-intérêts, et frais. «L'amende, disait le rapporteur, M. Favard de Langlade, est une véritable peine; elle ne saurait donc atteindre celui qui ne s'est pas rendu coupable; elle ne peut frapper que le délinquant; c'est lui qu'il faut atteindre directement: l'État a la voie de la contrainte par corps pour le contraindre au paiement de l'amende, et ce genre de punition est bien plus utile à la société que l'effet d'une responsabilité civile. Si du reste les pères, mères, maîtres, etc., sont complices des délits commis par leurs subordonnés, il est un moyen bien simple de leur faire supporter l'amende; il ne s'agit que de les traduire en justice pour cause de complicité (1). » Le même prin

(1) Code forestier expliqué, par Chauveau Adolphe, sur l'art.

cipe domine le code de la pêche fluviale du 15 avril 1829 (art. 74).

De la règle qui attribue à l'amende un caractère pénal, il découle encore, ainsi qu'on l'a vu, que si le condamné est décédé avant que le jugement ait acquis la force de la chose jugée, l'amende est éteinte par ce décès (1). C'est l'application de l'art. 2 du code d'instruction criminelle portant que l'action publique pour l'application de la peine s'éteint par la mort du prévenu. Mais si le jugement, au contraire, est devenu inattaquable avant le décès, la question de savoir s'il doit être exécuté, si le paiement de l'amende peut être poursuivi sur ses héritiers, soulève de graves difficultés.

Car l'amende étant une peine, il est de l'essence des peines de ne point passer aux héritiers. Elle diffère de la condamnation civile en ce que celle-ci est la réparation d'un dommage causé, tandis que l'amende est la réparation d'un devoir violé : les héritiers sont responsables des dommages faits par leur auteur; ils ne le sont pas de la violation qu'il a commise de ses devoirs moraux. Et puis, pourquoi distinguerait-on entre les peines corporelles et les peines pécuniaires? Pourquoi lorsque les premières tombent avec le décès

(1) Jousse, tom. I, pag. 72; arr. cass., 28 mess. an 8 et 9 dér. 1813. (Sir., 14.1.91.) Bourguignon, Manuel d'instruct. crim., sur

l'art. 2.

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