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du condamné, les autres resteraient-elles debout pour frapper ses représentans? Ne sont-elles soumises au même principe? Cette distinction n'est-elle pas effacée par le 2o paragraphe de l'art. 2 du code d'instruction criminelle, qui ne laisse subsister contre les représentans que l'action civile en réparation du dommage?

Mais ces motifs, quoique spécieux, ne suffisent point. Car, aux termes de ce même art. 2, l'action pour l'application de la peine s'éteint par le décès du prévenu; mais si la condamnation est devenue définitive avant ce décès, ce n'est plus une simple action qui demeure, c'est un droit acquis. Si ce droit ne peut s'exercer, par la nature même des choses, à l'égard des peines corporelles, il en doit être autrement pour les peines pécuniaires, parce que la condamnation à l'amende est devenue une dette au profit de l'État, du moment où le jugement qui l'a prononcée est devenu irréfragable. Or, les biens du débiteur étant, aux termes de l'art. 2093 du code civil, le gage commun de ses créanciers, ces biens ont été affectés à cette dette, et c'est avec cette charge qu'ils sont passés aux héritiers. Au surplus, cette solution est puisée dans l'esprit même du Code pénal. En effet, on lit dans les procès-verbaux du Conseil d'État, que cette question fut soulevée dans les discussions qui préparèrent le code d'instruction criminelle : « M. de Cessac demande si l'héritier est affranchi du paiement de

l'amende et des autres condamnations pécuniaires. MM. Cambacérès et Treilhard répondirent que l'art. 2 n'éteint que l'action publique. M. Merlin distingua entre le cas où l'amende est prononcée et celui où elle ne l'est pas : « Dans le premier cas, dit-il, la condamnation doit avoir ses effets; dans le deuxième, la mort du prévenu le faisant réputer innocent, empêche qu'aucune peine, même pécuniaire, puisse lui être appliquée. » M. Cambacérès dit que c'étaient là les vrais principes: « L'explication de M. Merlin, ajouta-t-il, étant consignée dans le procès-verbal, lèvera les doutes et fixera le sens de l'article. Il sera bien entendu que le jugement qui prononce l'amende, recevra son exécution, nonobstant la mort du condamné (1). »

Nous déduirons encore de notre règle un troisième corollaire : c'est que les amendes, étant de véritables peines, ne peuvent indéfiniment se cumuler entre elles. C'est l'application de l'art. 365 du Code d'instruction criminelle, qui porte que « en cas de conviction de plusieurs crimes ou délits, la peine la plus forte sera seule prononcée. » Or, cette règle est générale, elle s'applique à toutes les peines. Comment pourrait-on justifier vis-à-vis des amendes une excep

(1) Procès-verbaux du conseil d'Etat, séance du 31 mai 1808; Locré, tom. XXV, pag. 118.

TOм. I.

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tion que la loi n'a nulle part autorisée? La Cour de cassation n'a point fait cette exception; elle a sculement déclaré «< que l'art. 365 n'est point applicable aux amendes et peines pécuniaires portées par les lois relatives aux matières qui n'ont pas été réglées par le Code pénal (1). » Et de cette décision, il résulte, d'abord, implicitement que ce même art. 365 doit s'appliquer aux amendes prononcées par le Code pénal: c'est la consécration formelle de notre opinion. Mais la restriction posée par l'arrêt est-elle fondée?

Le principe qui veut que les peines ne se cumulent pas, hors le cas de récidive, est un principe général de droit criminel, qui domine toutes les branches de la législation, parce qu'il se fonde sur une raison d'équité qui se reproduit à l'égard de tous les délinquans: c'est qu'il est injuste et à la fois inutile de faire peser plusieurs peines sur un prévenu, pour des infractions commises avant qu'il n'ait reçu le solennel avertissement d'une première condamnation. Or, ce motif s'élève aussi haut dans les matières spéciales que dans les autres matières. La loi ne doit pas imputer au délinquant les lenteurs de la justice, qui lui ont permis de commettre une nouvelle contravention qu'il n'eut pas commise peut être si la répression eût été plus prompte. Au reste, dans l'espèce de l'arrêt cité

(1) Arr. cass., 11 oct. 1827. (Bull. off., no 264.)

plus haut, il s'agissait de l'application de la loi du 15 ventôse an 13, relative à l'indemnité à payer aux maîtres de poste, et la Cour de cassation a surtout motivé sa décision sur ce que l'esprit de cette loi serait de cumuler les amendes d'après le nombre des contraventions. On peut donc induire de cet arrêt luimême que, même dans les matières spéciales, le principe de l'art. 365 doit être appliqué aux amendes, à moins qu'il ne soit exclu par les dispositions de ces lois exceptionnelles.

Il est nécessaire d'ajouter que la prohibition du cumul des peines ne s'étend pas au cumul de l'amende avec l'emprisonnement, toutes les fois que l'amende est considérée par la loi comme peine accessoire de la peine corporelle (1); mais il devrait sans doute en être autrement si l'amende avait été appliquée à l'un des délits comme peine principale: la peine d'emprisonnement, comme la plus forte, devrait seule être subie.

Une seconde règle est que l'amende doit être individuelle, c'est-à-dire, infligée à chacun des auteurs du même fait. Il est évident, en effet, que dans la perpétration d'un fait puni par la loi, il y a autant de contraventions qu'il y a de contrevenans ; l'infraction

(1) Arr. cas1., 7 déc. 1832. (Journ. du droit crim., 1833, page 323.)

n'est pas seulement dans le fait matériel, mais dans la violation de la défense de la loi. Et, d'ailleurs, si une amende unique était distribuée entre un grand nombre de délinquans, il se trouverait que la disposition répressive de la loi n'aurait plus d'effet, et que son vou, qui a été d'infliger une certaine mesure de la peine à chaque personne convaincue du délit, ne serait pas rempli. Ce principe a reçu à diverses reprises la sanction de la jurisprudence (1).

Toutefois, deux exceptions doivent y être établies: La première a lieu lorsque le législateur a mesuré le taux de l'amende à raison de la quotité du dommage causé. C'est ainsi que la Cour de cassation a décidé que l'amende portée par l'art. 144 du Code forestier, pour l'enlèvement de certaines matières dans les forêts, devait être unique pour chaque enlèvement, quel que fût le nombre des délinquans, parce que cette amende est calculée, non à raison du nombre des personnes qui ont pris part à la contravention, mais à raison du mode d'enlèvement des matières (2). Nous trouverons un autre exemple de cette exception dans l'art. 164 du Code pénal.

La deuxième exception est celle où les prévenus qui

(1) Arr. cass., 22 avr. 1813, 7 janv. et 21 oct. 1814,18 oct. 1822, 7 déc. 1826.

(2) Arr. cass., 24 avr. 1828. (Bull. off., no 126.)

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