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prit nouveau et que l'interprétation ne saurait négliger; c'est une tendance vers une application paternelle. Ce sentiment d'humanité n'est point descendu de la théorie; il est arrivé de plein saut dans les détails pratiques, on ne s'est point occupé s'il était en harmonie avec les principes; les principes sont restés debout parce que peut-être ils se trouvaient là: il a paru suffire de leur enlever leurs conséquences les plus acerbes.

Il faut nous résumer: le Code pénal a été rédigé sous l'empire du système utilitaire, et de là, l'exagération de ses peines. La révision qu'il a subie n'a eu ni pour but ni pour effet de lui imprimer un nouveau principe, de le placer sous la règle d'un autre système pénal; mais la conséquence implicite de cette révision a été l'accession secondaire d'un principe moral qui se manifeste par l'atténuation des peines, par une plus juste proportion entre les délits et les châtimens. C'est donc encore dans le principe utilitaire qu'il faut chercher la source des incriminations du Code; mais il faut en tempérer les rigoureuses déductions en les conciliant avec la pensée de moralité qui plane, timide encore, sur ses dispositions. Enfin un sentiment d'humanité y a déposé un germe nouveau. Le principe subsiste, mais presque nominal, et dépouillé de la plus grande partie de son autorité : la certitude, mais la douceur des châtimens, voilà le

véritable espritde la loi nouvelle; c'est la règle qui doit servir à l'interpréter (1).

Nous sommes en présence de l'art. 1er du Code pénal, et les réflexions qui précèdent vont déjà nous aider à en saisir le véritable sens. On a adressé de graves reproches à la définition qu'il renferme ; quelques publicistes y ont vu l'expression de tout un système, système insultant pour l'intelligence et la conscience de l'homme. Il faut en rappeler le texte.

« Art. 1. L'infraction que les lois punissent de peines de police est une contravention. L'infraction que les lois punissent de peines correctionnelles est un délit; l'infraction que les lois punissent d'une peine afflictive ou inflamante est un crime. »

Un publiciste a écrit à ce sujet : « La division des actes punissables en crimes, délits et contraventions, division tirée du fait matériel et arbitraire de la peine, révèle à elle seule, ce nous semble, l'esprit du Code et du législateur. C'est dire au public: ne vous embarrassez pas d'examiner la nature intrinsèque des. actions humaines, regardez le pouvoir : fait-il couper la tête à un homme, concluez-en que cet homme est un grand scélérat. Il y a là un tel mépris de l'espèce humaine, une telle prétention au despotisme en tout,

(1) Voyez le rapport de M. Dumont, Code pénal progressif, pag. 15.

même en morale, qu'on pourrait, sans trop hasarder, juger de l'esprit du Code entier par la lecture de l'art. 1o (1). »

Il nous est impossible de ne pas trouver quelque exagération dans ces réflexions. Il n'est pas besoin d'une étude bien approfondie du Code pénal pour se convaincre que la division dont il s'agit est d'ordre plutôt que de principe (2). En effet, les définitions qu'il pose, il ne tarde pas à les mettre lui-même bientôt de côté. C'est ainsi que nous pourrions citer un grand nombre de faits, tels que les associations non autorisées, les infractions aux règles sur les inhumations, les maisons de jeu qui n'ont évidemment que le caractère des contraventions, quoiqu'ils soient classés parmi les délits. Assurément le législateur n'a point prétendu imprimer à ces infractions le caractère moral du délit; rien ne peut même faire supposer qu'il en ait eu la pensée; ce qu'il a voulu, c'est poser, ainsi qu'on l'a déjà dit, une règle d'ordre, un principe générateur de la compétence. Écoutez M. Treilhard:

« Le premier de ces articles définit les expressions de

(1) M. Rossi, Traité du droit pénal, tom. 1, pag. 54. (2. C'est aussi l'opinion exprimée par M. le garde des sceaux, à la tribune de la Chambre des Pairs, dans la séance du 9 avril 1834, lors de la discussion de la loi sur les associations. Voyez le Journal du D.oit criminel, no de mai 1834, pag. 143.

crime, délit, contravention, trop souvent confondues et employées indifféremment. Désormais le mot crime désignera les attentats contre la société qui doivent occuper les cours criminelles. Le mot délit sera affecté aux désordres moins graves qui sont du ressort de la police correctionnelle; enfin le mot contravention s'appliquera aux fautes contre la simple police (1). »

La définition de l'art. 1 a donc eu pour seul but d'indiquer la compétence d'après la nature de la peine à laquelle l'accusation peut donner lieu; c'est là le seul principe qu'il ait voulu poser, c'est une méthode, une règle d'application; ce n'est point une théorie.

Si l'on jette un coup d'œil sur la législation générale, cette explication revêtira le caractère de la certitude. En effet, les contraventions en matière de presse, de librairie, d'impôts indirects, d'eaux et forêts, sont exclusivement attribuées à la juridiction correctionnelle; et cependant le législateur a-t-il voulu élever ces contraventions au rang des délits? Loin de là, il les proclame lui-même des contraventions matérielles. C'est parce que le fait d'une association illicite ne constitue qu'une simple contravention que la loi du 10 avril 1834 en a déféré le jugement aux tribunaux correctionnels. Par le mot délit, dans l'art. 1or du

1) Exposé des motifs, Locré, tom. 29, pag. 202.

Code pénal, le législateur n'a donc point entendu un délit exclusivement moral, mais un fait passible d'une peine que les tribunaux correctionnels seuls peuvent prononcer.

Il ne faut donc pas légèrement flétrir une législation sur la foi de quelques-uns de ses termes; et en adoptant même l'idée hypothétique que nous avons rappelée, faudrait-il en tirer les conséquences qu'on en a déduites? Sans doute le législateur ne doit pas puiser le caractère du fait dans la mesure arbitraire et matérielle de la peine; mais ne peut-il pas commencer par mesurer cette peine sur la valeur intrinsèque des actions? Ne lui sera-t-il pas permis alors de Ja prendre pour base de ses divisions? Et comment, dans ce cas, pourriez-vous juger, à l'ouverture du Code et sur cette simple division, de l'esprit du Code entier?

Cependant la division des actions tracées par l'article 1, n'est pas à l'abri de toute critique.

Parmi les actions punissables, il n'existe qu'une seule division qui soit vraie, parce qu'elle est puisée dans leur nature. En effet, les unes prennent leur criminalité dans la moralité du fait, dans l'intention de l'agent on les appelle crimes ou délits. Les autres ne sont que des infractions matérielles à des prohibitions ou à des prescriptions de la loi; elles existent par le seul fait de la perpétration ou de l'omission, et indépendamment de l'intention de l'agent. Ce sont

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