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La chambre des pairs avait établi en principe, dans un projet qui fut modifié depuis par la chambre des députés, que ces condamnations prononcées en faveur de particuliers ne pouvaient jamais entraîner la contrainte, si elles n'excédaient 300 fr. « Les dettes qui résultent, disait le rapporteur M. Portalis, des réparations accordées par les Cours d'assises, les tribunaux correctionnels ou de simple police, sont des dettes purement civiles. Or, les dettes civiles n'entraînent pas la contrainte par corps, si elles sont moindres de 300 fr. On empire donc le sort des condamnés, au lieu de l'améliorer, lorsqu'on les soumet à l'emprisonnement, quelque courte qu'en soit la durée pour le paiement de ces dettes. Il n'y a pas lieu de les soustraire à la protection du droit commun. La vindicte publique, une fois satisfaite, il n'y a plus rien de pénal dans les dispositions des jugemens que renrendent les tribunaux de répression, quels qu'ils soient (1).».

Un seul motif a été allégué à la chambre des députés contre cette proposition; c'est que « les dommagesintérêts ne sont plus une dette purement civile, du moment qu'ils dérivent d'un crime ou d'un délit (2). >> Mais nous ne saurions concevoir comment leca

(1) Monit. du 30 déc. 1831, 1 part. (2) Monit. du 2) févr. 1832, suppl,

ractère du fait qui donne lieu à la réparation, peut influer sur la nature de cette réparation. Que la criminalité du fait disparaisse, que l'accusé soit absous ou acquitté, les dommages-intérêts qui pourront encore être mis à sa charge, changerontils de nature? La réparation n'est-elle pas la même si la partie civile l'a obtenue d'un tribunal civil ou d'un tribunal de répression? Ce n'est point parce que le fait constitue un délit que les dommages-intérêts sont dus, c'est parce que le demandeur a éprouvé un dommage, c'est en vertu de l'art. 1382 du Code civil. Pourquoi donc déroger au droit commun, qui ne permet jamais la contrainte pour une somme inférieure à 300 fr.? quelle raison plausible alléguer pour en augmenter la rigueur? Les réparations qu'un tribunal civil motive sur le dol ou la fraude, méritentelles plus de faveur que celles qu'une Cour d'assises accorde, souvent même en acquittant le prévenu, et qui prennent, en tous cas, leur source dans un fait dont la criminalité a été lavée par la peine?

Nous avons dit que le débiteur pouvait, lorsque la dette était inférieure à 300 fr., obtenir son élargissement, en prouvant son insolvabilité. On avait douté, cependant, que les dispositions de l'art. 35 de la loi du 17 avril 1832, relatives aux condamnés insolvables, fussent applicables à ceux qui ont été incarcérés à la requête des particuliers. Le tribunal correctionnel de Montpellier a même consacré, par juge

ment du 22 novembre 1832, une solution négative : << Attendu que l'art. 35 ne dispose qu'à l'encontre des débiteurs de l'État; que si cet article est mentionné dans l'art. 39, ce n'est que pour l'indication des cas dans lesquels peut avoir lieu l'élargissement du débiteur qui ne paie pas, et en même temps des formes à suivre pour l'obtenir; que, d'ailleurs, le deuxième paragraphe de l'art. 39 dispose que le jugement de condamnation fixera la durée de la contrainte dans les limites de six mois à cinq ans.... » Cette interprétation ne doit pas être adoptée. L'art. 35 renferme un principe général qui s'applique aussi bien aux condamnations intervenues dans l'intérêt des parti culiers que dans celui de l'État. Il résulte de l'art. 39 lui-même, que l'art. 35 auquel il renvoie, doit être appliqué toutes les fois que l'insolvabilité du condamné a été constatée, et en cas de contestation, jugée contradictoirement avec le créancier. Si ce même article dispose, dans son deuxième paragraphe, que la durée de la contrainte sera déterminée par le jugement dans les limites d'un an à cinq ans, cette fixation ne fait point obstacle à ce que l'emprisonnement ne soit ensuite réduit suivant l'échelle proportionnelle de l'art. 35 le jugement constitue le titre du créancier, mais le mode d'exécution est réglé par la loi.

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Les condamnations prononcées au profit de l'État suivent à peu près les mêmes règles. L'art. 34 de la loi porte que les débiteurs subiront la contrainte

jusqu'à ce qu'ils aient payé le montant des condamnations. Mais ce principe rigoureux est tempéré 1o par le droit que le débiteur a dans tous les cas de fournir caution; 2° par la faculté qui lui est donnée de justifier de son insolvabilité, lorsque la dette est inférieure à 300 fr.; 3° par la limite apportée à la durée de cette détention, dans le cas même où l'insolvabilité n'est pas établie par l'art. 40 de la loi.

La faculté de donner caution résulte de l'art. 34 lui-même. Quant à l'insolvabilité, le condamné est toujours admis à en faire la preuve, et cette preuve faite dans les termes de la loi, c'est le montant de la somme due qui fixe seul le temps après lequel il peut obtenir sa liberté. D'après l'art. 35, il jouit de ce droit, en prouvant son insolvabilité, après quinze jours de détention, lorsque l'amende et les autres condamnations pécuniaires n'excèdent pas 15 francs; après un mois, lorsqu'elles n'excèdent pas 50 francs; après deux mois, lorsqu'elles n'excèdent pas 100 francs; enfin, après quatre mois, lorsqu'elles n'excèdent pas

300 francs.

La chambre des pairs avait proposé de ne proportionner la durée de l'emprisonnement qu'à la quotité de l'amende seulement : « Nous avons jugé, disait M. Portalis, qu'il serait trop rigoureux de cumuler avec le montant de l'amende, d'autres condamnations pécuniaires accessoires; que le délinquant qui avait été puni n'était plus que malheureux, et qu'une dé

tention prolongée, en aggravant sa misère, le frapperait d'un funeste découragement, sans avantage pour le fisc et au grand préjudice de la société (1). » Cet amendement avait obtenu l'assentiment du gouvernement. La commission de la chambre des députés l'a repoussé : « En supprimant du projet les mots et autres condamnations pécuniaires, a dit M. Parant, rapporteur, la chambre des pairs a exclu les dommages-intérêts de la supputation de la somme sur laquelle sera calculée la durée de la contrainte du condamné qui excipera de son insolvabilité. Il y aura donc dérogation complète, au lieu d'une simple modification, à l'art. 53 du Code pénal, dans lequel se trouvent les mots condamnations pécuniaires, applicables non seulement à l'amende et aux frais, mais encore aux restitutions et aux dommages-intérêts, comme l'indique l'art. 52 du même Code. Il y aurait surtout un grand préjudice pour l'État; car la justification d'insolvabilité n'est pas toujours une raison pour croire que le paiement ne peut avoir lieu (2). » Ces motifs ont paru suffisans pour rétablir dans l'art. 35 les mots et autres condamnations pécuniaires.

La chambre des pairs avait encore admis un autre amendement qui a eu le même sort. Cette disposition

(1) Monit. du 30 déc. 1831.

(2) Monit. du 20 févr., 1832, suppl.

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