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constater à quel système appartiennent ces dispositions amalgamées de deux législations intervenues à 22 ans de distance? Tel est, cependant, le but que nous nous proposons d'atteindre.

Jetons d'abord un rapide coup d'œil sur les diverses théories qui ont divisé la science. On ne prétend point entraîner les lecteurs dans une discussion approfondie de ces théories. Nous laissons cette tâche, non sans l'envier, aux publicistes qui s'occupent de rectifier et d'établir les principes des lois. Mais ce serait réduire la science du droit aux bornes d'une pratique stérile, que d'accepter le principe saus en rechercher la source, et de supposer la légitimité du droit de punir, parce que ce droit existe.

Jusqu'au dix-huitième siècle, ce droit avait été mal étudié et mal compris. Les anciens législateurs ne voyaient guère, dans la distribution de la justice, qu'une arme puissante qu'ils opposaient avec succès aux audacieuses entreprises de ces temps d'anarchie. De là, tant de lois barbares, tant de peines atroces. « La société ne se défendait, a dit M. Guizot, qu'en opposant la force physique à la force physique; et bien souvent la dureté des lois, le nombre des supplices ne prouvaient, de sa part, que de la sagesse et le désir de protéger le public. Aussi les chroniques de ces temps louent-elles surtout, comme justes et populaires, les princes qui ont beaucoup et rudement puni. Ils étaient comme les premiers héros de

la Grèce, occupés à purger la société de brigands et de monstres (1). »

Mais long-temps après que ces temps de troubles furent passés, lorsque la société reposait sur des bases solides, le système pénal restait empreint de toute la barbarie du moyen âge. Les tortures de l'instruction, le luxe des supplices, devenus plus atroces encore parce qu'ils étaient plus inutiles, restaient debout comme des nécessités sociales et déployaient leurs sanglantes fureurs, sans diminuer le nombre de leurs victimes. La voix de Beccaria qui proclamait, vers le milieu du dix-huitième siècle, que tout châtiment est inique quand il n'est pas nécessaire à la conservation de la liberté publique, cette voix puissante eut un immense retentissement : la philosophie s'empara de cette idée nouvelle et la rendit féconde; l'humanité descendit dans les lois criminelles; les cachots furent ébranlés, les tortures détruites, et bientôt fut proclamé ce principe, alors novateur, que la peine de mort n'est que la simple privation de la vie (2).

Beccaria donne pour base au droit de punir, le droit de légitime défense qu'exerce le corps social. Il suppose une convention primitive par laquelle les

(1) De la peine de mort en matière politique, page 118. (2) Assemblée constituante, Code procédure du 22 octobre

hommes, auparavant indépendans et isolés, se seraient réunis en société, et auraient sacrifié une portion de leur liberté pour jouir du reste avec plus de sûreté. La somme de toutes ces portions de liberté forme le pouvoir de la nation, qui fut mis en dépôt entre les mains du souverain. De là cette conséquence tutélaire, que tout exercice du droit de punir, qui n'est pas absolument nécessaire à la défense du corps social, est un abus et non plus un droit (1).

Ce système de la défense directe a été suivi par tous les écrivains qui sont venus après Beccaria; Mably (2) et tous les philosophes du XVIII• siècle le partagèrent (3): du même principe, Rousseau avait déduit les lois de son Contrat social (4). Ce système régna près d'un demi-siècle sans contrôle, soit en France soit en Angleterre Blakstone (5) et Richard Philipps (6) l'ont adopté dans leurs traités du droit criminel et des jurys anglais. Mais les progrès de la philosophie démontrèrent qu'il n'était pas complétement satisfaisant; ce consentement antérieur des individus rela

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(2) Principes des Lois, liv. 3, chap. 4.

(3) Voltaire, Commentaire sur le livre des délits et des peines, Brissot de Warville et Morellet, ibid.

(4) Liv. 3, ch. 4.

(5) Commentaire sur le Code criminel d'Angleterre, tom. 1", pag. 17.

(6) Des pouvoirs et des obligations des jurys, chap. 12.

tivement à l'application des peines, n'était qu'une fiction. Et en effet, l'état de société est une nécessité morale de la nature humaine; la philosophie a répudié comme une chimère cette doctrine de l'état naturel que le dix-huitième siècle n'avait préconisé que pour retrouver les titres des droits de l'homme alors méconnus. L'existence sociale est l'état naturel de tous les hommes; l'histoire entière se lève pour proclamer ce principe.

Et puis, le droit de la légitime défense peut-il se confondre avec le droit de punir? Qu'est-ce que la légitime défense? c'est le droit naturel de repousser la force par la force : c'est le droit de la guerre. Mais ce droit cesse avec l'agression qui l'a fait naître. Lorsque le péril a disparu, lorsque l'agresseur est désarmé, est-on fondé à le frapper en invoquant la légitime défense? Il faut donc reconnaître au droit de punir une autre source que ce droit de la défense, puisqu'il doit survivre au danger de l'attaque, et s'exercer lorsqu'elle a cessé d'être menaçante.

Quelques publicistes ont, néanmoins, persisté dans la théorie de Beccaria, mais en lui faisant subir de graves modifications. Laissant de côté la fiction d'une convention primitive, ils reconnaissent que pour l'homme c'est un devoir de vivre en société, et ils attribuent à cette société, considérée comme force collective, une puissance d'intervention pour la défense du droit attaqué. La limite naturelle où cette action doit s'ar

rêter, c'est à la garantie du droit qu'elle est appelée à défendre. Les crimes ne sont donc, dans ce système, con sidérés que dans leur rapport avec la conservation sociale; toute action répressive qui dépasserait ce but cesserait d'être légitime. Ses partisans ont en même temps essayé de le faire coïncider avec un autre principe que nous développerons tout à l'heure, celui de la justice morale: c'est en vertu du droit de la défense que le législateur agit, mais il doit circonscrire son action dans le cercle tracé par la règle du juste et de l'injuste; il peut incriminer les faits nuisibles à la société, mais pourvu que ces faits soient coupables aux yeux de la conscience humaine (1).

On voit que ce système, quelque peu vague, qu'on a appelé théorie de la défense indirecte, renferme à la fois le développement du principe posé par Beccaria et la conciliation de ce principe avec celui de la justice morale. Sous le premier rapport, ses partisans paraissent n'envisager cette défense que comme le droit d'opposer une digue à l'action du crime; le pouvoir social n'a mission que pour se défendre et non pour punir. Mais contre qui se dirige sa défense? Ce n'est pas contre le

(1) M. Charles Lucas, du système pénal, pag. 47, 108 et suiv. -Voyez aussi M. Charles Comte, Traité de législation, tom. 1, liv. 1, chap. 6, pag. 153, et Considérations sur le pouvoir judiciaire, pag. 6.—et M. Pastoret, Lois pénales, tom. 1, 2 partie, pag. 35.

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