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tion. Car, s'il n'a pu comprendre la défense, comment avec justice pourriez-vous lui appliquer la peine? Si la prohibition était environnée d'ambiguïtés, où serait sa faute de ne l'avoir point aperçue?

-On doit done surtout rejeter sans hésitation, en matière pénale, ces interprétations tirées, soit d'analogies plus ou moins exactes, soit de rapprochemens, soit de déductions plus ou moins ingénieuses; on doit répudier l'application de ces lois pénales, dont l'existence est une question parmi les jurisconsultes, à demi vivantes, à demi abrogées par des lois postétérieures ou par désuétude (1). Comment le délinquant aurait-il connu la peine, lorsque les criminalistes eux-mêmes en controversent la vitalité? Les citoyens seront-ils punis pour avoir embrassé telle face de cette controverse? Seront-ils astreints à parcourir toutes les séries du Bulletin des Lois, pour s'assurer quelles dispositions sont éteintes, quelles dispositions peuvent se rallumer au flambeau del'interprétation? Cette tâche et cette étude appartiennent aux jurisconsultes; elles ne doivent pas être imposées aux citoyens. Les devoirs que le lég slateur prescrit doivent être tracés avec clarté par des lois vivantes, dans des

(1) Nous aurons plus d'une occasion dans le cours de cet ouvrage d'appliquer.ce principe aux peines prononcées par décrets ou ordonnances, ou exhumées d'anciens édits.

textes précis et accessibles à tous les esprits. Toute incertitude sur la force obligatoire de la loi pénale, toute ambiguïté dans ses dispositions, doivent se résoudre en faveur du prévenu, car une prohibition indécise et douteuse n'est point une raison suffisante de s'abstenir. C'est au législateur à se faire compren dre s'il veut être obéi (1).

Le principe conservateur de la non-rétroactivité reçoit deux exceptions, que les lois et la jurisprudence ont introduites.

La première est favorable aux prévenus. Elle per met à la loi pénale, nouvellement promulguée, de se retourner en arrière, et de saisir les prévenus de faits commis avant sa promulgation, dans le cas où les peines qu'elle porte seraient plus douces que les anciennes. La théorie de cette exception s'explique a sément: lorsque le pouvoir social juge que les peines dont la loi est armée sont trop sévères, lorsqu'il pense que la conservation de l'ordre social n'est pas intéressée à les maintenir, lorsqu'il désarme en un mot, il ne pourrait, sans une étrange inconséquence, con, tinuer à appliquer, même à des faits antérieurs à ses nouvelles prescriptions, mais non encore jugés, des peines qu'il proclame lui-même inutils et trop rigoureuses. Ce n'est donc pas une sorte de faveur, comme quelques écrivains l'ont dit, mais un strict principe

(1) Voyez M. Carnot, Code pénal, tom. I, pag. 21,

de justice qui justifie cette exception. Car, il serait d'une souveraine injustice d'appliquer des peines qu'au même instant on déclare surabondantes ou d'une sévérité excessive.

On trouve les premières traces de cette règle dans le dernier article du Code pénal de 1791; d'après cette disposition, tout fait antérieur à la publication de ce Code ne pouvait donner lieu à aucunes poursuites si le fait qualifié crime par la loi ancienne, ne l'était pas par la loi nouvelle, ou s'il se trouvait pour la première fois incriminé par cette dernière loi (1).

Le conseil d'État recueillit ce germe dans un avis du 29 prairial an 8 (2). Il s'agissait de savoir si les délits prévus par la loi du 29 nivôse an 6, non encore jugés mais commis pendant l'existence de cette loi, alors abrogée, devaient subir les peines qu'elle prononçait ou celles plus douces du Code pénal; le conseil d'État décida que le Code pénal était seul applicable, parce que, « il est de principe en matière crimi«nelle, qu'il faut toujours adopter l'opinion la plus « favorable à l'humanité comme à l'innocence. »>

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(1) Voici le texte de cet article : « Pour tout fait antérieur à la publication du présent code, si le fait est qualifié crime par les lois

<«< actuellement existantes, et qu'il ne le soit pas par le présent décret; ou si le fait est qualifié crime par le présent Code, et qu'il ne le soit pas par les lois existantes, l'accusé sera acquitté, « sauf à être correctionnellement puni, s'il y échoit. »

(2) Duvergier, tom. XII, pag. 246.

On retrouve plus tard ce principe dans un arrêté de la consulte extraordinaire dans les États romains, du 19 juillet 1809, portant art. 3 : « Pour tout fait « antérieur à la publication du présent arrêté, on appliquera au cas de condamnation, celle des deux «<lois ancienne ou nouvelle qui sera le plus favora«<ble au prévenu. »

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Enfin le décret du 23 juillet 1810, relatif à la publication des Codes criminels, le formula avec non moins d'énergie en ces termes : « Si la nature de la peine prononcée par notre nouveau Code pénal << était moins forte que celle prononcée par le Code <«< actuel, les cours et tribunanx appliqueront les pei<< nes du nouveau Code. >>

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Voilà la législation. De nombreux arrêts l'ont appliquée à la suite de la promulgation du Code pénal. Leurs décisions se résument presque uniformément.en ces termes, que lorsque le crime commis sous l'empire du Code de 1791, est jugé sous celui de 1810, les ju ges doivent combiner les dispositions de ces deux codes, pour appliquer à l'accusé les peines les plus douces (1). Il serait inutile d'en rappeler les espèces. Cependant deux de ces arrêts ont jugé des questions particulières qui présentent quelque intérêt.

(1) Arr. Cass. 27 fév., 20 mars, 16 juillet 1812. (Bull. off., pag. 74, 11 ¡ et 319.)-19 février 1813. (Bull, off., pag. 79.)

L'outrage fait à un fonctionnaire public dans l'exercice de ses fonctions était puni de la peine infamante de deux ans de détention par le Code de 1791 (art. 7, 4 sect., tit. 1, 2o p.): le Code pénal n'a frappé le même fait que d'une peine d'emprisonnement de 2 à 5 ans, La question a été soulevée de savoir laquelle de ces deux peines était la moins forte, pour l'appliquer à un fait antérieur au Code pénal. La Cour de cassation a jugé, et suivant nous avec raison, que la peine d'emprisonnement, quoique d'une durée facultative plus longue, devait seule être appliquée (1). C'est, en effet, la nature des peines plus que leur durée qui doit en faire graduer la gravité; entre une peine correctionnelle et une peine infamante, le choix ne devait donc pas être douteux.

Une difficulté plus sérieuse s'était élevée au sujet de l'application du Code pénal dans les États romains, Antérieurement à sa promulgation, le Code de 1791 y avait été publié; or il advint qu'un meurtre come mis sous les lois du pays, se présenta pour être jugé sous l'empire du Code pénal. Les lois en vigueur au moment de la perpétration portaient la mort, le Code de 1791 qui avait été publié durant l'instruction ne portait que 20 ans de fers, enfin le Code pénal infligeait à ce crime les travaux forcés à perpétuité. Il fallait opter entre ces trois peines : la Cour de cassa

(1) Arr. Cass. 26 juillet 1811. (Bull., pag. 216.)

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