Page images
PDF
EPUB

que l'autorité de la loi de pluviôse an 9 et déclare que le principe de la non-rétroactivité ne s'applique qu'à la peine et qu'il ne s'étend pas à la compétence ou à l'instruction. La question se représenta après la loi du 25 mars 1822 qui dépouillait les Cours d'assises du jugement des délits de presse et les transportait aux tribunaux correctionnels et aux cours royales. Nouvel arrêt de la Cour de cassation du 10 mai 1822 qui décida de nouveau « que le principe de la non-rétroac« tivité n'est applicable qu'au fond des droits acquis « et à la punition des délits antérieurement commis, << mais nullement aux règles d'après lesquelles ces droits « et ces délits doivent être poursuivis devant les tri<< bunaux. >> Cette fois ce principe est donné comme universellement reconnu; il n'est plus besoin de citer l'art. 30 de la loi de pluviôse an 9.

La déclaration de l'état de siége en juin 1832 fit de nouveau surgir cette question.Cette fois elle fut examinée de plus près, et plusieurs tribunaux hésitèrent à adopter la maxime de la Cour de cassation; mais les Cours royales de Paris et d'Angers se rangèrent à son système (1); et la première de ces Cours sanctionna le réquisitoire de M. le procureur général portant <«< qu'il faut distinguer, en matière pénale, ce qui con<«<stitue le fond ou la pénalité, et ce qui est relatif à «< la forme; que le fond est toujours soumis à la loi

(1) Journal du Droit criminel, 1833, pag. 150.

[ocr errors]

«< existante au moment du délit, à moins qu'elle ne soit plus sévère; tandis que la forme, la procédure et la juridiction dépendent de la loi qui vient d'en inves<< tir une autre autorité (1). »

C'est là tout le système qu'il faut examiner. De ce qui précède, déduisons d'abord ce point que cette distinction ne puise sa source dans aucune loi, car on ne voudrait pas apparemment invoquer aujourd'hui comme autorité la loi du 18 pluviôse an 9. Le législateur qui dépouillait les tribunaux ordinaires et qui élevait des Cours spéciales pouvait aussi facilement renverser les règles les plus communes du droit. Mais les règles spéciales qu'il créait ne sont-elles pas tombées avec les tribunaux spéciaux? La loi de pluviôse an 9 n'a-t-elle pas cessé d'être en vigueur? Comment une seule des dispositions de cette loi aurait-elle conservé force et vie? et puis, la règle exceptionnelle de compétence qu'elle posait n'étaitelle pas limitée aux dispositions mêmes de la loi? Comment lui conférer un caractère général, lui faire dominer toute la législation? de ce que dans un cas particulier, urgent, le législateur, qui violait à ce moment même les droits jusques là reconnus des citoyens, a suspendu l'une des règles communes de toute justice, comment résulterait-il, de cette

(1) Journal du droit criminel 1832, pag. 151.

TOM. I.

4

exception une règle générale, de cette usurpation un droit commun? Mettons donc la loi de côté; elle est muette, complétement muette sur ce point; occupons-nous de la question en elle-même.

Est-il nécessaire de répéter le principe général qui plane sur toute notre législation? La loi ne dispose que pour l'avenir, elle n'a point d'effet rétroactif. Voilà la règle générale, le droit commup. Toutes les lois, quelle que soit leur nature, quel que soit leur but, sont soumises à ce principe tutélaire; si l'on y a introduit une seule exception, c'est dans l'intérêt des justiciables eux-mêmes, c'est quand, soustraits à l'application de la loi nouvelle, ils en réclament eux-mêmes le bienfait. Mais la non-rétroactivité est leur droit; dans tous les cas, ils peuvent l'invoquer; qu'on révèle donc une exception écrite quelque part à ce principe de droit public; qu'on produise le texte qui aurait soustrait à son empire les lois de procédure et de compétence. Jusque-là le principe est là général et sévère ces lois comme toutes les autres, ne peuvent régir que les faits accomplis depuis leur promulgation.

Ensuite, cette distinction du fond du droit et de la forme de procéder, est peut-être admissible en matière civile. Mais en matière criminelle, la forme constitue une partie même du droit de l'accusé, car il y puise sa défense; et comment ne voir qu'une question de forme dans l'introduction d'une juridiction

ou son établissement après coup? tout ce qui touche soit à la création, soit à l'ordre des juridictions n'estil pas fondamental et sacré? les juges naturels de tout prévenu d'un crime ou d'un délit, ne sout-ils pas ceux existant au jour de la consommation du fait? Est-il donc indifférent, surtout si le délit est d'une nature politique, d'être jugé par des jurés ou des juges permanens, par une Cour d'assises ou un Conseil de guerre? La règle de la compétence, règle tutélaire, est que tout citoyen ne peut répondre de ses actes que devant un tribunal certain et connu à l'avance.

Persister à ne voir dans cette garantie qu'une affaire de forme, ce serait méconnaître le fond des choses, et créer une fiction pour étayer une règle arbitraire. Car il peut même se trouver qu'il soit plus important pour les prévenus de conserver la garantie des juridictions existantes au temps du délit, que l'application des peines en vigueur à la même époque. Qu'importait la peine au prévenu d'un délit de la presse, commis avant la promulgation de la loi du 25 mars 1822? ce qui lui importait surtout, c'était d'être traduit en Cour d'assises, devant ses juges naturels; c'était là son plus grave intérêt.

Si le droit est évident, nous cherchons vainement des raisons plausibles de le restreindre. La Cour de cassation s'est contentée d'établir en principe dans ses arrêts, ce qui était à juger; elle n'a énoncé aucun motif de solution. On doit espérer que cette

grave difficulté ne se représentera pas; mais si elle pouvait surgir encore, on se rappellerait sans doute que la non-rétroactivité des lois est l'une de ces règles éternelles qui régissent la société ; et qu'il n'est jamais permis d'y déroger à moins que ce ne soit dans l'intérêt et du consentement même de ceux que frappent les lois nouvelles.

« PreviousContinue »