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CHAPITRE TROISIÈME.

Suite des dispositions préliminaires.

Définition des crimes et délits

militaires. Art. 5 du Code pénal.

L'art. 5 du Code pénal déclare que les dispositions de ce Code ne s'appliquent pas aux contraventions, délits et crimes militaires. Mais quels faits sont réputés crimes et délits militaires? quel sens et quelle étendue la loi a-t-elle attaché à cette expression?

La loi pénale est muette sur cette question. Elle s'est contentée d'indiquer l'exception sans en poser les limites; et c'est à la législation spéciale que nous sommes forcés de nous reporter pour obtenir une solution, sans laquelle l'intelligence de notre texte ne serait point complète. Nous allons donc jeter un coup d'œil rapide sur cette législation.

Le Code pénal militaire se compose de lois successives et confuses, sans liaison entre elles, sans principes fixes, et qui n'ont d'autre harmonie que la prodigieuse élévation de leurs peines et leur tendance

continuelle à envahir la juridiction civile. Créées dans des temps de guerre et de troubles, elles se sont maintenues sans nécessité au sein de la paix, et lorsque les autres parties de la législation pénale, également armées de châtimens excessifs à cette époque, se sont successivement adoucies, les lois militaires ont gardé leurs règles inflexibles et des pénalités que leur rigueur rendrait inapplicables, si le juge qui les prononce n'était assuré que la clémence royale interviendra pour les tempérer. On trouve, dans cette législation, les actions les plus diverses (les délits militaires et les délits communs) frappées d'une peine uniforme, confondues dans la même infamie. La peine des fers est étendue à des délits purement militaires ; la peine de mort est prodiguée même à des fautes de discipline. Enfin la juridiction exceptionnelle étend sa puissance jusqu'à des transgressions communes, qui n'ont aucune relation avec les devoirs militaires.

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Une telle législation a dû souvent exciter la sollicitude du gouvernement; aussi depuis 1808, où fut assemblée la première commission qui fut chargée de ce travail, jusqu'à ces dernières années, s'est-il presque constamment occupé de la révision des lois pénales militaires. Mais soit que cette entreprise ait été hérissée de difficultés insolubles, soit que le temps ait manqué à nos assemblées législatives, ces lois, péniblement élaborées, à demi discutées et votées, sont encore inachevées. Il est toutefois impossible que beaucoup

d'années s'écoulent désormais avant que cette plaie de la législation ne soit fermée, et c'est un motif de restreindre nos observations aux points les plus importans.

Il faut remarquer, d'abord, que la loi militaire,

dans son état actuel de confusion, ou ne définit point les faits qu'elle répute militaires, ou s'écarte rapidement des définitions qu'elle hasarde. Les délits militaires, dans les lois aujourd'hui en vigueur, sont, en définitive, et, comme on le verra plus loin, tous les délits dont la connaissance et le jugement sont attribués aux tribunaux militaires. Pour déterminer le caractère légal de ces faits, nous avons donc à fixer les limites des deux juridictions. La question de classification se complique d'une question de compé

tence.

La théorie de la juridiction militaire peut se résumer dans quelques règles à peu près incontestées, et qui guideront les lecteurs au milieu du dédale pres que inextricable de la loi.

La légitimité d'une justice militaire ne pourrait être sérieusement mise en doute. Elle est légitime, a dit M. de Broglie, parce qu'elle est nécessaire (1). En effet, l'indépendance des nations n'est protégée que par les armées, et les armées ne peuvent exister

(1) Chambre des Pairs, Moniteur du 15 juin 1829, suppl.

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que par le rigoureux accomplissement des engagemens et des devoirs qui leur sont propres. Pour en assurer la constante exécution, il faut donc qu'une justice ferme et prompte frappe ceux qui les méconnaissent. On peut même ajouter que l'existence des tribunaux militaires importe à la saine distribution de cette justice; car seuls ils peuvent comprendre et les devoirs qu'il est essentiel de faire respecter, et les circonstances de la transgression qui en modifient le caractère. Cette juridiction exceptionnelle se fonde donc, d'abord, sur une haute et puissante considération politique, une raison d'état souveraine, la né– cessité d'assurer la mission d'obéissance et de sacrifices à laquelle les armées sont dévouées; elle se fonde, ensuite et secondairement, sur un principe de justice substantielle, parce que ce n'est que devant des tribunaux militaires que les délits disciplinaires peuvent obtenir bonne et sûre justice.

Mais puisque c'est de la nécessité que dérive la légitimité de la justice militaire, on doit conclure que là où cette nécessité n'est plus constatée, cette juridiction cesse d'être légitime. C'est le premier principe théorique de la matière, et il est évident que plus les règles du droit commun domineront dans l'esprit du législateur, plus les limites de la juridiction exceptionnelle seront étroites et resserrées. Passons à l'application de ce principe.

Hors des rangs de l'armée, nul ne doit être sujet.

à sa juridiction. Le citoyen appartient à la justice civile son immunité est si grande, qu'en cas de complicité il entraîne le militaire qui a coopéré à son délit devant la juridiction ordinaire. Le législateur ne doit livrer aux tribunaux exceptionnels que les individus qui, par position, par choix, par nécessité, ont ces tribunaux pour leurs juges naturels : il doit placer entre la société civile et la famille militaire une barrière qui ne peut être franchie.

Les militaires eux-mêmes doivent être considérés sous deux points de vue distincts. Comme militaires, ils ont contracté des obligations d'un ordre tout spécial. Ces obligations, lorsqu'ils y manquent, les exposent à des peines particulières; c'est à ce titre qu'ils sont réclamés par les tribunaux d'exception. Mais avant d'être militaires, ils sont citoyens; ils sont soumis, comme les autres membres du corps social, aux lis générales qui régissent le pays: accusés, eux aussi, ils ont droit à toutes les garanties que la loi assure à l'innocence en péril, et dans un intérêt opposé, s'ils ont failli, c'est à la justice du pays, à la justice ordinaire qu'ils doivent réparation. Cette distinction capitale a été trop long-temps méconnue. La société n'est plus en sûreté, lorsque la poursuite des délits qui blessent l'ordre civil n'est point confiée aux magistrats chargés de sa défense. Il faut restituer à la juridiction ordinaire tous les délits com

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