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mis, même par des militaires, contre les lois générales de la société.

La compétence des tribunaux exceptionnels ne doit donc exister que pour les militaires ou les personnes nécessairement attachées à l'armée, et seulement à raison des délits militaires qu'ils ont commis. Or, ces délits peuvent se réduire à deux espèces : les uns sont d'ordre politique, ce sont ceux qui attentent à la discipline de l'armée, ceux qui enfreignent le devoir militaire; les autres appartiennent à l'ordre moral ce sont des délits communs qui prennent un caractère mixte à raison de la qualité des prévenus et des personnes qu'ils lèsent; tels sont les délits commis de militaire à militaire, et les vols dans les casernes. Mais les infractions de cette deuxième catégorie ne doivent même appartenir aux conseils de guerre que lorsque les prévenus sont en pleine activité de service; dans toute autre situation, la nécessité du service militaire n'exigeant plus leur concours, elles doivent être de la compétence des tribunaux ordinaires.

En proclamant ces principes simples et féconds, nous ne faisons, à peu près, que résumer les longues et savantes discussions que cette matière a soulevées. C'étaient là les principales bases du projet de loi présenté en 1829 à la Chambre des Pairs, sur l'organisation des tribunaux militaires. « La législation spéciale, disait l'exposé des motifs, ne doit comprendre dans son domaine rien de plus que ce que le bien du

service exige (1). » Et M. de Broglie ajoutait dans son rapport: «On doit restituer à la connaissance du droit commun les délits commis contre le droit commun par des individus appartenant à l'armée (2). » Enfin, M. Legraverend avait professé dès l'année 1808 cette opinion « que tous les faits qui blessent les lois générales de la société ou qui sont dirigés contre des individus non militaires, doivent être considérés comme des délits communs et soumis à la justice ordinaire ; et qu'on ne doit entendre par délits militaires que les délits contre la discipline militaire, ou ceux qui sont commis de militaire à militaire (3). >>>

Voilà la théorie. Jetons maintenant un coup d'œil sur la législation en vigueur.

Et il est, d'abord, digne de remarque, que notre ancien droit avait appliqué la plupart des principes qui viennent d'être rappelés. La juridiction militaire qui, avant 1789, était attribuée 1° aux conseils de guerre dans les places et garnisons; 2° au prévôt général dans les temps de guerre; 3° aux maréchaux de France dans les affaires relatives au point d'honneur, ne s'exerçait que sur les gens de guerre (4). Jousse

(1) Moniteur du 21 mai 1829, 2o suppl. (2) Id. du 15 juin 1829, suppl.

(3) Traité de procéd. milit. et Traité de législ. crim., tom. 2, pag. 616.

(4) Ed. de Henri III de déc. 1585, et Ord. janv. 1529,

De

et Muyart de Vouglans définissent les délits militaires, ceux qui sont commis par les gens de guerre, dans les camps et armées et à l'occasion des fonctions militaires (1). Les juges ordinaires connaissaient des délits communs commis par les soldats, à moins qu'ils ne fussent en campagne (2); aux mêmes juges appartenait également la connaissance des crimes et excès commis par les gens de guerre, même dans les garnisons et dans le cours du service contre les habitans (3). N'est-il pas étrange que ces règles sages, établies dès le seizième siècle, soient vainement encore sollicitées aujourd'hui?

L'assemblée constituante, en cette matière comme en tant d'autres, avait su poser quelques principes vrais.

La séparation des deux juridictions reposait sur le caractère ou commun ou exceptionnel des délits à juger. Les délits communs alors même qu'ils avaient été commis par des militaires, étaient du ressort de la justice ordinaire (4). Le délit militaire n'était, dans ce système,

crusy et Isambert, tom. XVI, pag. 277.-Muyart de Vouglans, pag. 730.—Jousse, tom. I', pag. 376.

(1) Ibid. loc. cit.

(2) Ord. 15 juill. 1525, Decrusy et Isambert, tom. XII, pag. 405, et Lett., fév. 1540, ibid., pag. 739.

(3) Ord. janv. 1629, ord. de 1670, tit. Io, art. 12, Decrusy es Isambert, tom. XVI et XVIII.

(4) L. 22 sept.-29 oct. 1790, art. 2.-Duvergier, t. 1.

que la violation, définie par la loi, du devoir militaire (1). Tout délit qui n'attaquait pas immédiatement le devoir était un délit commun, et, d'un autre côté, nul délit n'était militaire, s'il n'avait été commis par une personne faisant partie de l'armée (2). Enfin le complice, simple citoyen, attirait le procès devant les juges civils, et s'il y avait complication dans le même fait d'un délit commun et d'un délit militaire, ou si ces deux délits pesaient par suite de deux faits distincts sur la même personne, la poursuite était portée devant les tribunaux ordinaires (3).

La convention nationale renversa cette législation. L'assemblée constituante n'avait statué que pour l'état de paix, et peut-être était-ce un tort; la discipline militaire appelle des règles distinctes pour l'état de paix et pour l'état de guerre. La convention fit de cette dernière situation l'état normal. Tous les délits commis par les militaires, qu'ils soient communs ou spéciaux, sont déférés aux tribunaux militaires. Cette juridiction envahit la juridiction civile, et les complices non militaires d'un fait commis par un militaire y sont entraînés (4).

(1) L. 30 sept.

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(2) Ibid., art. 3 et 4.

(3) Ibid., art. 5, 6 et 7.

(4) Déc. 3-18 pluviose an 2, art. 3 et 4. pag. 3.

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Le directoire ne modifia que partiellement cet état de choses. A la vérité, la loi du 22 messidor an 4 restreignit la compétence exceptionnelle aux individus qui font partie de l'armée, et renvoya devant les tribunaux ordinaires les délits auxquels avait participé une personne qui n'appartenait pas à cette armée, Mais dans cette loi même qui rétablissait une règle tutélaire, les délits militaires ne sont plus considérés comme des infractions aux seules lois militaires : tous les délits commis par les personnes attachées aux armées sont rangés dans cette classe. La compétence se décide par la qualité des individus, au lieu de se fonder sur la nature du fait.

La loi du 13 brumaire an 5 acheva de confondre des limites déjà indécises. Son art. 9 attribua à la juridiction militaire, non seulement des catégories beaucoup trop nombreuses d'individus qu'elle considère comme attachés à l'armée, mais encore les espions, les embaucheurs, qu'ils soient ou non militaires, et les habitans des pays étrangers occupés par l'armée. Il est à remarquer que cette loi n'avait de force légale que jusqu'à la paix; ses auteurs euxmêmes avaient senti que ses dispositions n'étaient pas de nature à survivre à la guerre; cependant elle est restée debout, et aujourd'hui encore elle est la loi de la matière.

Il reste à mentionner, pour former un tableau complet des lois sur la compétence, l'art. 85 de la con

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