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dans le rayon de la garnison, le militaire doit être soumis à ces tribunaux à raison des délits qu'il a pu y commettre, et qu'il rentre, au contraire, sous l'empire de la juridiction ordinaire si la prison est éloignée du corps dont il fait partie.

Cette distinction qui aplanirait beaucoup de difficultés, peut encore être invoquée dans un cas semblable, celui où le militaire est à l'hôpital : à quelle juridiction doivent être portés les délits qu'il commet dans cette position? La solution est la même. Si l'hospice est dans le lieu même où réside le corps auquel appartient le prévenu, celui-ci est considéré comme n'ayant point quitté ses drapeaux; la juridiction militaire ne l'abandonne point, elle le suit dans toute l'étendue de la garnison soit à la prison, soit à l'hôpital. Elle ne lâche prise que lorsqu'il rentre, pour ainsi dire, dans la vie civile en s'éloignant du drapeau, en restant en arrière du corps, en cessant d'en faire partie. La Cour de cassation paraît avoir adopté ce système dans un arrêt récent du 9 août 1834 (1).

Au reste, on ne doit pas perdre de vue que pendant la durée même du congé ou de l'absence, le militaire ne devient justiciable des tribunaux ordinaires, qu'à l'égard des délits communs qu'il a commis : Les infractions à ses devoirs de militaire continuent de l'en

(1) Voyez Journ. du Droit crim., cah. de novembre 1834.

trainer devant les juges exceptionnels; il se trouve dans la même situation que les militaires en non-activité et la gendarmerie. Il faut donc distinguer dans ee cas la nature du fait incriminé, si ce fait est une infraction aux lois générales qui obligent tous les citoyens, ou seulement aux lois spéciales qui n'obligent que les militaires. Nous citerons un exemple de cette distinction. Un soldat en congé avait commis un délit d'outrage envers un lieutenant de gendarmerie qui l'avait fait comparaître devant lui pour vérifier la validité de son congé. Ce délit commis par un militaire envers un officier, avait paru aux premiers juges constituer un délit militaire; mais la Cour de cassation a pensé avec raison que c'était une erreur. Pour qu'il y eût insubordination, il eût fallu que le militaire fût. le subordonné de l'officier de gendarmerie; mais celuici n'avait sur lui aucune autorité militaire, puisqu'il était étranger à son corps; c'était donc un délit com-mun justiciable des tribunaux ordinaires (1).

soit

Mais cette distinction devient inutile lorsque le militaire est sous les drapeaux; tous les délits, communs, soit spéciaux, dont il se rend coupable, sont. déférés à la juridiction militaire. La loi est vicieuse, sans doute, on l'a démontré plus haut; mais elle est encore la loi. La Cour de cassation n'a donc pas hé

(1) Arr. cass. 1 déc. 1827. (Bull. n. 292.)

sité à décider que le délit de contrefaçon imputé à un officier général, commandant une école militaire, devait être jugé par un conseil de guerre (1); et que le délit de violation de domicile dont un officier s'était rendu coupable à son corps est soumis aux mêmes juges (2). Cependant cette règle, quelque absolue qu'elle soit, a reçu quelques exceptions.

En premier lieu, il est certains délits spéciaux dont les juges formellement désignés par la loi, restent les mêmes, quelle que soit la qualité des prévenus. Tels sont les délits de chasse (3), les contraventions aux lvis de douanes et de contributions indirectes (4). Ces faits commis par des militaires, même à leur corps, sont de la compétence exclusive des tribunaux correctionnels.

En second lieu, le prévenu militaire peut avoir des complices qui n'aient pas cette qualité, et dans ce cas, d'après le principe posé dans l'art. 2 de la loi du 22 messidor an 4, ceux-ci l'entraînent devant la juridiction ordinaire. Peu importe, dans ce cas, que le délit soit commun ou militaire dans aucun cas, le simple ci

(1) Arr. 9 fév. 1827. (Bull., n. 32.).
(2, Arr. 18 juill. 1828. (Bull., n. 211.)

(3) Avis du Cons. d'état du 4 janvier 1806.

(4) Arr. cass. 18 sept. 1829, Journ. du droit crim., 1829, pag.

toyen ne peut être arraché à ses juges naturels (1); cette maxime domine la loi même. Mais quelle serait la juridiction, si un délit commun a été commis de concert par deux militaires dont l'un se trouvait en congé? La réponse est simple. Le militaire en congé n'est justiciable que des tribunaux ordinaires, à raison des délits de cette nature qu'il peut commettre; le privilége s'efface à son égard, il rentre dans les rangs des citoyens; dès lors, loin qu'on puisse l'arracher à cette juridiction, il y entraîne son complice (2).

Mais il est nécessaire que l'existence des faits de complicité ne soit pas douteuse. Ainsi le fait d'un militaire qui aurait déserté en emportant des effets appartenant à l'État serait de la compétence des conseils de guerre, encore bien que ces effets eussent été achetés par un individu non militaire; car cet achat est un délit distinct, particulier, justiciable des tribunaux correctionnels; ce n'est plus un fait de complicité, mais un fait principal. La jurisprudence a consacré ce point (3).

On a disputé néanmoins à la juridiction militaire la connaissance du crime d'embauchage lorsqu'il est commis par des individus non militaires. C'était une question très délicate. Ce crime, défini par les art. 1

(1) Arr. cass. 2 mai 1817. (Bull., n. 36.)
(2) Arr. cass. 6 sept. 1811. (Bull., n. 128.)
(3) Arr. cass. 25 juill. 1823. Bull., n. 103.)

et 2 de la loi du 4 nivôse an 4, est expressément attribué aux conseils de guerre par l'art. 9 de la loi du 13 brumaire an 5, quelle que soit la qualité de ses auteurs. Cette exorbitante attribution a révolté avee raison l'opinion publique; on a senti que l'embauchage n'était point un délit militaire; qu'il y a toujours dans ce crime existence simultanée d'un fait de conspiration ou de complicité de conspiration contre la sûreté de l'État; et que ce dernier crime ne doit appartenir qu'au jury. La jurisprudence, après avoir long-temps résisté (1), a fléchi enfin devant l'opinion, elle a renversé la loi parce qu'elle était injuste et s'est investie d'un pouvoir presque législatif, pour réédifier un principe que la législation avait méconnu (2).

er

L'argument sur lequel on s'est appuyé n'en est pas moins singulier; on a dit : la disposition de l'art. 9 de la loi du 13 brumaire relatif aux embaucheurs, a cessé d'exister, puisque l'art. 1o décrétait que les dispositions de cette loi ne seraient exécutées que jusqu'à la paix. Mais pourquoi cette disposition seule au milieu de toutes les autres? la loi du 13 brumaire n'est-elle pas le Code

(1) Arr. cass. 12 oet. 1820. Sirey, 21, 1, 118.--et affaire Caron. - 2 et 22 août 1822. Sirey, 22. 1. 291 et 321.

2) Arr. cass. 2 avril 1831 ct 17 juin 1831. Journ. du Droit criminel, 1831, pag. 295, 1832, pag. 29.

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