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militaire, le droit commun de cette juridiction exceptionnelle? comment en déclarer telle règle morte tanque les autres resteraient vivantes? La restriction de l'art. 1 s'appliquait à toutes. L'abrogation de l'une d'elles proclamée, les autres tombent d'elles-mêmes, car le même souffle les animait. Voilà l'inconvénient des mauvaises lois; les tribunaux, après en avoir long-temps gémi, finissent presque malgré eux par leur imposer leurs périlleuses corrections.

Enfin, le principe que les citoyens ne peuvent, sous aucun prétexte, être distraits de leurs juges naturels, a reçu une éclatante consécration en 1832; la Cour de cassation proclama en effet, à cette époque, à l'occasion de la mise en état de siége, « que les conseils de guerre ne sont des tribunaux ordinaires que pour le jugement des crimes et délits commis par les militaires ou par les individus qui leur sont assimilés par la loi, et qu'ils deviennent des tribunaux extraordinaires lorsqu'ils étendent leur compétence sur des crimes ou des délits commis par des citoyens non militaires »> (1).

Aujourd'hui ce principe conservateur se trouve donc inscrit, sinon dans la législation militaire, au

(1) Arr. cass. 29 juin 1832. Journ. du Droit crim., 1832, pag.

moins dans la jurisprudence qui se fonde, à cet égard, sur des textes de la Charte.

Jusqu'ici nous n'avons parlé que des militaires proprement dits, des individus appartenant à l'armée, en vertu d'un brevet ou d'une commission, d'un appel ou d'un engagement. Mais les conseils de guerre ont aussi leurs justiciables volontaires; ce sont les individus employés dans un corps de troupes quelconque, à des titres et à des services divers. C'est ici qu'on peut juger quel esprit anime le législateur. S'il est enclin au régime de l'exception, il étendra la juridiction militaire aux classes innombrables d'employés qui marchent à la suite de toute troupe un peu considérable. Ainsi l'a fait le législateur de l'an 5. Il faut voir dans la loi du 13 brumaire les catégories nombreuses qui s'y trouvent énumérées. Si le législateur, au contraire, est ami du droit commun, il ne réservera la juridiction militaire que pour ceux des employés qu'il est indispensable, par la nature même de leur service, de soumettre aux règles d'une certaine discipline: la plus grande partie des classes de la loi de l'an 5 devraient être retranchées.

La jurisprudence, soit en interprétant l'art. 10 de cette loi, soit par analogie, a successivement renvoyé devant la juridiction militaire, 1° un sous-traitant pour la fourniture des vivres, à raison des moyens illicites qu'il avait employés dans sa ges

tion (1); 2° le portier d'une ville de guerre, accusé d'homicide dans l'exercice de ses fonctions (2); 3° les domestiques des officiers, quand l'armée est en pays ennemi (3); 4° enfin les musiciens des régimens à raison des délits commis depuis leur incorporation (4), La juridiction ordinaire a été déclarée, au contraire, légitimemeut saisie des délits commis 1" par les domestiques des officiers dans les garnisons de l'intérieur (5); 2" par les garde-magasins des subsistances militaires qui se trouvent, mais sans emploi, à la suite de l'armée (6); 3° par les entrepreneurs de charrois militaires (7). Toutes ces interprétations se motivent suffisamment sur l'art. 1o de la loi de brumaire.

Rappelons un dernier principe. Les tribunaux militaires sont institués pour prononcer sur les actions publiques, en taut qu'elles concernent les personnes soumises à leur juridiction. La nature d'infractions que ces tribunaux ont à réprimer, et la nature même de leur mission doivent done avoir une influence nécessaire sur les pénalités qu'ils infligent.

(1 Arr. cass. 25 mars 1818. (Sirey, 17, 1, 90) (2) Arr. cass. 15 prair. an 8. (Bull., n. 362.)

(3) Arr. cass. 28 pluv. an 11. (Bull., n. 89.) 5 mars 1818. (Sirey, 18, 1, 273.)

(4) Arr. cass. 4 avril 1833. (Jurisp. génér., 1833, 1. 376.)

(5) Arr. 5 mars 1818. (Voyez suprà.)

(6) Arr. cass. 12 vendém. an 14 (Bull., n. 215.)

(7) Arr. cass. 12 avril 1834. (Bull., n. 110.)

Toute peine qui n'atteindrait que la fortune des coupables, ne saurait être appliquée par un tribunal qui ne saisit que les personnes. Ce principe conservateur des juridictions, et surtout des limites qui séparent les tribunaux ordinaires et les tribunaux d'exception, doit être soigneusement maintenue. Il serait inusité d'appliquer la peine de l'amende aux délits militaires; elle ne se trouve pas dans les lois actuelles. Il suit de là que les tribunaux militaires n'ont pas le droit de prononcer des réparations civiles; les parties lésées

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les délits militaires doivent donc s'adresser aux tribunaux civils (1).

Si maintenant l'on veut reprendre les lois et les arrêts que nous venons de parcourir et les ramener à des termes simples, on trouvera que, dans l'état actuel de la législation, la juridiction militaire s'étend, quant aux personnes, à tous les individus militaires ou attachés à la suite de l'armée, présens aux corps et sous les drapeaux; quant aux faits, 1° à tous les délits contre la discipline; 2° à tous les délits même communs, commis au corps et sous les drapeaux. Voilà les limites de cette juridiction : tous les autres délits communs, accomplis hors du corps, même en état de désertion (2), tous les faits que la loi

(1) Arr. cass, 23 oct. 1817. (Bull., n. 102.)

(2) Arr. cass. 15 nov. 1811 et 22 fév. 1828. Sirey, 17. 1.89 et 28.1.327.

n'a pas nommément déférés au tribunal exceptionnel, reviennent aux tribunaux ordinaires qui ont une juridiction générale, et qui ne peuvent être dépouillés que par la volonté formellement exprimée du législateur.

Encore une observation sur cette matière. Nous ne nous sommes occupés jusqu'ici que de fixer les bornes de la juridiction de l'armée de terre; mais les troupes de mer ont aussi leurs tribunaux et leurs délits spéciaux. A la vérité, la plupart des règles que nous avons rappelées s'appliquent à la fois aux deux juridictions militaires. Devant les tribunaux de la marine, c'est aussi la qualité des prévenus au moment des poursuites, c'est le lieu de la perpétration des délits, qui règlent la juridiction. Quelques dispositions particnlières doivent cependant être indiquées.

La juridiction maritime se compose de plusieurs tribunaux, dont la plupart révèlent de véritables commissions, créées pour le jugement du délit et dissoutes après ce jugement. Les modifications opérées dans la juridiction militaire et qui ont eu pour objet de la composer de tribunaux de tribunaux permanens, n'ont point pénétré dans la marine. On y connaît encore les conseils de justice et les conseils de guerre maritimes, les tribunaux maritimes et les tribunaux maritimes spéciaux, dont l'organisation actuelle est évidemment incompatible avec les principes de notre droit public. Une voix puissante s'est chargée de signaler à l'atten

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