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tion publique l'existence illégale des tribunaux maritimes (1): ces louables efforts appelleront tôt ou tard la révision de cette inextricable législation.

On comprend aujourd'hui sous la dénomination de délits maritimes: 1° les infractions commises dans les ports et arsenaux contre leur police et le service maritime par les gens de mer; ces délits sont justiciables des tribunaux maritimes (2). Deux questions se sont élevées sur l'applicatiou de cette juridiction spéciale, aux simples citoyens qui ont commis un délit contre la police maritime dans le ports et arsenaux; et aux. individus non marins mais attachés au service de la marine, qui ont commis un délit dans les mêmes circonstances. L'art. 11 du tit. XI du décret du 12 novembre 1806 déclare formellement les citoyens justiciables des tribunaux maritimes, et M. Legraverend avait vainement protesté contre cette exorbitante attribution qu'une ordonnance du 14 octobre 1818 avait même confirmée (3); mais la Cour de cassation vient de proclamer par un arrêt récent, cette disposition inconciliable avec la charte et inapplicable aux individus non militaires (4). Quant aux

(1) Réquisitoires de M. le procureur général Dupin, Gazette des Tribunaux du 10 mars 1831, et 13 avril 1834. i

(2) Déc. du 12 nov. 1806.

(3) Législ. crim., tom. II, pag. 688.
(4) Arr. 12 avril 1834. (Bull., n. 110.)

personnes qui, sans être militaires, sont cependant attachées à divers titres au service de la marine, les lois maritimes n'ont nulle part déterminé celles qui doivent être considérées comme appartenant au corps de la marine et celles qui lui sont étrangères, doit-on procéder alors par assimilation et recourir aux catégories de la loi du 13 brumaire an 5? La Cour de cassation l'a ainsi décidé (1); et cependant si pour la juridiction militaire, il a fallu une loi pour établir ces analogies, il serait rationnel d'attendre que le législateur eut également établi quelles personnes, à raison de leurs rapports avec l'armée de mer, peuvent être assimilées aux marins. Les mêmes catégories ne peuvent exister dans les deux législations, et en procédant ici par voie d'assimilation, la jurisprudence inculque arbitrairement dans les règles de la juridiction maritime des règles qui lui sont tout-à-fait étrangères.

2° Les délits commis par les forçats détenus dans les bagnes: des tribunaux maritimes spéciaux ont été institués pour en connaître (2). Les art. 70 et 71 du décret du 10 novembre 1806, soumettaient à ces tribunaux des personnes autres que des forçats. Cette disposition parut tellement exorbitante du droit commun, que le gouvernement de la restauration dé

(1) Voyez le même arrêt et le réquisitoire, Gazette des Tribunaux du 13 avril 1834.

(2) Tit. VIII du décret du 12 nov. 180.

créta par simple ordonnance, que les forçats détenus dans les bagnes seraient les seuls justiciables des tribunaux spéciaux (1). Remarquons ici, qu'un forçat est justiciable des tribunaux ordinaires à raison d'un délit commis dans un bagne, si ce délit n'a été poursuivi que depuis sa libération : c'est la qualité au moment des poursuites et non du délit, qui règle la compétence (2).

3° Les délits commis par toutes personnes embarquées sur les vaisseaux, ces délits sont déférés suivant leur gravité, soit à des conseils de justice, soit à des conseils de guerre maritimes (3).

4. Enfin, les faits de désertion pour lesquels une juridiction particulière a été créée, celle des conseils de guerre maritimes permanens (4).

Tels sont les faits qui sont soustraits par les lois existantes aux tribunaux ordinaires. Il serait inutile de s'arrêter à rechercher combien ces règles obscures et compliquées s'éloignent de la théorie que nous avons commencé par développer. Mais nous n'omettrons pas de signaler une disposition que l'on chercherait vainement dans la législation militaire d'a

(1) Ord. du 2 janv. 1817.

(2) Arr. cass. 4 fév. 1832. (Bull., n. 39.)
(3) L. 22 août 1790 et déc. 12 nov. 1826.
(4) Arrêté 5 germ. an XII; ord. 22 mai 1816.

près laquelle les délits commis à terre par des gens de mer, sous les drapeaux et à leur corps, contre des habitans, appartiennent aux juges des lieux : la juridiction exceptionnelle ne peut en revendiquer la connaissance qu'autant qu'ils se rapportent au service maritime ou qu'ils ont été commis entre personnes de l'équipage (1).

Ainsi se trouvent définis les crimes et délits auxquels le Code pénal a appliqué la dénomination de militaires; ainsi l'art. 5 reçoit une indispensable explication. Dans une théorie rationnelle, répétons-le, les délits sont limités aux infractions à la loi militaire, et telle a été aussi l'intention des rédacteurs du Code pénal: les discussions préparatoires du conseil d'Etat l'attestent; le vou exprimé au procès-verbal de ce Conseil d'une réforme de la législation militaire sur de nouvelles bases en est la preuve certaine.

Mais cet espoir du Code est resté stérile : la théorie a été étouffée sous le poids de quelques lois vieillies dont l'existence accuse le législateur : la distinction tutélaire des délits militaires et communs, vainement essayée en 1808, est demeurée sans application. Il faut dire, comme nous l'avons fait en commençant ce chapitre, que d'après les lois en vigueur, les délits

(1) Déc. 12 nov. 1806, tit. 3; L. 22, août 1790, tit. 11, art. 5.

militaires sont tous ceux que la loi défère à la juridiction militaire.

Et cependant, après avoir enlevé aux deux juridictions leurs limites naturelles et précises, le législateur qui déférait aux tribunaux militaires des délits communs, a été contraint de se reporter aux pénalités communes pour les réprimer. De là tant de dispositions successives qui prescrivent aux juges militaires d'appliquer les peines portées dans la loi commune, dans le Code pénal, à tous les cas que la loi militaire n'aura pas prévus (1). Etrange contradiction par laquelle le législateur reconnaît à la fois le caractère commun des délits et les livre aux tribunaux exceptionnels.

De là il résulte, en définitive, que l'art. 5, qui déclare les dispositions du Code inapplicables aux délits militaires, ne doit pas être entendu en ce sens que ces dispositions seront appliquées par les tribunaux ordinaires seuls. Car la loi elle-même en provoque l'application par les tribunaux exceptionnels.

Cette application a fait naître du reste, quelques questions graves : elles seront examinées dans la suite de cet ouvrage, et notamment aux chapitres de la récidive et des circonstances atténuantes.

1) Déc. 3 pluv. an 11, tit. xIII, art. 18; L. 21 brumaire an 5, art. 22; 1 mai 1812, art. 10.

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