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La nécessité des peines dépend de leur efficacité. Cette efficacité forme avec la criminalité morale du délit et le péril social que ce délit entraîne, les trois conditions de la justice pénale, les trois caractères qui doivent se rencontrer dans les actions qu'elle condamne et les châtimens qu'elle inflige. Les peines sont efficaces lorsqu'elles atteignent le but que la justice humaine se propose en les prononçant.

Quel est ce but? Cette question fondamentale de tout système pénal, et que la loi elle-même devrait trancher peut-être pour fixer les interprétations et faire connaître la fin qu'elle se propose, a été jusqu'ici diversement résolue. Les publicistes, trop préoccupés par des systèmes, ont assigné aux peines légales un objet différent suivant les théories qu'ils vou

TOM. I.

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laient établir. Bentham entraîné par cette idée que la pensée dominante des peines est l'utilité générale, enseigne que leur but principal est la prévention des délits ou l'intimidation. Le châtiment est,. d'après cette théorie, un sacrifice indispensable pour le salut commun; le mal qu'il produit doit être considéré comme une dépense que fait l'État en vue d'un profit. Ce profit c'est la prévention des crimes (1).

On ne prétend point assurément nier à la peine son caractère d'exemplarité; mais peut-on lui imprimer ce caractère aux dépens du coupable, aux dépens de la justice? Peut-on, suivant l'expression de M. Charles Lucas, imposer à un individu la souffrance et la mort pour l'édification de ses semblables? Si l'intimi dation était le but principal des châtimens, la loi aurait pour tendance nécessaire d'effrayer, d'épouvanter par ses peines. Les mesures les plus excessives seraient celles qu'elle devrait préférer: peu lui importerait qu'elles fussent injustes.

M. Charles Lucas, dans l'exposé de son système pénal, attribue à la peine un autre but, la réforme du condamné (2). Cette réforme est, aux yeux de ce

(1) Théorie des peines, pag. 15 et 195.

(2) Du système pénal, p. 213, 272, 308. On retrouve cette opinion dans les anciens auteurs: « Le premier objet des lois, disent

criminaliste, le caractère essentiel et fondamental de la répression. La législation pénale reçoit, pour ainsi dire, sa sanction du système pénitentiaire. C'est ainsi qu'il propose d'élargir le condamné, lorsque sa régénération morale est suffisamment présumée; car, dans ce cas, il suppose que la justice l'a mal apprécié : le contrôle de l'expérience doit rectifier cette erreur, La mesure de la peine dépend en quelque sorte du condamné lui-même qui peut en abréger la durée et en modifier l'exécution par sa conduite.,

Nous nous hâtons de reconnaître qu'une peine impuissante à produire aucun amendement dans les condamnés, serait en général une peine défectueuse ; mais autre chose est de voir dans cet amendement l'un de ses effets nécessaires, autre chose est d'y placer son objet principal. L'amendement du condamné est précieux en ce qu'il garantit l'avenir; mais suffit-il pour expier le passé ? La peine est une réparation solennelle due à la société. Gette dette du coupable envers la justice humaine peut-elle complètement se payer avec du repentir et des regrets? Et comment constater la véracité des promesses, la sincérité des larmes? Comment s'assurer que la régénération ne s'est pas bornée

Jousse et Muyart de Vouglans, est de corriger les coupables que l'on punit. » Traité de la justice criminelle, préf. ij.—Lois crim., pag. 39.

à effleurer les habitudes extérieures, qu'elle est descendue dans le cœur, qu'elle sera durable? Il n'est point donné à la justice humaine de sonder le fond des con

sciences.

La théorie qui repose sur la loi morale, et que M. Rossi a développée avec tant de sagacité, après M. Guizot et M. de Broglie, reconnaît à la peine un but tout différent et plus élevé : la rétribution du mal pour le mal, l'expiation du délit. Ce n'est plus sous ce point de vue un mal infligé dans une utilité générale, afin de produire sur le public une certaine impression ou de régénérer un coupable corrompu; c'est une punition infligée par la justice pour réparer le mal du délit (1).

L'application de cette théorie peut soulever plus d'une difficulté. Toute pénalité qui a l'expiation pour but, repose sur plusieurs élémens qui sont l'intention de l'agent, le rapport de l'acte avec la loi morale enfreinte, enfin un mal correspondant au degré de criminalité de l'agent et de l'acte; or, la justice humaine a-t-elle les moyens de saisir avec exactitude l'intention? Peut-elle remonter dans tous les cas et avec certitude jusqu'à la loi morale ? Eufin, même en supposant ces nuages dissipés, ne sera-t-elle pas inhabile encore à traduire dans une peine exactement

(*) Traité de droit pénal, tom. I, pag. 218 et 219.

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correspondante la criminalité de l'acte inculpé? On doit le dire la conscience est disposée à accueilliv cette mission élevée et presque religieuse du châtitiment; elle aimerait a reconnaître dans les actes de la justice humaine une empreinte de sa divine origine; elle se plairait à l'entendre invoquer les mêmes lois que la justice providentielle; mais l'imperfection de ses moyens d'application vient répandre quelque incertitude sur ce but de la répression; ik ne suffit pas que la justice se proclame une mission, il faut qu'elle puisse l'accomplir; et suivant l'aveu de M. Rossi luimême (1), faute de quantités certaines et dedonnées fixes, le problème est encore à résoudre.

Un magistrat distingué a voulu récemment concilier ces divers systèmes, en donnant à la loi pénale le triple but, de réformer, d'instruire et d'intimider et il a rappelé ce texte de Sénèque, qui l'exprime, en effet, avec une précision remarquable : « In vindicandis injuriis, hæc tria lex secuta est, quæ princeps quoque debet, ut eum quem punit emendet, aut ut pœna ejus cæteros reddat meliores, aut ut sublatis malis securiores cæteri vivant » (2). Mais on doit faire observer que cette combinaison des di

(4) Traité de droit pénal, tom. III, pag. 102.

(2) M. Victor Foucher, Observations sur le Code pénal du BréCollection des lois des états modernes, 2° tiv.

sil;

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