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vers objets de la loi pénale est loin de renfermer une conciliation de ces trois systèmes, puisque chacun de ces objets cesse à la fois d'être la fin principale de

la loi.

A nos yeux, l'intimidation, la réforme ou l'expiation ne sont point, à proprement parler, le but du châtiment, mais bien des moyens de l'atteindre. Et, en effet, la fin de toute pénalité est le maintien de l'ordre dans la société, la protection du droit. Tous les systèmes divergens viennent se confondre dans ce principe commun. C'est vers cette fin de la peine que tendent à la fois, et par des efforts instantanés, l'intimidation qu'elle inspire, l'expiation qu'elle proclame, la réforme qu'elle s'efforce d'opérer.

Ainsi, la crainte de la peine protége l'ordre social en agissant sur les hommes qui, assez corrompus pour n'être pas retenus par la seule immoralité du délit, calculent et mettent en balance le plaisir qu'il peut leur procurer et le mal du châtiment; la réforme, en enlevant au coupable lui-même le désir de commettre un nouveau délit; l'expiation, si elle est possible, en donnant satisfaction à la conscience publique, en proclamant comme un haut enseignement, le mal et sa réparation, le crime et sa punition. Mais tous ces moyens d'action sont renfermés dans la même peine; ils concourent à la rendre efficace; ils lui prêtent leur force; ils gravitent vers l'accomplissement de sa mission, qui est la conservation de la société.

Il suit de là que la peine, pour atteindre son but social, doit nécessairement produire les effets divers que lui donnait Sénèque, et qui sont de réformer, d'instruire, d'intimider. La peine la plus propre à assurer ce triple effet est donc la plus efficace : ses premières qualités sont donc d'être exemplaire, réformatrice, instructive. Exemplaire, en produisant un mal sensible à tous les yeux, et dont l'impression puisse intimider et retenir ceux qui seraient portés à imiter le coupable. Réformatrice, en régénérant le caractère et les habitudes vicieuses du condamné. Instructive, soit par son analogie avec le délit, en infligeant un mal qui soit dans une juste proportion avec sa gravité, soit par son autorité légale, en entretenant et fortifiant dans les ames la conviction de la perversité des actes qu'elle punit. C'est par là surtout qu'elle en détourne les peuples et qu'elle devient, dans le vrai sens de ce mot, exemplaire.

Mais ce ne sont pas là les seules propriétés que les peines doivent posséder. Il faut encore qu'elles soient personnelles : le châtiment ne doit frapper que Tauteur du crime. Trop souvent il blesse indirectement la famille du coupable; l'amende la plus légère diminue son revenu; l'emprisonnement peut être sa ruine. Le devoir du législateur est de restreindre ces effets indirects dans les limites les plus étroites, par le choix de ses peines: Divisibles, c'est-à-dire suscep tibles de plus ou de moins soit en intensité, soit en

durée. Les nuances de la culpabilité sont infinies; il faut que la peine, souple et variée, puisse grandir et se proportionner avec elle. Les peines indivisibles ne peuvent correspondre aux différens degrés de l'échelle des délits; elles sont excessives ou inefficaces. Egales et certaines : la peine doit emporter la privation d'un bien; mais ce bien devrait avoir la même valeur à l'égard de tous. Cependant, l'inégalité et l'incertitude sont inhérentes à la plupart des applications pénales. Existe-t-il deux prévenus qui soient placés dans les mêmes circonstances, dont l'ame, empreinte de la même sensibilité, soit au même degré accessible à la honte, aux regrets, à la souffrance? La même peine les frappe inégalement; le mal qui effleure l'un pénètre l'autre au cœur. C'est à la loi à donner des degrés à ses peines, au juge à les graduer d'après la sensibilité qu'il rencontre dans l'agent. Enfin réparables: la justice humaine n'est point infaillible; les peines dont elle dispose ne devraient donc point être irréparables. Mais l'objection tirée de cette qualité des peines ne s'applique complètement qu'à la peine de mort.

Tels sont les différens caractères que les peines doivent plus ou moins réfléchir pour remplir leur mission de justice et de conservation. Cette énumération, dont nous avons emprunté la forme analytique à Bentham, n'est point un travail superflu. Comment, en effet, porter un jugement sur les peines sans bien connaître d'abord les qualités qu'elles doivent posséder?

Comment se déterminer dans leur choix, sans raisons claires et distinctes? Il reste encore à examiner dans quelle proportion les peines doivent être infligées.

Tous les criminalistes répètent cette maxime de la loi romaine Poena debet commensurari delicto (1); mais il faut avouer avec Bentham (2) que renfermée dans des termes aussi généraux, elle est plus édifiante qu'utile. Il faudrait expliquer quelle est cette proportion de la peine avec le délit, et d'après quelle règle à tel délit on doit appliquer telle mesure de la peine. Le même publiciste pose en principe, que le mal de la peine doit surpasser le profit du délit, et de là, il déduit comme des corollaires; que si l'acte fait supposer une habitude, la peine doit être assez forte pour atteindre les actes même présumés du délinquant; que plus un délit est nuisible, plus on peut hasarder une peine rigoureuse pour la chance de le prévenir, etc.

Mais d'après quelle base déterminer le profit d'un délit? D'après quels rapports établir une peine supérieure à ce profit? Ce système qui tend à réduire à un calcul matériel la science de la législation, ne re

(1) L. 11, ff. de Ponis.-On lit également dans la loi 1, Cod. Théod. de crim. peculat. : « Placuit iam severam animadvertendi esse censuram, ut par pœna possit flagitiis inveniri et condignis nefas cruciatibus expiare. »

(2) Théorie des peines, pag. 23 et 24.

pose lui-même que sur des données plus ou moins vagues et insaisissables. N'est-il pas à craindre ensuite que pour combattre, comme l'eut dit Bentham, l'espérance du profit par la crainte de la perte, le législateur n'entre dans la voie dangereuse de l'exagération des peines? Les premières conséquences que le publiciste fait découler de son principe, ne sont-elles pas elles-mêmes la preuve de cette tendance irrésistible?

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Nous retrouvons dans les autres systèmes la même difficulté d'application. La peine doit, suivant M. Rossi, se proportionner à la nature du devoir violé et à la moralité de l'agent; mais comment apprécier avec exactitude dans chaque prévenu ces deux élémens? « Le rapport de la peine avec le délit, répond ce publiciste, est une vérité d'intuition; elle ne se démontre pas. C'est la notion du bien et du mal, du juste et de l'injuste qui s'applique au fait de l'expiation; c'est dans la conscience seule que nous pouvons en trouver la juste application; c'est elle qui doit nous indiquer la limite de la peine morale, de cette peine que la justice sociale ne doit jamais dépasser » (1). Cette liinite, on ne peut le méconnaître, est bien vague et bien incertaine; comment nous assurer que les jugemens de la conscience nous ont conduits à une appréciation vraie? La passion, les intérêts, les préju

(1) Traité de droit pénal, tom. III, pag. 102.

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