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gés, ne peuvent-ils à notre insu en altérer le résultat? Néanmoins, on peut admettre, dans l'absence d'un principe plus précis, que ces jugemens de la conscience se révèlent à l'égard de certains faits, empreints d'une naïveté, environnés d'une unanimité, qui les revêtent du caractère de la vérité même. Cette sorte de sanction populaire, quand elle a pour objet l'application d'une peine, doit servir de point d'appui au publiciste; c'est l'expression formulée de la conscience humaine; c'est l'axe sur lequel doit reposer tout le système pénal. C'est ensuite par analogie, c'est par induction de ce fait à d'autres faits qu'il pourra découvrir, sinon avec une complète exactitude, du moins par approximation, les limites de la puissance pénale à l'égard de chaque déit. La pénalité doit donc être mesurée sur la gravité intrinsèque du délit, mais elle doit l'être à la fois sur l'impulsion criminelle qui porte à le commettre; car, le nombre des délits révèle la force du péril social et de la résistance qu'il convient d'y opposer. Mais cette gradation ne doit jamais être établie de manière à ce que le châtiment paraisse à la conscience, disproportionné avec le fait punissable. C'est à ces règles, trop vagues peut être encore, que se réduisent toutes les théories sur la mesure des peines.

Nous allons faire l'application de ces principes généraux, à l'examen successif de chacune des pénalités du Code.

La première disposition que nous rencontrons dans ce Code, est la distinction des peines afflictives et infamantes, des peines simplement infamantes, et des peines correctionnelles. Cette distinction a été l'objet de graves reproches.

Elle fut contestée dès la discussion du Code pénal au conseil d'état. On lit, en effet, dans les procès-verbaux de cette discussion (1), que l'un des conseillers (M. Regnaud) proposait de se borner à énumérer les peines, toute peine, ajoutait-il, étant infamante en matière criminelle, Cette proposition fut repoussée par M. Régnier, qui soutenait qu'il n'y a de peines infamantes que celles auxquelles la loi donne ce caractère. M. Corvetto et M. Berlier répliquèrent que l'opinion peut n'être pas toujours d'accord avec la loi sur ce point et que la distinction était au moins inutile; mais elle fut néanmoins maintenue sur l'observation de M. Merlin, que la constitution n'attachait qu'aux seules peines infamantes la privation des droits politiques.

La révision du Code en 1832 ne l'a point effacée; on craignait de faire cette révision trop profonde, d'attaquer les bases mêmes du Code; mais aucune voix ne s'est élevée pour contredire M. Decazes, lorsqu'il

(1) Séance du 4 octobre 1808, procès-verbaux, Locré XXIX, pag. 109.

a dit à la chambre des pairs (1): « C'est ici qu'il y aurait lieu de traiter cette grave question de savoir si le Code a sagement fait d'établir la distinction des peines infamantes et des peines correctionnelles; si c'est une sage disposition du législateur que celle qui outrage les individus qu'elle frappe, qui les déclare infâmes alors que l'infamie n'est pas toujours attachée par l'opinion au crime dont ils se sont rendus coupables, surtout quand il s'agit de crimes politiques, que l'opinion ne frappe pas de la réprobation d'infamie. Il eut été plus rationel de faire disparaître cette distinction de peines infamantes et de peines non infamantes, distinction que la loi fait vainement, puisque l'opinion publique ne la sanctionne pas toujours; et qu'en politique les actions changent de nature, suivant les époques et les gouvernemens, et que telle action réputée crime sous tel régime attire des récompenses sous le gouvernement suivant. >>

M. Rossi, dont nous aimons à rappeler les vues élevées, a dit également : « En songeant aux moyens de punition qu'on appelle peines infamantes, la première idée qui se présente à l'esprit, est de demander : Existe-t-il telle chose qu'une peine infamante? »> (1) En effet, la conscience publique comprend et juge

(1) Code pénal progressif, p. 92.

(2) Traité de droit pénal, tom. III, pag. 189.

l'immoralité des actions, et elle apprécie mieux que la justice pénale leur valeur relative, les nuances qui doivent leur faire encourir l'éloge ou le blâme. Or, de deux choses l'une : ou l'opinion publique, flexible à l'impulsion de la loi, déclarera avec elle infâme l'auteur de ces actes; ou, comme il est arrivé maintes fois, surtout en matière politique, le peuple entourera de ses hommages celui que le juge a noté d'infamie, et voilera sa flétrissure par des couronnes Dans le premier cas, le législateur fait une chose immorale et dangereuse, en aggravant la mesure du blâme qui est due aux actes qu'il punit, en troublant par l'influence qu'il exerce les notions vraies et instinctives de la conscience publique. Dans la seconde hypothèse, il fait un acte inutile qui n'est propre qu'à décrier la loi elle-même, et à jeter le mépris sur ses dispo, sitions.

Si les peines, même simplement correctionnelles, sont méritées, ne sont-elles pas aux yeux du publie et des juges des peines infamantes? A la vérité, il y a divers degrés dans l'infamie, Mais ces degrés ne sont susceptibles d'aucune appréciation rigoureuse ; ils varient suivant les idées que chacun se fait de la morlité des personnes ou de la nature des devoirs sociaux, suivant des sentimens moraux qui ne se laissent point gouverner au gré de la loi positive. «< Toutes les peines, a dit M. Charles Comte, quand elles ne privent pas de la vie, sont afflictives et correctionnelles, et toutes

les actions qui méritent châtiment sont plus ou moins infamantes (1). »

Remarquons, au reste, que cette distinction entre les peines a un effet bizarre, c'est de faire rejeter l'infamie sur la forme du jugement, sur l'application de la pénalité, et non sur l'action elle-même; c'est de la faire dépendre, non du fait intrinsèque du crime, mais du fait extérieur de la peine. Cependant la honte est dans le délit; elle ne peut être ailleurs. Le législateur ne peut s'en rendre dispensateur officiel.

Enfin, la peine infamante perpétuelle de sa nature, brise violemment tous les liens qui unissaient le condamné à la société; elle le sépare de cette société par une barrière insurmontable. Quel espoir peut nourrir encore celui qui a été exposé sur la place publique, au mépris, et à la dérision de ses concitoyens? L'un des résultats les plus funestes, est de détruire dans le condamné toute espérance de réformation. « L'infamie, a dit Bentham, quand elle est portée à un haut degré, loin de servir à la correction de l'individu, le force, pour ainsi dire, à persévérer dans la carrière du crimę. C'est un effet presque naturel de la manière dont il est envisagé par la société. Sa réputation est perdue; il ne trouve plus de confiance nì de bienveillance; il n'a rien à espérer des hommes, et par conséquent rien à

(4) Considérations sur le pouvoir judiciaire, pag. 93.,

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