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gués se sont réunis, pour la première fois, le jour anniversaire de la naissance de Nicolas II, dans la grande salle du palais ornée de splendides peintures hollandaises du XVII siècle consacrées aux gloires de la maison d'Orange et aux souvenirs de la paix de Westphalie: cadre peu en harmonie, par ses figures allégoriques et les habits chatoyants des gentilhommes de l'époque, avec le sombre costume de ville qu'avaient revêtu les diplomates, sur lequel l'uniforme des militaires et la robe multicolore des Orientaux jetaient seuls une note plus gaie.

A la première séance du 18 mai 1899, toute de forme, M. de Beaufort, ministre hollandais des affaires étrangères, président d'honneur, a pris place au fauteuil et donné lecture d'un discours de bienvenue qui a débuté dans les termes suivants : « Au nom de Sa Majesté mon auguste souveraine, j'ai l'honneur de vous souhaiter la bienvenue, et d'exprimer à cette place mes sentiments de profond respect et de vive reconnaissance envers Sa Majesté l'empereur de toutes les Russies, qui, en désignant La Haye comme siège de la Conférence de la paix, a fait un grand honneur à notre pays. Sa Majesté l'empereur de toutes les Russies, en prenant la noble initiative qui a été applaudie dans tout le monde civilisé, a voulu réaliser le vœu exprimé par un de ses plus illustres prédécesseurs, l'empereur Alexandre l", de voir tous les souverains et toutes les nations de l'Europe s'entendre entre eux pour vivre en frères, en s'aidant dans leurs besoins réciproques. S'inspirant de ces nobles traditions de son auguste aïeul, Sa Majesté a proposé à tous les gouvernements dont les représentants se trouvent ici, la réunion d'une conférence qui aura la mission de rechercher les moyens pour mettre un terme aux armements incessants et pour prévenir les calamités qui menacent le monde entier 1. >>

Ensuite, la présidence du Congrès a été attribuée de droit à M. Staal, premier délégué russe, et la vice-présidence

(1) Conférence précitée de la paix, ibidem, p. 13. Conf. le Temps et les

Débats du 25 mai 1899.

à M. de Karnebeek, premier délégué hollandais. M. Staal, après avoir pris possession de la présidence définitive, a prononcé, dans la séance du 20 mai 1899, un discours dont voici les principaux et les plus intéressants passages, qui constituent le programme même des travaux des délégués . « Nous devons, a dit, M. Staal, rester sur le terrain de la réalité, scruter celle-ci dans toute sa profondeur afin de jeter des fondements solides, de poser des bases concrètes. Or la réalité, que nous montre-t-elle ? Nous apercevons entre les nations une communauté d'intérêts matériels et moraux qui ne cesse de s'accroître. Les liens qui unissent toutes les parties de la grande famille humaine. deviennent toujours plus étroits. Voulût-elle rester isolée, une nation ne le pourrait pas; elle est prise comme dans un engrenage vivant, fécond en bienfaits pour toutes. Elle fait partie d'un même organisme. Sans doute, les rivalités existent, mais ne semble-t-il pas qu'elles se portent plutôt actuellement sur le terrain économique, sur celui des grandes expansions commerciales qui naissent d'un même besoin d'exporter au dehors le surplus de l'activité qui ne trouve pas d'emploi suffisant dans la mère-patrie? La rivalité, ainsi comprise, peut encore être bonne pourvu qu'au-dessus d'elle plane l'idée de justice et d'un sentiment élevé de la grande fraternité humaine. Si donc les nations sont unies par des liens si multiples, n'y a-t-il pas lieu de rechercher les conséquences qui en découlent? Lorsqu'un dissentiment se produit entre deux ou plusieurs nations, les autres, sans y être mêlées directement, en sont profondément affectées; les effets d'un conflit international, se produisant sur un point quelconque du globe, se répercutent de tous les côtés. Et c'est pour cela que les tiers ne peuvent rester indifférents à ce conflit il faut que leur action conciliante s'exerce pour l'apaiser. Ces vérités ne sont pas nouvelles; à toutes les époques, il s'est trouvé es penseurs pour les suggérer, des hommes d'État pour les appliquer. Mais elles s'imposent

(1) Conférence précitée de la Paix, ibidem. p. 13. Conf. le Temps et les Débats du 25 mai 1899.

plus que jamais de notre temps; et le fait qu'elles aient été proclamées par une assemblée telle que la nôtre, marquera une date considérable dans l'histoire de l'humanité. »

<«< Les nations ont un ardent besoin de paix et nous devons à l'humanité, nous devons aux gouvernements qui nous on confié ici leurs pouvoirs et qui ont la charge du bien de leurs peuples, nous devons à nous-mêmes de faire œuvre utile en précisant le mode d'emploi de quelques-uns des moyens destinés à assurer la paix. Parmi ces moyens, il faut placer l'arbitrage et la médiation. La diplomatie les a admis depuis longtemps dans sa pratique, mais elle n'a pas précisé la modalité de leur emploi; elle n'a pas défini les cas auxquels ils seraient applicables. C'est à cette œuvre élevée que nous allons consacrer nos efforts, soutenus par la conviction que nous travaillons pour le bien de l'humanité. Mais, puisque nous sommes fermement résolus à nous tenir éloignés des chimères, puisque nous reconnaissons tous que notre tache actuelle, pour grande qu'elle soit, a ses limites, nous devons aussi nous préoccuper d'une autre face de la situation. Du moment où toute chance de conflit armé entre nations ne peut pas être écartée d'une manière absolue, en mitiger les horreurs serait encore travailler dans un but d'humanité. Les gouvernements des Etats civilisés ont déjà conclu des accords internationaux qui ont marqué des étapes importantes. Il s'agit pour nous d'en établir de nouvelles et pour cette catégorie de questions, le concours de tant de personnalités compétentes présentes à cette réunion ne peut manquer d'être très précieux. Mais il est, en outre, des matières d'une portée très haute et très ardue, qui se rattachent également à l'idée du maintien de la paix et dont l'examen a semblé au gouvernement impérial de Russie pouvoir rentrer dans le cadre des travaux de la Conférence. Il y aurait lieu de se demander si le bien des peuples n'exigerait pas une limitation des armements progressifs. C'est aux gouvernements qu'il appartient, dans leur sagesse, de peser à cet égard les intérêts dont ils ont la charge 1. »

(1) Conférence précitée de la paix, ibidem, p. 17 et 18.

12.

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La Conférence, définitivement constituée, a adressé des télégrammes de gratitude et d'hommage au Tsar et à la reine de Hollande. Après avoir organisé le service du Secrétariat 1, elle a choisi le français comme langue officielle de ses travaux et a ensuite admis, sur la proposition de M. Staal, que les délibérations resteraient secrètes. La presse devait donc être écartée de la Conférence, qui, suivant une expression humoristique, devenait ainsi la Conférence du silence aussi bien que de la paix 2. Il y avait là une mesure des plus regrettables, comme on put bientôt s'en rendre compte. Rien, d'abord, ne la justifiait, et, d'autre part, à raison du grand nombre des délégués, des fuites se produisirent. Aussi, tandis que le Secrétariat ne donnait à la masse des journalistes que des communiqués sommaires, les correspondants anglais et allemands plus favorisés transmettaient à leurs journaux les renseignements les plus détaillés. Un tel état de choses ne pouvait durer le représentant de la Suède commença par proposer de publier les débats de la commission de l'arbitrage; puis les délégués allemands réclamèrent la publication intégrale des procèsverbaux des séances. Il faut croire que certains délégués, un moment effrayés à la pensée que leurs opinions pacifiques ou guerrières pouvaient être vulgarisées, avaient repris courage, car la majorité finit par décider que les procès-verbaux seraient rendus publics après leur adoption.

Appelée à régler l'ordre de ses travaux, la Conférence a, sur la proposition de son président, divisé entre trois commissions l'étude des points divers qui lui avaient été soumis par la circulaire russe. La première, dite du désarmement, avait à son ordre du jour les quatre premiers points de cette circulaire, savoir: non-augmentation, durant un certain délai à fixer, des armées de terre et de mer, ainsi que des budgets y afférents; maintien des armes actuelles ; interdiction de projectiles ou d'engins nouveaux. Se réservant d'étudier, en réunion plénière de commission, la question

(1) Consulter sur la composition du Secrétariat, dont MM. Van Eys et Raffalovich étaient les secrétaires généraux, Conférence de la paix, ibidem, p. 15. (2) Journal des Débats du 28 mai 1899.

générale du principe d'une entente relative aux deux premiers points, elle a renvoyé les autres à deux sous-commissions techniques, l'une de la guerre, l'autre de la marine. La seconde commission, intitulée commission pour la réglementation des lois de la guerre, était saisie des trois points de la circulaire russe venant après ceux confiés à la première. Elle s'est subdivisée en deux sous-commissions chargées de présenter des rapports, la première sur la question de la Croix-Rouge (articles additionnels à la Convention de Genève), la seconde sur la réglementation des lois de la guerre (Conférence de Bruxelles). Enfin la troisième commission a été appelée à s'occuper du dernier point de la circulaire ayant trait aux bons offices, à la médiation et à l'arbitrage. Sur l'ordre du gouvernement néerlandais, divers documents, sur lesquels nous insisterons au fur et à mesure, avaient été distribués aux membres de la Conférence, dans les trois ordres d'idées déférés aux trois commissions'. 13. Entre ces trois commissions ont été répartis les divers délégués qui, pour leurs bureaux respectifs, ont fait les choix suivants ratifiés en séance plénière. Les présidents d'honneur ont été : pour la première commission, le comte de Münster (Allemagne) et M. White (Etats-Unis); pour la seconde, le duc de Te'uan (Espagne), Turkhan Pacha (Turquie) et le comte de Welsersheimb (Autriche-Hongrie) ; pour la troisième, le comte Nigra (Italie) et Sir J. Paunce fote (Angleterre). Les présidents effectifs étaient: pour la première commission, M. Beernaert (Belgique), avec M. de Karnebeek (Pays-Bas) comme président adjoint; pour la seconde, M. de Martens (Russie), avec M. Asser comme président adjoint; pour la troisième, M. Léon Bourgeois (France). Ont été désignés comme vice-présidents: pour la première commission, dans la section militaire, le général Abdullah Pacha (Turquie), le général Ardagh (Angleterre) et le général Mounier (France), et dans la section de la marine, le vice-amiral Fisher (Angleterre), le contre-amiral

(1) On consultera sur ce point la compilation faite par M. Van Daehne de Varick et publiée d'ordre du gouvernement néerlandais sous ce titre : Actes et documents relatifs au programme de la Conférence de la paix, La Haye, 1899.

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