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temps été pris pour base de négociation. Plus tard, la clause du traitement de la nation la plus favorisée a été interprétée dans un sens plus large et plus libéral; la rédaction de cette clause a été dégagée des conditions auxquelles en était primitivement subordonnée l'application; elle a impliqué, de plein droit, la jouissance, pour l'une et l'autre des parties contractantes, de toute faveur, de tout privilége ou de tout abaissement de droits qui serait accordé à une tierce puissance; c'était la substitution au principe de réciprocité d'un principe nouveau, qui est aujourd'hui généralement admis partout, celui de l'égalité sur le marché, c'est-à-dire qu'aucune situation privilégiée ne peut être faite à un État quelconque, ni pour un motif quelconque, dans l'un des pays contractants, où il ne doit plus exister qu'un seul et unique régime applicable à tous.

Le sens de cette clause du traitement de la nation la plus favorisée a toujours été considéré par le Gouvernement de l'Empereur comme tellement impératif, tellement indépendant des circonstances qui avaient pu nous déterminer, dans le cours de nos diverses négociations, à consentir à une concession nouvelle, que la promulgation de tout acte conventionnel a été invariablement suivie d'un décret étendant au Zollverein, sans conditions ni réserves, le bénéfice des avantages de toute nature que nous venions d'accorder à une tierce puissance. J'ajouterai que le Gouvernement Prussien n'avait point jusqu'à ce jour agi différemment à l'égard de la France,

L'application de ce principe, l'égalité sur le marché, a eu d'ailleurs une autre conséquence naturelle, c'est que, dans toute négociation commerciale, le Gouvernement de l'Empereur a dû, lorsqu'une concession lui était demandée, se préoccuper constamment de notre situation économique vis-à-vis non pas seulement de l'État avec lequel il traitait, mais aussi de tous les pays qui seraient appelés à jouir, de plein droit et sans conditions, des mêmes faveurs; et, dans bien des cas, cette considération a été la seule cause des résistances que nous avons opposées aux demandes qui nous étaient faites, malgré les avantages de réciprocité ou autres qui nous étaient offerts en retour.

Cette doctrine admise, et elle me paraît indiscutable, l'argumentation du Gouvernement Prussien sur la question des admissions temporaires tombe d'elle-même. Dès que l'Autriche a obtenu, dans le Zollverein, un avantage qui ne nous a pas été concédé par le traité de 1862, le bénéfice doit nous en être immédiatement acquis de plein droit, quel que soit le prix auquel, pour des raisons qui nous restent étrangères, elle a dû acheter cet avantage; autrement elle jouirait sur le marché du Zollverein d'un traitement privilégié, ce qui serait contraire à la clause du traitement de la nation la plus favorisée dont nous invoquons l'application.

Nous réclamons donc purement et simplement, Monsieur le Comte, le traitement accordé à l'Autriche dans le Zollverein. On ne saurait nous objecter que, ce traitement lui ayant été concédé moyennant une réciprocité qui n'existerait pas en France, il en résulterait pour nous une situation plus avantageuse. Cet argument ne saurait nous toucher, car ce serait déplacer la question. Nous ne demandons, je le répète, que l'égalité sur le marché du Zollverein, de même que la Prusse et l'Autriche n'ont le droit de demander que l'égalité sur le marché français; la Prusse et la France, l'égalité sur le marché autrichien.

Si les négociateurs du traité austro-allemand ont cru devoir s'assurer la réciprocité du traitement pour leurs pays respectifs, ils n'ont pu, sur ce dernier point, engager que leurs propres Gouvernements l'un vis-à-vis l'un de l'autre, et ils n'ont pu nous obliger à payer du même prix la faveur qu'il leur convenait de se concéder; ils ne pouvaient, d'ailleurs, perdre de vue les conséquences qui en résulteraient au profit des autres États, et que, pour notre part, comme je l'ai fait remarquer plus haut, nous avons toujours eues présentes à la pensée dans nos diverses négociations commerciales.

Quant aux objections tirées de la situation dans laquelle se trouverait l'Autriche, qui pourrait se croire autorisée, de son côté, en vertu de la clause du traitement de la nation la plus favorisée, à réclamer de la Prusse le bénéfice pur et simple des avantages qui nous seraient accordés, en se libérant des engagements qu'elle a contractés par l'article 6 du traité austro-allemand, elles ne seraient pas plus fondées. Dans la plupart des conventions, à côté d'une disposition générale définissant, en principe, la nature des relations qui devront s'établir entre les deux parties contractantes, il existe quelque ciause particulière aux deux États, destinée à restreindre, dans certains cas déterminés, la portée ou l'application de cette disposition générale. Dans l'espèce, l'Autriche, en ce qui la concerne, et pour des motifs que nous n'avons pas à apprécier, se serait donc, aux termes de l'article 6 et sur ce point spécial, aliéné la faculté de réclamer la jouissance du traitement de la nation la plus favorisée; mais il n'en résulterait pas pour nous une position privilégiée sur le marché du Zollverein, ce qui est le véritable noeud de la question; le privilége existerait, au contraire, pour l'Autriche, si elle devait être admise à jouir, dans les États de l'Association douanière, d'un avantage qui ne nous serait point accordé.

En résumé, Monsieur le Comte, la question n'intéresse pas seulement nos industriels dans le cas particulier dont il s'agit; c'est une question de principe qu'il nous importe essentiellement de voir résoudre dans le sens de l'interprétation qui a toujours été donnée aux stipulations comme celles de l'article 31 du traité de 1862; il y aurait,

à nos yeux, un véritable danger à ce que cette interprétation fût méconnue; je vous serai donc obligé de tenter tous les efforts possibles pour la faire accepter par le Gouvernement Prussien. Agréez, etc.

Stgné: LA VAlette.

N° 84.

Le comte Benedetti au marquis de La Valette.

Berlin, le 13 juin 1869.

Monsieur le Marquis, j'ai reçu la dépêche que Votre Excellence m'a fait l'honneur de m'adresser le 5 de ce mois, au sujet des admissions temporaires, et, me conformant à vos instructions, j'ai renouvelé auprès de la Chancellerie fédérale les démarches que j'avais déjà tentées pour faire reconnaître la légitimité de notre demande. Je me suis particulièrement attaché, en m'inspirant des considérations développées dans la communication de Votre Excellence, à placer la question sur son véritable terrain, celui des principes en matière de transactions conventionnelles; j'ai insisté sur la convenance et la nécessité de conserver à la clause du traitement de la nation la plus favorisée la portée libérale que lui attribuent l'esprit et le texte des traités conclus dans ces dernières années.

La question doit être soumise à l'examen du Conseil fédéral douanier et, dès qu'une résolution aura été prise par sa Chancellerie fédérale, j'aurai l'honneur d'en informer Votre Excellence.

Veuillez agréer, etc.

N° 85.

Signé: BENEDETTI.

Le prince de La Tour d'Auvergne au baron Mercier de Lostende,

à Madrid.

Paris, le 6 novembre 1869.

Monsieur le Baron, l'Espagne a promulgué, dans le courant de cette année, une nouvelle législation douanière qui se recommande par une simplification notable des bases de la perception, par la levée des prohibitions et par une réduction relative des droits afférents au plus grand nombre des marchandises. Toutefois, en regard de ces améliorations

du régime antérieur, nous devons constater le maintien de quelquesunes des taxes les plus onéreuses pour notre commerce, et même l'aggravation de quelques autres, de celles notamment qui atteignent notre industrie viticole. Nous devons surtout noter l'attribution de valeurs exagérées aux produits que nous importons, ayant pour conséquence de faire ressortir les droits spécifiques du tarif à des taux supérieurs aux bases fixées par la loi de douanes. La réforme accomplie dans la Péninsule ne témoigne donc guère que des aspirations libérales de son Gouvernement, et, si nous devons encourager de semblables dispositions, nous ne pouvons, d'un autre côté, accepter les changements effectués comme un résultat définitif et de nature à donner au mouvement des échanges entre la France et l'Espagne un développement en rapport avec celui des voies nouvelles ouvertes à la circulation internationale.

D'un autre côté, nous restons en présence des plaintes de notre commerce maritime, auquel il n'a été accordé aucune satisfaction durant le cours de l'année qui vient de s'écouler. Bien que les droits différentiels de pavillon dans la Péninsule et les îles adjacentes soient abolis en principe, trente-quatre articles, formant le principal élément du fret de nos navires, demeurent, jusqu'au 1er janvier 1872, assujettis à des surtaxes à leur importation par mer. Aucune facilité nouvelle n'a été accordée au cabotage en dehors de celles dont le pavillon étranger jouit déjà pour le transport des passagers et de certaines matières premières. Dans les colonies, à Cuba, les marchandises sont, comme par le passé, soumises à des droits différentiels d'importation qui, à Porto-Rico et aux Philippines, se combinent avec des surtaxes prélevées à la sortie des produits sous pavillon étranger. L'inégalité dans les charges afférentes à la navigation des deux pays, dans les bords de la Péninsule et de ses colonies, l'absence de réciprocité dans le régime de nos relations maritimes, ces deux objets des réclamations que vous avez été invité, l'an dernier, à présenter au Gouvernement du Régent, subsistent donc dans toute leur gravité.

Dans cet état de choses, nous serions pleinement autorisés à appliquer à nos relations maritimes avec l'Espagne le principe de la réciprocité prévu par l'article 6 de la loi du 19 mai 1866 qui a supprimé les droits différentiels de navigation en France, et à rentrer, en ce qui concerne le cabotage, dans le régime du droit commun, qui exclut les pavillons étrangers du privilége que les Espagnols partagent exceptionnellement sur nos côtes avec nos propres navires; nous avons pensé, néanmoins, qu'il y avait lieu de tenir compte, à l'Administration espagnole, des efforts qu'elle a faits pour s'engager dans la voie

1. Voir Archives, 1869, t. II, p. 698.

d'une sage réforme, et des intentions conciliantes que le Cabinet de Madrid nous a plusieurs fois témoignées. Le Gouvernement de l'Empereur à donc résolu de surseoir provisoirement aux mesures de représailles qu'il est en droit d'appliquer au pavillon espagnol; nous nous flattons que le Cabinet de Madrid appréciera les sentiments de conciliation qui nous dirigent, et qu'il mettra cet ajournement à profit pour introduire dans le régime de nos relations internationales, soit par un échange de stipulations, soit par une modification nouvelle de sa législation maritime et douanière, les changements que demande le commerce français. Mais il ne vous échappera pas, Monsieur le Baron, que cette situation provisoire est essentiellement précaire, et que le Gouvernement de l'Empereur n'est pas maître d'en garantir la prolongation, en présence des prescriptions de la loi du 19 mai 1866 et des réclamations qui peuvent se produire devant le Corps législatif.

Vous voudrez bien, Monsieur le Baron, communiquer à M. Martőz les explications qui précèdent.

Agréez, etc.

Signé Prince DE LA TOUR D'AUVERGNE.

N° 86.

Le prince de La Tour d'Auvergne au baron de Maynard,
chargé d'affaires de France à Lisbonne.

Paris, le 8 novembre 1869.

Monsieur, j'ai pris connaissance de la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le 29 septembre dernier, pour m'informer que le Président du Conseil avait favorablement accueilli notre réclamation relative à l'arrêté de lá direction générale des douanes, en date du 31 mai dernier. La mesure qui privait les marchandises françaises du bénéfice du régime de droit commun, à raison même de la convention qui leur assure un traitement de faveur dans le Portugal, ne pouvait, en effet, être attribué qu'à une erreur de l'administration chargée du prélèvement des droits de douané, et j'ai vu avec satisfaction que le Ministre chargé du portefeuille des Affaires étrangères n'a pas hésité à partager ma manière de voir. Je vous prie, toutefois, d'insister pour que le Cabinet de Lisbonne ne tarde pas davantage à modifier les errements consacrés par l'arrêté du 31 mai.

Vous voudrez bien lui faire observer que les perceptions effectuées depuis cette époque, contrairement an mode de tarification choisi par les expéditeurs français, doivent nécessairement être rectifiées.

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