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de ces lettres (a). En conséquence de ce règlement, tout commerçant fut obligé de tenir un compte avec la banque, une loi expresse interdisait tout arrêt juridique sur les sommes déposées à la banque. Cet avantage, ainsi que les autres attachés aux dépôts confiés à une banque de ce genre, étaient autant de motifs pour les négocians d'y porter de l'argent, et d'y laisser les sommes une fois déposées.

La banque faisait profession de ne pas prêter la moindre partie des fonds qu'elle avait en dépôt, mais de garder dans ses coffres, pour chaque florin dont elle donnait crédit sur ses livres, la valeur d'un florin en espèces. Aussi sa caisse était-elle toujours ouverte ; chaque déposant était le maître de retirer à tout instant le dépôt qu'il avait confié à la banque. En 1672, lorsque Louis XIV pénétra jusqu'à Utrecht, la plupart des particuliers redemandèrent à la fois leurs dépôts; et la banque fit ses payemens avec si peu d'embarras, qu'il ne fut pas possible de soupçonner la fidélité de l'administration. Plusieurs des pièces de monnaie qui virent le jour en cette circonstance, montraient encore les traces de l'incendie arrivé à l'hôtel de ville peu de temps après l'établissement de la banque.

Cette conduite sage des administrateurs de la banque se maintint jusque vers le milieu du siècle passé. A cette époque, la banque commença à faire des avances au gouvernement et à la compagnie des Indes; et

(a) Ce règlement n'a pas toujours été en vigueur. De tous les pays du nord on a tiré sur Amsterdam argent courant, et les lettres ont été payées sans l'entremise de la banque.

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comme une pareille innovation était absolument contraire à son institution primitive, on en fit un secret au public, ce qui était d'autant plus facile que les participans à la banque ne s'étaient réservé aucune part à son administration, pas même le droit de réviser de temps en temps les livres de la banque par une commission tirée de leur sein. Tout était abandonné au corps municipal de la ville d'Amsterdam. La ville était garante du trésor de la banque. La banque se trouvait sous la direction de quatre bourgmestres régnans. Chaque année, à la fin de l'exercice de leurs fonctions, ils remettaient le dépôt de la banque à leurs successeurs, qui, après l'avoir vérifié, s'obligeaient sous serment à le remettre intact aux magistrats qui les remplaceraient. Ces précautions paraissaient suffisantes chez une nation sage et religieuse, où les sermens étaient encore comptés pour quelque chose. L'événement a prouvé qu'elles ne suffisaient pas.

Il est à supposer que les prêts faits par la banque ne furent point donnés en crédits sur ses livres, mais en numéraire tiré de ses coffres: du moins l'administration trouva-t-elle nécessaire de fermer sa caisse pour tous ses créanciers qui auraient pu lui redemander leurs dépôts. La manière dont elle opéra ce grand changement fut si adroite que personne ne se douta du motif qui l'avait provoqué. Voici comment elle s'y prit.

Dans la vue de faciliter le commerce des lingots, la banque avait adopté la pratique de donner crédit sur ses livres moyennant un dépôt en lingots d'or ou d'argent. Ce crédit était en général de 5 pour cent environ au-dessous du prix pour lequel ces lingots pas

saient à l'hôtel des monnaies. La banque délivrait en même temps un reçu ou récépissé, portant que le dépositaire ou le porteur du récépissé pouvait retirer en une seule fois, dans un terme de six mois, les lingots déposés, en refaisant un transfert d'une quantité d'argent de banque égale à celle pour laquelle il lui avait été donné crédit sur les livres lors du dépôt, et à la charge de payer pour cent pour la garde. A défaut de ce paiement, à l'expiration dudit terme, le dépôt appartenait à la banque, au prix pour lequel il avait été reçu, ou pour lequel il avait été donné crédit sur les livres.

Vous voyez que le porteur d'un récépissé ne pouvait retirer le lingot pour lequel ce récépissé lui avait été délivré, sans rétrocéder à la banque une somme en argent de banque, égale au prix auquel le lingot avait été reçu. S'il n'avait pas d'argent de banque, il était obligé d'en acheter de ceux qui en avaient. L'administration de la banque, pour fermer sa caisse sans avoir cependant l'air de le faire, ordonna que les créanciers de la banque seraient traités sur le même pied que les emprunteurs. Comme ces derniers ne pouvaient retirer leurs lingots, sans rétrocéder à la banque une égale valeur en argent de banque, on statua de même que le propriétaire d'argent de banque ne pourrait retirer de lingots, à moins de présenter à la banque des récépissés montant à la váleur dont il aurait besoin en lingots. Par cette mesure qui paraissait seulement mettre de l'égalité entre les créanciers et les débiteurs de la banque, sa caisse fut effectivement fermée pour tous les créanciers qu'elle avait à cette époque; car

ceux qui voulaient retirer leurs dépôts ne pouvaient le faire à moins qu'une autre personne n'en eût fourni préalablement la valeur à la banque en y déposant des lingots.

Quelque étrange que fût cette ordonnance, elle n'éveilla pas le moindre soupçon contre l'administration de la banque. L'habitude de lui voir toujours. remplir ses engagemens, le souvenir de l'événement de 1672, enfin le respect qui environnait les premiers magistrats de la ville, tout contribuait à fasciner les yeux du public. Long-temps après ce changement on croyait encore à Amsterdam, comme l'article de foi le mieux établi, que chaque florin qui circulait comme argent de banque, avait son florin correspondant dans le trésor de la banque.

Cette erreur se dissipa en décembre 1790. Dans le courant de ce mois, la banque publia une déclaration portant qu'elle se réservait le droit de déterminer le prix de l'argent d'un mois à l'autre, et elle commença dès lors à le fixer de manière que ceux qui avaient déposé chez elle des lingots de ce métal, essuyèrent une perte de 10 pour cent. Elle annonça en même temps, qu'elle ne rendrait les dépôts qu'à ceux de ses créanciers qui auraient 2500 florins et au delà dans la banque.

Cette déclaration ne pouvait manquer de faire naître une défiance générale. On parvint à la calmer cette fois-ci; mais quatre ans après, lors de l'invasion des Français, une nouvelle déclaration relative à la situation de la banque, signée par les représentans provisoires du peuple d'Amsterdam, acheva de détruire

l'illusion du public. La direction se vit forcée d'avouer que depuis environ cinquante ans la banque avait avancé successivement à la compagnie des Indes, aux provinces de Hollande et de West-Frise, et à la ville d'Amsterdam la somme de 10,624,793 florins. Ainsi, quoique ses dettes passives et son actif se balançassent l'un par l'autre, les coffres de la banque ne renfermaient plus la valeur entière des dépôts; plus de dix millions et demi qui lui avaient été confiés en or et en argent, se trouvaient remplacés par des créances, et les débiteurs de cette somme n'étaient déjà plus en état de remplir leurs engagemens. Cette déclaration équivalait à celle d'une banqueroute. L'argent de banque, qui avait porté un agiot de 5 pour cent, tomba jusqu'à 16 pour cent au-dessous de la monnaie courante, et cette baisse inouie marqua l'époque de la décadence d'un institut qui pendant près de deux siècles avait joui d'un crédit sans bornes dans tout le monde commerçant, et qui avait rendu de grands services au pays qui l'avait établi.

Une question qui a souvent exercé la curiosité, c'est de savoir quel était le montant du trésor de la banque. D'après les conjectures de M. Hope, qui lui-même était un des premiers banquiers d'Amsterdam, la totalité de l'argent de banque et par conséquent du trésor en caisse, pouvait être évaluée en 1775 à 33 millions de florins. Cette somme était sans doute considérable et suffisante pour soutenir une circulation très-étendue; mais il y a bien loin de là aux idées folles que quelques personnes se sont faites de ce trésor.

La ville d'Amsterdam tire de la banque un revenu

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