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d'autres richesses réelles. Sans doute les choses ne reçoivent leur valeur que des usages auxquels on les destine; mais le numéraire métallique a un double usage, celui de servir comme monnaie, et celui d'être employé comme matière utile et précieuse; tandis que le numéraire fictif ne peut jamais servir que comme numéraire.

D'ailleurs l'or et l'argent ne peuvent être obtenus que par un travail long et difficile, ce qui suppose une grande consommation ou des frais de production très-considérables; la matière du numéraire fictif, au contraire, ne demande presque point de travail, et par conséquent sa quantité peut être augmentée à volonté. Enfin, la valeur de l'or et de l'argent est stable, autant qu'une valeur peut l'être; celle du papier varie au gré de l'opinion populaire. Il n'est donc pas indifférent, comme Law le prétendait, de se servir d'un louis ou d'un billet pour représenter toutes les autres valeurs.

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Law ayant posé pour base de son système le faux principe que nous venons d'examiner, il se voyait entraîné aux conséquences les plus absurdes. Dans un pays, disait-il, où il n'existe d'autre numéraire que celui d'or et d'argent, on peut augmenter réellement les richesses en y introduisant du papier-monnaie. Cette conséquence, vraie jusqu'à un certain point, il l'admettait dans un sens indéterminé. Vous avez reconnu, Messeigneurs, que le papier-monnaie n'augmente la richesse nationale qu'en remplaçant le numéraire métallique, qui, dégagé de son emploi comme monnaie, peut servir à d'autres usages ou être échangé

contre d'autres richesses. Law, au contraire, supposait que le numéraire métallique, augmenté du papier-monnaie, pourrait continuer de circuler comme monnaie; il ne craignait point qu'il pût y avoir jamais trop de numéraire dans un pays, que cette surabondance fît sortir ou enfouir les espèces, et que le papier, augmenté au delà des besoins de la circulation, pût perdre de sa valeur. Il pensait que l'augmentation du numéraire n'avait d'autre effet que de faire baisser le taux de l'intérêt, et qu'il était absorbé par l'accroissement de l'industrie; et, sous ce rapport, il ne voyait dans l'abondance du papier-monnaie qu'un moyen de prospérité publique. Mais le taux de l'intérêt, comme vous le savez, ne dépend nullement de la quantité d'argent qui circule; et l'abondance du numéraire ne provoque l'industrie, qu'autant qu'il est possible de le transformer en capitaux.

Dans un État, disait Law, où les peuples ne sont point encore accoutumés au crédit (comme c'était le cas de la France à l'époque du système) il faut d'abord se contenter de doubler la masse numéraire, en ajoutant aux espèces une égale valeur en billets. Le crédit n'y doit point excéder le montant des espèces, afin que les billets soient toujours convertibles en espècès à la volonté des particuliers. - Je ne vous rappelle point, Messeigneurs, qu'en doublant le nnméraire par l'émission d'un papier-monnaie, on ne double point sa valeur; que par cette mesure on ne fait que chasser de la circulation les espèces : mais supposons pour un moment que les espèces pussent circuler concurremment avec le papier-monnaie et qu'elles ne

perdissent rien de leur valeur; il ne s'ensuit point que pour cela les billets seraient toujours convertibles en espèces à la volonté des porteurs. Sur quel fonds seraientils assignés? Sur tout le numéraire métallique de la nation. Mais tout ce numéraire est-il en la possession du prince ou de la banque qui émettent les billets? Non, et même les revenus du prince, qui sont affectés à d'autres dépenses, n'en sont qu'une faible partie. Chaque particulier consentirait-il que son argent fût la caution du crédit de la banque, et servît à en payer les billets dans le besoin? Non, sans doute. Le crédit serait donc sans base, sans solvabilité, c'est-à-dire il n'existerait pas. Le numéraire d'une nation ne peut jamais former le gage des billets qu'un souverain ou qu'une banque émettent ; ce gage doit se trouver dans le trésor du prince ou dans les coffres de la banque; autrement il n'est qu'illusoire.

Un tel crédit cependant, disait Law, serait plutôt une multiplication de l'espèce qu'un crédit; car le crédit consiste dans l'excédant des billets sur l'espèce, et l'avantage qu'on y cherche n'est que dans cet excédant. L'absurdité de cette doctrine est trop palpable pour que j'aie besoin de la relever; vous voyez que Law considérait la nation entière comme une société de banque, et que son raisonnement était à peu près le suivant : Ainsi qu'une banque peut étendre l'émission de ses billets au delà de son fonds métallique, sans risquer de compromettre sa solvabilité, une nation entière le peut de même. Il ne s'agit pour cela que de créer une banque, d'y transporter tout le numéraire de la nation, et de le remplacer par des bil

lets. Ce projet, tout gigantesque et chimérique qu'il était, ne parut pas tel à Law et au régent; ils crurent l'exécution de la chose possible, et ils la tentèrent (a).

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Ce fut en 1716 que Law posa les bases de son fameux système par l'établissement d'une banque de circulation, pour laquelle il avait obtenu un privilége du gouvernement. Le fonds de cette banque fut rássemblé par des actions, et les billets étaient payables à vue en espèces de même poids et au même titre que la monnaie qui était alors en circulation. Cette clause seule les fit rechercher. Depuis 1689 les monnaies avaient essuyé des altérations continuelles; la clause des billets de banque rassurait les porteurs contre ces procédés arbitraires ; et comme la banque tint effectivement sa promesse, on leur donna bientôt la préférence sur les espèces, de sorte qu'ils gagnèrent un agiot d'un pour cent sur la monnaie métallique. La bonne conduite de la banque dans l'émission de son papier, son exactitude à remplir ses engagemens, enfin le besoin universel de crédit lui méritèrent la plus grande confiance, et disposèrent la nation à regarder son fondateur comme un homme de génie, capable de faire revivre le crédit et le commerce de la France, qui, à cette époque, se trouvèrent presque anéantis.

L'année suivante, 1717, Law se fit accorder le privilége exclusif d'une compagnie de commerce établie

(a) Law avait d'abord proposé son projet au parlement d'Écosse, qui ne jugea pas à propos de l'accueillir. Il avait exposé, à cette occasion, ses principes dans un Discours sur le commerce et sur l'argent, qui fut dans la suite traduit en français.

sous Richelieu, qu'on nommait la Compagnie d'Occident ou des Indes occidentales. Elle était depuis longtemps languissante. La banque créa 200,000 actions de 500 livres chacune, payables en billets d'État, pour lesquels le gouvernement lui constitua une rente perpétuelle de 4 pour cent. C'était un moyen d'absorber 100 millions d'effets publics les plus avilis; mais ces effets ne pouvaient point former le fonds d'une entreprise commerciale : ils étaient tellement dépréciés, à cause du mauvais paiement des intérêts, que 500 liv. de valeur nominale dans ces effets n'auraient pas été vendues sur la place 160 ou 170 livres; cependant la banque les reçut pour la valeur entière. D'ailleurs cette. combinaison d'opérations de banque et de spéculations commerciales étaient essentiellement vicieuse. Ces deux genres d'affaires sont d'une nature absolument incompatible, les chances du commerce pouvant compromettre la certitude des bénéfices de la banque, ou devant tout au moins porter atteinte à son crédit. Ce qui assure le crédit d'une banque de circulation, ce n'est pas uniquement son fonds, qui n'est ni ne peut jamais être du même montant que la somme de ses billets en circulation : c'est la persuasion qu'elle n'émet des billets que sur de bonnes valeurs qui en assureront le paiement. Mais quand la banque émet des billets pour des entreprises de commerce, souvent fâcheuses, toujours incertaines, ses billets n'ont qu'un gage incertain, et son crédit se proportionne à cette incertitude.

Cependant on ne fut point alors affecté du danger et des vices que devait produire dans les opérations de la banque la réunion de ces deux entreprises. D'un côté

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