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lets au moyen des paiemens que cette opération multiplie. Mais à l'époque actuelle, cet avantage n'en est point un pour elle, puisqu'elle a beaucoup de fonds dont elle ne trouve pas l'emploi; et les comptes courans qui sont ouverts chez elle, l'obligent à des frais de recettes et de bureaux dont elle ne reçoit aucun dédommagement. Sur environ 880,000 francs à quoi se montent la totalité de ses frais tous les ans, les comptes courans seuls en occasionent près de 600,000; ce qui ne surprendra pas si l'on songe que la banque tient plus de quinze cents comptes ouverts par débit et crédit, et soldés tous les soirs. Beaucoup de personnes qui ne sont pas dans le commerce, des étrangers même, abusent de cette facilité de faire opérer leurs recettes et leurs paiemens gratuitement; et ce qui montre combien, au moment où ceci est écrit (janvier 1823), il y a de capitaux dont les propriétaires aiment mieux perdre les intérêts que de les placer d'une manière qu'ils jugent peu sûre, les soldes de compte qu'on laisse entre les mains de la banque et dont elle ne paie aucun intérêt, ne s'élèvent pas à moins de 60 millions, dont 14 millions appartiennent au gouvernement.

C'est par une suite de cette surabondance de capitaux, comparée avec les emplois solides, que la banque possède en espèces des sommes beaucoup plus fortes que ne l'exigerait le remboursement de ses billets, en supposant même la survenance des événemens les plus critiques. La somme de ses billets au porteur en circulation s'élève à 169 millions, et les espèces effectives qu'elle a entre les mains n'est pas moindre de

208 millions! (On sent que dans un article comme celui-ci, qui n'est pas de comptabilité, et lorsqu'il est question de sommes journellement variables, je dois négliger les appoints, et ne parler que des sommes róndes.)

Sur ces 208 millions en or ou en argent, ses créanciers en comptes-courans peuvent réclamer, en espèces, les 60 millions dont elle est débitrice; ce qui réduirait ses espèces à 148 millions qu'elle aurait pour rembourser 169 millions de billets au porteur (1). Or, on sait qu'une banque qui n'a émis des billets qu'en avance sur des effets de commerce à deux ou trois mois d'échéance au plus, peut subvenir aux remboursemens les plus inopinés, moyennant qu'elle ait en caisse le tiers, ou même le quart, de la somme de billets qu'elle a dans la circulation. Celle-ci pourrait donc ne garder en caisse que 40 ou 45 millions d'espèces, et employer ro3 millions d'excédant qu'elle possède, en avances qu'elle ferait au commercé en escomptant des lettres de change.

Il est vrai que pour étendre la somme de ses escomptes, la banque de France serait obligée de prendre du papier un peu moins solide et qui entraînerait annuellement quelques pertes mais d'aussi habiles

(1) Sur ces 148 millions d'espèces disponibles, il est vrai que la banque a environ 16 millions qui ne sont que des dépôts sur lesquels elle a fait des avances; mais comme on ne pourrait retirer ces dépôts sans lui rapporter ses billets, leur restitution ferait rentrer pour 16 millions de billets; conséquemment si on les retranchait de ses espèces en caisse, il faudrait retrancher la même somme de ses billets en circulation.

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financiers que ceux qui administrent cet établissement pourraient s'exposer à quelques pertes pour jouir de l'intérêt de 103 millions, qui rapporteraient annuellement au moins 4 millions d'escompte.

Les espèces de la banque sont contenues dans des tonneaux qui occupent les caves de son palais. On sait que ce palais était l'hôtel que Louis XIV avait fait bâtir pour le comte de Toulouse. Les caves, construites avec la plus grande solidité, sont toutes voûtées, à l'épreuve du feu, et de beaucoup d'autres événemens. Toutes les issues en ont été fermées avec soin, en belle maçonnerie, sauf une seule, en forme de puits, par où les espèces sont descendues et remontées avec une poulie.

Ce n'est pas sans quelque sentiment de crainte, qu'on songe à cet immense dépôt, sur lequel un gouvernement immoral (si l'on était réduit à craindre un semblable malheur) pourrait mettre la main pour l'exécution de quelque dessein pervers! Des banques libres, parfaitement indépendantes du pouvoir, obligées seulement de rendre publiques leurs opérations, et se faisant concurrence les unes aux autres, rendraient à l'industrie des services plus signalés, et ne seraient pas accompagnées des mêmes inconvéniens.

Vales d'Espagne (a).

J.-B. S.

L'Espagne, propriétaire des plus riches mines d'argent qui soient connues dans le monde, et qui pourvoit l'univers de cette marchandise, l'Espagne elle

(a) Bourgoing, Tableau de l'Espagne moderne, 3e édit. tom. II, chap. II. Humboldt, Essai polit. tom. II, p. 808.

même a connu le papier-monnaie. Dès le début de la guerre d'Amérique, le gouvernement, privé des trésors périodiques que le nouveau continent lui fournissait et qu'on ne voulait pas exposer à l'avidité des corsaires anglais, crut devoir recourir à cette ressource jusqu'alors inconnue en Espagne. Il créa du papiermonnaie pour la valeur de 9 millions de piastres d'Espagne. Ce papier était partagé en 16,500 billets ou vales réales, auxquels on attacha un intérêt de 4 pour cent, et qui n'étaient payables qu'après la paix, à une époque indéterminée. On blâma le gouvernement de n'avoir pas en même temps établi une caisse où ces billets auraient été acquittés au pair à leur présentation; mais il aurait fallu avoir pour cela des fonds disponibles, et la création même du papier-monnaie prouvait qu'on n'en avait pas.

Les vales, dès l'instant de leur création, furent perdus dans l'opinion publique. L'appåt d'un intérêt, et d'un intérêt supérieur à celui que donnaient les placemens accoutumés (a) ne suffit pas pour les mettre en crédit. On les recevait avec répugnance; on s'en dépouillait avec empressement. Dans le cours de la guerre ils perdirent, à certaines époques, jusqu'à 26 pour

cent.

Cependant, comme les besoins du gouvernement augmentaient avec les progrès de la guerre, il fit en

(a) En Espagne, les particuliers qui ne faisaient pas valoir euxmêmes leur argent, le plaçaient pour la plupart dans la caisse des gremios ou de la communauté des marchands de Madrid, qui ne leur payait que le modique intérêt de 2 et demi ou 3 pour cent.

février 1781 une nouvelle émission de vales pour la somme de 5 millions, et l'année suivante une autre pour la valeur de 14,800,000 piastres. Il se trouva donc alors chargé, pour cet objet seul, d'une dette de 28,800,000 piastres, sans compter d'autres obligations moins apparentes, qui portaient la dette à près de 53 millions.

Lors de la première émission des billets, Charles III avait pris l'engagement d'en retirer une partie de la circulation. Mais comme, en commençant la guerre, il avait grevé ses peuples d'une augmentation de l'impôt sur les comestibles, au retour de la paix, il crut plus pressant de les soulager de ce fardeau que de tenir sa parole aux créanciers de l'État ; et ce ne fut qu'au mois de juin 1785 qu'il retira pour 1,200,000 piastres de billets.

Quelques semaines après, ce ne fut pas sans étonnement qu'on vit une nouvelle émission de 3,200,000 piastres. Il est vrai qu'elle avait pour unique objet de procurer des fonds pour la continuation du canal d'Aragon, dont les profits devaient lui servir d'hypothèque; qu'ainsi elle pouvait être regardée comme un surcroît de charge pour l'État. Les alarmes qu'avait excitées le papier-monnaie, se dissipèrent peu à peu; les billets se remirent au pair, et à la fin de 1786 on commença à les rechercher et même à les négocier avec avantage.

La

guerre qui éclata en 1793, én nécessita de nouvelles émissions; cependant les vales ne perdirent que 25 et 30 pour cent aux époques les plus critiques; ce qui doit surprendre d'un papier qui était sans hypothè

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