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prix d'une marchandise peut hausser ou baisser indépendamment du prix des autres marchandises, qui resterait immuable. Dans cette supposition, chaque diminution dans la quantité d'une marchandise augmenterait sa valeur sans nuire à la valeur des autres marchandises; et si la quantité de toutes les marchandises diminuait successivement, il en résulterait que les propriétaires de ces marchandises s'enrichiraient les uns après les autres, précisément dans la même proportion que la richesse nationale diminuerait. Cette illusion disparaît aussitôt qu'on se rappelle que le prix est toujours relatif, et que celui d'une marchandise quelconque ne peut monter sans que le prix de toutes les autres ne baisse relativement au premier. Ainsi, quand le prix d'une marchandise vient à hausser, la fortune des propriétaires de cette marchandise augmente à la vérité; mais celle des propriétaires des autres marchandises diminue relativement à celle-là, et conséquemment la somme des fortunes individuelles reste la même. Ce n'est que dans les rapports du commerce extérieur qu'une variation dans les prix affecte la somme des fortunes individuelles, c'est-à-dire la fortune nationale.

Je ne me serais pas arrêté à combattre ces paradoxés si cette tâche ne m'avait fourni l'occasion de développer davantage les notions de richesse individuelle et de richesse nationale. Pour mettre une vérité dans son plus grand jour, il est bon quelquefois de lui comparer les sophismes qu'on élève contre elle : les raisons qu'on emploie pour confondre ceux-ci deviennent autant d'appuis pour la première.

NOTE XVIII.

Sur les moyens que l'Angleterre emploie pour conserver aux inventeurs le monopole de leurs découvertes.

(T. III, p. 76. )

CEs moyens sont de deux espèces : les brevets d'invention ou les patentes que le gouvernement accorde à tout inventeur, et les précautions que prennent les particuliers pour cet effet.

En Angleterre, quand un particulier invente un produit nouveau, ou bien découvre un procédé inconnu, le gouvernement, sur sa demande, lui accorde une patente ou un privilége exclusif de fabriquer ce produit ou de se servir de ce procédé. Cependant, comme tout gouvernement doit veiller à améliorer sans cesse le sort de sa nation, il ne peut pas priver à jamais les producteurs de l'avantage de consacrer leurs capitaux et leur industrie à cette production, ni les consommateurs de celui de s'en pourvoir au prix où la concurrence peut la faire descendre. D'ailleurs les nations étrangères, sur lesquelles il n'a aucun pouvoir, admettraient sans restrictions cette branche d'industrie, et seraient ainsi plus favorisées que la nation où elle aurait pris naissance.

Les Anglais ont donc fort sagement établi que de tels priviléges ne peuvent durer au delà de quatorze années, au bout desquelles la fabrication de la mar

chandise qui en est l'objet est mise à la disposition de tout le monde. Quand le procédé privilégié est de nature à pouvoir demeurer secret, le même acte statue que, le terme du privilége expiré, il sera rendu public. Le producteur privilégié (qui, dans ce cas, semblerait n'avoir aucun besoin de privilége) y trouve cet avantage, que si quelque autre personne venait à découvrir le procédé secret, elle ne pourrait néanmoins en faire usage avant l'expiration du privilége.

Le privilège obtenu pour la fabrication d'un produit ne limite point son perfectionnement; car le moindre changement apporté à ce produit par une autre personne lui fait aussi obtenir un pareil privilége. De là vient que tout est patenté en Angleterre ; on y voit des serrures, des bas, des bottes, etc., patentés.

Il n'est aucunement nécessaire que l'autorité publique discute l'utilité du procédé ou sa nouveauté. S'il n'est pas utile, tant pis pour l'inventeur. S'il n'est pas nouveau, tout le monde est admis à prouver qu'il était connu, et que d'autres avaient le droit exclusif ou général de s'en servir; dans ce cas, l'acquéreur de la patente en a payé inutilement les frais.

Le public n'est donc point lésé par ce genre d'encouragement, et il peut en recueillir de grands avantages. Cependant, quelque bonne que soit une patente pour garantir à l'inventeur la propriété de sa découverte dans l'intérieur de l'Angleterre, elle n'a aucun effet hors des limites de ce pays. C'est la raison pourquoi les producteurs anglais, ceux même qui ont obtenu des patentes, usent de tant de précautions en

vers tous ceux qui viennent visiter leurs ateliers, surtout envers les étrangers. « Cette nation avide et jalouse, dit Baert (a), que l'intérêt et l'orgueil portent à montrer avec tant d'empressement ses magasins, ne laisse voir qu'avec peine ses manufactures; soit qu'elle craigne qu'on ne découvre quelques-uns des procédés cachés qui y sont en usage; soit qu'elle calcule la perte de temps que ces visites occasionent aux ouvriers ; soit enfin parce que leurs ateliers étant généralement assez vilains (très-peu de gros manufacturiers ayant le luxe déraisonnable, et si commun ailleurs, de les réunir dans de grands et beaux bâtimens), leur vanité s'y trouve peu satisfaite (6). On pénètre cependant quelquefois dans quelques-unes de ces manufactures, avec de fortes recommandations de quelques gros gocians, malgré l'assurance que le chef ne manque jamais de donner, d'une convention faite avec ses confrères de n'y laisser entrer aucun étranger; mais on cache avec un soin extrême et très-naturel les objets dont la découverte n'est pas encore généralement connue. Des manufacturiers allemands établis depuis plusieurs années à Manchester, m'ont assuré n'avoir jamais pu

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(¿) Dans toutes les manufactures qui n'exigent pas qu'un grand nombre d'ouvriers soit rassemblé, comme les fonderies, les verre. ries, les poteries, les moulins à coton, etc., on les laisse travailler chez eux, souvent même à la campagne, au milieu de leur famille qui les aide et partage leur logement, leur lumière, leur feu ; les apprêts se donnent ensuite chez différens apprêteurs, et le manufacturier n'a chez lui que ses magasins.

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entrer dans des ateliers où s'apprêtent des marchandises manufacturées pour leur compte. Avec un peu d'adresse, d'honnêteté, et ne montrant pas trop d'empressement, on parvient, en Écosse et en Irlande, où les entrepreneurs sont moins mystérieux, à voir les machines et les procédés dont on fait un si grand secret en Angleterre. Au reste, tous les voyageurs sont d'accord sur les difficultés qu'on éprouve à pénétrer dans les manufactures anglaises, et s'ils s'en plaignent, c'est à tort; car qu'y a-t-il de plus naturel et de plus légitime, que de vouloir conserver sa propriété ? Or les découvertes mécaniques sont une propriété qu'on peut enlever par les yeux, et sans toucher à aucun des outils qui y sont relatifs..

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