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entrepreneurs roturiers l'emportent dans tous les autres genres par le nombre des ouvriers.

Le nombre total des ouvriers employés dans toutes les manufactures se montait à 118,993, parmi lesquels on comptait 31,160 serfs attachés à ces établissemens, y compris les esclaves achetés par les entrepreneurs roturiers; 27,292 appartenaient aux propriétaires fonciers et 60,541 s'étaient engagés librement à travailler dans les fabriques. Ainsi, dans la totalité des manufactures russes, la proportion du travail libre au travail forcé est comme 60 à 58; preuve que l'industrie manufactu rière, même dans un état languissant et faible, ne pent point se passer du travail libre, comme l'agriculture (a).. Il ne faut point croire cependant que ces 60,000 ouvriers qui se louent au travail des fabriques, soient tous des ouvriers libres : la plupart sont des paysans de la couronne ou des esclaves censitaires qui ont reçu des passe-ports pour s'éloigner de leurs terres. On comprend facilement que tant que cet ordre de choses subsiste, l'industrie manufacturière ne peut point prendre racine en Russie, et encore moins se perfectionner. Pour la plupart, l'homme qui se présente pour travailler dans une fabrique, n'a jamais fait ce métier et n'en a aucune idée (b); au bout d'un an ou deux, avec l'aptitude étonnante qu'a le peuple russe pour tous les

(a) Comparez tom. III, p. 175.

(6) Feu M. Schnoor, auquel la typographie russe a de si grandes obligations, m'a dit plus d'une fois qu'il se voyait réduit à chercher ses compositeurs et ses imprimeurs parmi les journaliers qui se présentent au pont de Kasan pour se louer au jour où à la se

travaux mécaniques, il devient un ouvrier passable : mais voilà le terme de son passe-port échu; il faut qu'il retourne à son village, où la dextérité qu'il vient d'acquérir reste enfouie pour toujours. Quelquefois aussi il revient à la ville; mais ses habitudes ont changé; il a perdu la routine de son ancien métier; et s'il ne peut pas d'abord se placer dans celui-là, il en embrasse tel autre dans lequel on veut l'employer. Dans les pays où l'ouvrier jouit de la liberté personnelle, non-seulement le même homme fait toute sa vie le même métier, mais pour la plupart le fils embrasse le métier de son père, et apprend à l'aimer et à l'exercer dès sa première enfance. En considérant les entraves que l'esclavage met au succès des manufactures en Russie, on doit s'étonner de les voir parvenues au point où elles sont aujourd'hui; que ne peut-on pas augurer de leurs progrès, quand un jour ces entraves cesseront ?

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Tableau des manufactures russes en 1812.

NOMBRE DES OUVRIERS.

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NOTE XXI.

Sur les progrès de l'Irlande en industrie et en richesse nationale (a).

(T. HI, p. 3og.)

L'IRLANDE est un excellent pays, dont le sol, presque partout gras et friable, est propre à toutes les productions des climats du nord et surtout aux pâturages. Young le croit, malgré quelques chaînes de montagnes incultes, plus généralement fertile que l'Angleterre.

Dans la seconde moitié du dix-huitième siècle, ce pays avait fait de grands pas vers la prospérité. Des routes superbes s'étaient ouvertes de toutes parts, ses villes s'étaient prodigieusement agrandies, les demeures de la classe aisée de ses habitans s'étaient presque entièrement rebâties, son revenu territorial et son commerce avaient plus que doublé, le produit de sa principale fabrication, celle des toiles, s'était accru de plus des deux tiers, et sa population avait augmenté en raison de ces progrès de l'industrie. Malgré cela l'Irlande était encore un pays pauvre. La grande iné

(a) Les faits vraiment instructifs que contient cette note sont tirés de l'écrit de M. d'Ivernois, qui a pour titre : Effets du blocus continental sur le commerce, les finances, le crédit et la prospérité des les britanniques. Lond. 1810.

pro

galité des fortunes, le défaut de capitaux et de lumières parmi la classe des entrepreneurs, l'oppression, la misère, et conséquemment la paresse, dans laquelle vivait la classe ouvrière, enfin la défiance du gouvernement britannique et la haine secrète que les Irlandais nourrissaient contre une domination qu'ils regardaient comme étrangère; toutes ces causes arrêtaient les grès de ce peuple. Une grande partie de ces maux pouvait être écartée par l'union politique des deux îles, comme ils avaient été écartés en Écosse par un pareil contrat : c'était le vœu ardent de tous les hommes éclairés des deux pays; mais telle était la force des passions et des préjugés nationaux, qu'il eût été impossible de l'exprimer sans être signalé comme un traître. Quoique le parlement d'Irlande ne fût et ne pût être qu'une législature subordonnée, la prolongation de cette fausse indépendance parut le bien le plus précieux aux Irlandais. Cependant elle prolongeait les anciens conflits commerciaux et en préparait une foule d'autres entre deux îles qui, tout en s'appelant sœurs, se traitaient néanmoins en sœurs rivales pour l'impor tation et pour l'exportation de leurs produits. Bien que les Irlandais fussent encore plus que les Anglais victimes de cet ancien état des choses, l'idée de devenir, ainsi que l'Écosse, une simple province de l'empire, se présentait à eux comme une dégradation, comme une espèce de suicide politique. Le tiers-état lui-même, qui y a déjà tant gagné, et les catholiques, qui sans doute en profiteront le plus à l'avenir, repoussaient de concert cette mesure, avec un zèle presque égal; quoique par des motifs différens. Quant aux grands

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