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enfans de plus, depuis le blocus, n'expliqueraient nullement une importation additionnelle de 202,016 quintaux de sucre, de 844,162 aunes de drap, 263,799 livres de cotons filés, 221,027 livres de laines filées, et de 759,124 gallons de liqueurs spiritueuses étrangères: encore moins expliqueraient-ils l'accroissement de travaux dont on peut juger par celui de ces exportations.

Les faits que nous venons d'analyser présentent un tableau de statistique unique en son genre, et dont les colonies les plus florissantes n'ont jamais fourni d'exemple. Il est vrai que, par cet accroissement prodigieux d'importations, les achats du peuple irlandais ont augmenté dans un rapport encore plus rapide que ses ventes; mais cette circonstance, qui répandrait l'alarme chez la plupart des autres peuples, est envisagée dans les îles britanniques comme un symptôme de prospérité. Arrêtez-vous sur ce point, Messeigneurs; car je ne connais rien de plus propre à mettre en évidence combien se trompent ceux des administrateurs continentaux qui, en voyant s'accroître les importations de leurs administrés, n'y aperçoivent que des sujets d'alarme. «Elles font sortir l'argent du pays; elles favorisent le travail de l'étranger au détriment de celui des nationaux; elles ruinent ceux-ci par des dépenses au-dessus de leurs moyens : » voilà ce qu'on les entend prêcher de toutes parts. Vous trouverez peut être que je reviens trop souvent sur ces'erreurs; mais elles sont si communes et en même temps si nuisibles, que je crois de mon devoir de ne négliger aucune occasion pour en démontrer la fausseté, soit par

des argumens, soit par des exemples. Et quel exemple

plus frappant pourrais-je opposer à cette doctrine, que celui de la prospérité des Irlandais!

Cependant, s'il est vrai que depuis l'union la quantité additionnelle des produits que l'Irlande a achetés au dehors, a été plus forte que la quantité additionnelle des produits qu'elle y a vendus; d'un autre côté, il n'est pas moins vrai que la valeur de ses exportations a surpassé la valeur de ses importations, de sorte que sa balance commerciale, qui aurait dû tourner à son désavantage, lui est devenue de plus en plus favorable. Cette contradiction apparente ne peut plus vous embarrasser, Messeigneurs; car vous savez que les exportations des Irlandais consistent principalement en produits bruts, et leurs importations en produits. manufacturés; que le prix des premiers augmente, et que celui des seconds baisse à mesure que les pays qui les exportent font des progrès dans leur industrie (a). Ainsi la balance même du commerce n'a cessé d'aug menter, et est aujourd'hui huit ou neuf fois plus forte en faveur des Irlandais qu'elle ne l'était avant l'union. Mais supposons qu'elle leur fût contraire, supposons qu'ils eussent vu s'écouler de leur île pendant ces anṣ nées deux à trois cent mille livres sterling espèces: en quoi cette perte les aura-t-elle appauvris, si dans les mêmes années leurs richesses en maisons, clôtures, plantations, bestiaux, meubles, vêtemens, instrumens de travail, etc., etc., se sont augmentées de deux à trois millions sterling? Tels sont toujours les fruits

(a) Voyez liv. IV, ch. XV, et la note V, où ce principe se trouve éclairci par l'exemple même de l'Irlande,

d'un grand commerce extérieur, que sa balance soit favorable ou non. C'est par les valeurs réelles qu'il fait naître, et qui restent au dedans, et non par les métaux précieux qu'il y retient ou qu'il pompe du dehors, qu'on doit calculer ses profits.

Nous avons vu que l'Irlande est arrivée, en fait d'activité exportatrice, à la même hauteur qu'atteignit la Grande-Bretagne il y a a cinquante ans, lorsqu'elle commença à devancer les Français dans la carrière commerciale. Si l'Irlande fait vers le travail et la richesse des pas encore plus rapides que n'ont jamais été ceux des Anglais, elle en est surtout redevable au blocus continental. Quand cette mesure extraordinaire a donné aux Irlandais le monopole exclusif du riche marché de la Grande-Bretagne, faut-il s'étonner qu'ils aient redoublé de travail pour obtenir de leur fertile sol les productions rurales que toute l'Europe, et jusqu'à l'Amérique-Unie, refusaient aux îles britanniques?

Les Irlandais en ont profité sous une foule de rapports. 19 Ils ont saisi ce moment pour pousser la culture des avoines et celle du lin, ainsi que pour reprendre la filature de ce dernier, qui s'était ralentie depuis quelques années, mais dont l'exportation a triplé depuis qu'il est défendu aux Prussiens d'envoyer en Angleterre leurs lins filés.

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2o Le monopole du marché britannique que le continent européen et l'Amérique déléguèrent ainsi à l'Irlande pour la vente de ses productions, y ayant beaucoup haussé leur valeur, non-seulement elle en a créé et vendu davantage, mais elle en a reçu un prix presque double. Il n'y a pas jusqu'à la vente de ses toiles à qui

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le blocus n'ait été éminemment favorable, par cela même qu'ayant fermé aux navires neutres tous achats en toiles de Bretagne, de Flandre, de Hollande, de Saxe et de Silésie, l'Irlande a eu tout à la fois pour les siennes, et le monopole de la Grande-Bretagne et celui du Nouveau-Monde.

3o Le prix des denrées coloniales ayant graduellement baissé depuis que l'entrée de la France et d'une partie de l'Europe leur fut fermée, les Irlandais en ont profité pour acheter à moindre prix une beaucoup plus grande quantité de ces denrées. Peut-être cette consommation diminuera-t-elle à mesure que leur prix se relevera; mais il est plus probable que les Irlandais, qui ont pris goût à ces jouissances, travailleront davantage, et produiront d'autant plus de lin, de chanvre, d'avoines, etc., pour ne point éprouver la privation du sucre et du rum. Avec un peuple aussi ingénieux, tout ce dont il s'agissait était de lui donner des besoins et de le stimuler au travail. Grâce à l'union et au blocus, pas est franchi.

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NOTE XXI.

Sur la dextérité du peuple russe.

(T. III, p. 334.)

« Le Russe, dit M. Faber (a), a une aptitude étonnante pour prendre toutes les formes, pour acquérir toutes sortes de talens; il sait tout imiter. Langues, arts, manières, il saisit tout avec facilité; il a de l'adresse pour tout. J'ai pris mon Fédotte au hasard, je l'ai dépouillé de son sarreau de paysan. J'en aurais fait mon secrétaire, mon écuyer, mon maître d'hôtel, mon intendant. N'ayant besoin que d'un laquais, j'en fis mon aquais. Le lendemain du jour où je le pris à mon service, je ne le reconnaissais plus : il parut le matin en grosse cravatte, souliers cirés à noeuds, les cheveux dressés en crête, et le tablier retroussé par un bout; il me servit du thé d'un air affairé; au bout de huit jours il y mettait de l'élégance : il avait pris exemple sur des valets de chambre... Mais ce n'est pas tout: il sait tous les métiers; je l'ai trouvé tricotant des bas, raccommodant des souliers, faisant des

(a) Dans ses Bagatelles, ou Promenades d'un désœuvré dans la ville de Saint-Pétersbourg, écrit qui renferme, sous un titre frivole, une foule d'observations fines, justes et neuves sur le peuple russe, et qui doivent intéresser tous ceux qui mettent quelque prix à l'étude de l'homme.

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