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NOTE I.

Opinion d'Aristote sur le système mercantile.

(T. I, p. 101.)

IL se trouve dans la Politique d'Aristote (liv. 1, c. 9) un passage qui est tellement applicable au système mercantile, qu'on dirait que le philosophe grec en a eu connaissance. Il distingue deux genres de richesses: les choses utiles ou nécessaires à la vie, qu'il appelle les vraies richesses; et l'argent, qu'il désigne comme la richesse imaginaire ou fictive. Après avoir parlé des premières, voici comment il s'explique sur l'argent :

« La monnaie étant inventée pour le besoin du commerce, il s'est élevé une nouvelle manière d'acquérir. C'est sur le profit pécuniaire qu'elle spécule: elle ne s'occupe que de chercher d'où il vient le plus d'argent; elle est la mère des grandes fortunes. C'est en effet dans la grande quantité d'argent qu'on fait communément consister les richesses. Cependant l'argent n'est qu'un être fictif, et il ne tient sa valeur que des institutions sociales. L'opinion de ceux qui en font usage n'a qu'à changer, et il ne sera d'aucune utilité et ne procurera pas la moindre des choses nécessaires à la vie. On en aurait une énorme quantité, qu'on ne trouverait point par son moyen les alimens les plus indispensables. Or il est absurde d'appeler richesse un métal dont l'abondance n'empêche pas de mourir de faim; témoin ce Midas de la fable, à qui le ciel, pour le punir de son insatiable avarice, avait accordé le don de

convertir en or tout ce qu'il toucherait. Les gens sensés placent donc ailleurs leurs richesses, et préfèrent un autre genre d'acquisitions; en quoi ils ont raison. Les vraies richesses sont celles de la nature; elles seules font l'objet de la science économique. L'autre manière de s'enrichir appartient au commerce, profession qui roule tout entière sur l'argent, qui ne rêve qu'à cela, et qui n'a ni d'autre élément ni d'autre fin.—Je n'ignore pas qu'ici la spéculation est démentie par la pratique. Tout le monde, surtout les gens de commerce, aiment l'argent, ne croient jamais en avoir assez, et accumulent toujours. » (D'après la traduction de Millon.)

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NOTE II.

L'idée de la division du travail est-elle une découverte d'Adam Smith ?

(T. I, p. 161.)

L'OUVRAGE de Smith avait paru depuis vingt-huit ans, et ce philosophe était généralement regardé comme l'auteur de cette belle découverte, lorsqu'en 1804 le lord Lauderdale entreprit, non-seulement de contester les avantages de la division du travail, mais encore de disputer à Smith l'honneur d'avoir eu le premier cette idée (1). Il cite à cet effet deux passages, l'un de Xénophon, dans la Cyropédie, l'autre d'un écrivain an glais, nommé Harris. Ils sont assez remarquables pour mériter une place dans cette note.

Voici comment s'exprime Xénophon. « Ce n'est pas seulement pour les raisons que je viens d'alléguer, que les mets envoyés par le roi font tant de plaisir à ceux qui les reçoivent : les viandes qui sortent de sa cuisine ont encore le mérite d'être mieux apprêtées qu'ailleurs; et l'on ne doit pas plus s'en étonner que de voir les ouvrages, de quelque genre que ce soit, mieux travaillés dans les grandes villes que dans les petites. Dans celles-ci, le même homme est obligé de faire des lits,

(1) An Inquiry into the nature and origin of public wealth, ch. pag. 282.

des portes, des charrues, des tables, souvent de bâtir des maisons; et il s'estime fort heureux quand il est assez employé dans ces différens métiers pour en tirer de quoi vivre. On conçoit qu'un ouvrier qui s'occupe à tant de choses ne peut réussir à toutes également. Au contraire, dans les grandes villes, où une multitude d'habitans ont les mêmes besoins, un seul métier suffit pour nourrir un artisan; quelquefois même il n'en exerce qu'une partie : tel cordonnier ne chausse que les hommes, tel autre ne chausse que les femmes ; l'un gagne sa vie à coudre les souliers, l'autre à les couper: entre les tailleurs, celui-ci coupe l'étoffe, celui-là ne fait qu'en assembler les parties. Il est impossible qu'un homme dont le travail est borné à une seule espèce d'ouvrage n'y excelle pas. On peut en dire autant de l'art de la cuisine. Celui qui n'a qu'un seul homme pour faire son lit, arranger sa table, pétrir son pain, préparer son repas, ne doit pas être difficile, ni trop exiger. Mais dans les maisons où chaque domestique n'a qu'un emploi particulier, l'un de faire bouillir les viandes, l'autre de les faire rôtir; celui-ci de faire cuire le poisson dans l'eau, celui-là de le faire griller, un autre de faire le pain, non de différentes sortes, mais de la seule qui convient à son maître; il me semble que chaque chose doit être à son point de perfection. » Cyropédie, l. vini. La traduction de ce passage est de M. Dacier.

Harris s'explique de la manière suivante. « La société trouve un avantage infini à ce que chacun se livre exclusivement à une occupation particulière. Par-là les hommes se rendent habiles, deviennent experts dans l'art qu'ils embrassent; ils peuvent se fournir les uns

aux autres des ouvrages exécutés avec plus de goût et moins de peine qu'un seul ne pourrait en mettre à les faire. » (Harris's Essay on money and coins, part. I, pag. 16.)

S'il suffisait, pour enlever à Smith la gloire de cette découverte, de prouver que d'autres écrivains ont eu la même idée avant lui, je pourrais citer nombre d'ouvrages anciens et modernes où elle se trouve indiquée. plus ou moins clairement. Tel est le passage de la République de Platon que j'extrais dans la note (1); tels sont encore plusieurs passages de Beccaria, dans son

(1) Socrate. Si les hommes s'assemblent en société; n'est-ce pas qu'ils ont des besoins auxquels, sans le secours les uns des autres, ils ne peuvent subvenir?

Adimante. C'est la principale raison qui les y porte.

Socr. Faibles, il s'unissent pour être aidés; et bientôt se forment les premiers rudimens du corps politique.

Adim. Toutes les parties s'achèvent par degrés.

Socr. Si quelqu'un cède quelque chose de son bien à son voisin, ou s'il consent à des échanges, c'est qu'il y trouvera son avantage.

Adim. Quel autre motif le porterait à se dépouiller en faveur d'un autre?

Soer. Avant tout il faut des alimens, le couvert et le vêtement. L'un ira donc à la charrue ; un second prendra la truelle en main; un troisième poussera la navette; un quatrième taillera le cuir. Cinq ou six espèces d'artisans commenceront une ville, où l'on aura le nécessaire. Lequel, à votre avis, sera le plus commode pour chacun d'eux, ou d'exposer en vente le superflu pour lui du produit de son travail, ou de faire seul tous les métiers, pour ne manquer de rien.

Adim. Le dernier causerait une disette absolue de tout.

Socr. La nature, cher Adimante, nous a réparti, comme elle a voulu, divers talens qui nous rendent propres, les uns à tel emploi, les autres à tel autre, mais tous peu capables d'en exercer

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