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NOTE VI.

Sur l'emploi des fourrures, en guise de numéraire, chez les peuples septentrionaux, et particulièrement chez les anciens Russes.

(T. II, p. 119.)

Le mot ráha, qui signifie de l'argent dans la langue esthonienne, n'a pas encore perdu son acception primitive chez les Lapons, chez lesquels il désigne des peaux ou des fourrures. Vous n'ignorez pas que ces deux peuples appartiennent à la même famille, à celle des Finnois, et que leurs langues ne sont que des dialectes de la langue finnoise.

Parmi les différentes espèces de numéraire qui circulaient anciennement en Russie, il y en avait une qui portait le nom de nogata. Or, en langue esthonienne, náhat veut dire peaux; et les Esthoniens, comme vous savez, étaient compris dans les limites de l'ancienne Russie. Le changement de la voyelle a en o, et de l'h aspiré en g, est si familier à la langue russe, que ce mot paraît être exactement le même dans les deux langues.

M. Philippe Krug (a), membre de l'Académie des sciences de Saint-Pétersbourg, a publié un livre rempli

(a) C'est le frère de l'auteur des Considérations sur la richesse nationale de la Prusse, que j'ai fréquemment citées dans les livres précédens; celui-ci est établi à Berlin.

de recherches curieuses sur le numéraire russe dans les anciens temps: Zur Münzkunde Russlands. SaintPétersbourg, 1805, in-8. L'érudition et la sagacité de l'auteur, qui sont toujours guidées par la saine critique, donnent un grand poids à ses opinions, même quand elles ne sont que des hypothèses. J'aurai plus d'une fois occasion, dans la suite, de profiter de ses découvertes; je commence par lui emprunter quelques notices qui servent à expliquer comment les peaux et les fourrures remplaçaient les monnaies chez les anciens Russes.

Selon nos annales, les fourrures les plus recherchées étaient celles d'écureuil, d'hermine, de martre, de castor et de zibeline. Ces fourrures étaient l'objet le plus important du commerce d'exportation; toutes les nations en étaient avides; les Khosars, les Varaigues, et, à une époque plus récente, les Mongols prélevaient en fourrures le tribut qu'ils imposaient aux Slaves et aux Russes, quand ceux-ci étaient obligés d'acheter la paix; une partie des impôts ordinaires devait être acquittée en fourrures; les amendes pécuniaires étaient fixées en produits de cette nature; enfin ils servaient souvent à déterminer le prix des autres marchandises. La valeur de ces fourrures était alors bien plus conconsidérable qu'elle ne l'est aujourd'hui : du temps de Marc-Paul, c'est-à-dire au treizième siècle, une pelisse de zibeline se vendait en Chine jusqu'à deux mille ducats Byzantins; même au seizième siècle, une pareille pelisse, suivant le témoignage de Paul-Jove, se payait quelquefois mille ducats. Cependant, quoique les anciens Russes employassent les fourrures en place

de numéraire, les métaux précieux n'étaient pas exclus de faire cette fonction: vous allez voir dans le chapitre suivant, comment et sous quelle forme ils leur servaient à cet usage.

L'exemple des anciens Russes n'est pas le seul que l'histoire nous fournit de peuples qui, possédant de l'or et de l'argent et s'en servant même comme numéraire, appliquent encore à cet usage d'autres produits de leur industrie, surtout dans le commerce extérieur. En Abyssinie on évalue les marchandises sur des quantités de sel et de poivre; à Terre-Neuve, sur des quantités de morue sèche; en Virginie, sur du tabac; en Islande, sur une étoffe de laine, appelée vatmal; à Kiakhta, des pièces de nankin servent encore quelquefois à déterminer la valeur des marchandises qui s'échangent entre les Chinois et les Russes; et chez les Grecs du Bas-Empire, des étoffes de soie faisaient souvent la même fonction (a). Dans l'Inde,

(a) Ce sont ces étoffes dont nos annales parlent si fréquemment sous le nom de Pavoloki, mot corrompu, dans lequel M. Krug croit reconnaître celui de Babylonica, qui désignait en général, chez les anciens, les étoffes les plus précieuses, apparemment parce que les premiers tissus de ce genre leur étaient venus de cette ville industrieuse et opulente. Les chroniques russes, aussi bien que celles des peuples occidentaux, les placent souvent à côté de l'or et de l'argent; les mots з лamo, сребро и павололи; qurum, argentum et pallia; or, argent et pailles se trouvent presque toujours joints ensemble. Les pièces de ces étoffes avaient une longueur et une largeur déterminées; leur poids même était réglé, et elles remplaçaient souvent le numéraire. Il y a des exemples que les empereurs, pour fournir aux frais d'une guerre, en faisaient délivrer une certaine quantité aux généraux qui allaient commander

le haut prix des métaux, même communs, a fait adopter l'usage des cauris ou petits coquillages des Maldives, en place de petite monnaie. Ces coquillages sont la monnaie courante du Mogol, du Bengale et du Boutan, comme aussi de l'intérieur de l'Afrique et de la Guinée. Lors de la découverte de l'Amérique, des grains de cacao servaient de monnaie aux Mexicains; ils leur servent encore aujourd'hui de billon. Comme la plus petite monnaie des colonies espagnoles est un demi-réal (15 copeks) le peuple trouve de la commodité dans l'emploi du cacao comme monnaie. Un sol est représenté par six grains.

l'armée; elles étaient employées à payer la rançon des captifs, etc. Il y en avait de différentes sortes : les plus communes se trouvent évaluées à dix solidi ou ducats bysantins; on voit par un article du traité de 945, qu'il était défendu aux Russes d'en acheter, sans permission expresse, qui coûterait au delà de cinquante solidî, preuve que le prix de certaines sortes montait encore plus haut.

NOTE VII.

Sur les anciennes monnaies russes avant l'invasion des Mongols.

(T. II, p. 128.)

On est généralement de l'opinion que les Russes n'ont commencé à battre monnaie que depuis l'invasion des Mongols ou Tatars: les faits suivans paraissent indiquer une époque antérieure.

Le médailler de M. Krug conserve un étalon, déterré, il y a quelques années, parmi les ruines d'une des catacombes de Kief qui s'était écroulée. Il est de cuivre, et porte d'un côté le nom de Glieb, de l'autre le chiffre 7 en caractères de l'alphabet; ce chiffre est entouré de deux cercles qui renferment sept points. Son poids est de 359 grains.

De pareils étalons étaient en usage chez les Grecs du Bas-Empire, où on les appelait exagia. Ils servaient à constater le poids des monnaies; chaque marchand en était pourvu, et les espèces, celles d'or surtout, se transmettaient rarement sans qu'on les eût comparées au poids de l'exagion. Quelquesuns de ces étalons sont parvenus jusqu'à nous, et le médailler Impérial de Vienne en conserve un dont la matière est la même et l'empreinte à peu près conforme à celle de l'étalon russe.

Tout ceci conduit à supposer que les Russes avaient adopté cet usage des Grecs, et qu'ils battaient monnaie avant l'époque où leur liaison avec ce peuple cessa par l'invasion des Mongols. Malheureu

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