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quante francs, les parties n'ont commis aucune infraction à la loi ;

Donc, elles ne sauraient encourir la prohibition de la preuve testimoniale, dans laquelle précisément cette sanction consiste.

Voilà l'article 1341, et la seule manière, suivant nous, d'expliquer la forme étrange, peut-être à première vue, de sa rédaction.

3° On objecte les dangers de la preuve testimoniale, qui va, dit-on, d'après notre doctrine, être admise même dans les obligations conventionnelles, pour une valeur au-dessus de cent cinquante francs.

Eton en vient, pour les conjurer, à dire qu'il y a, dans la loi, deux dispositions distinctes, fondées sur deux motifs différents :

La première, qui ordonne, au moment de la convention, de passer un acte, si l'objet excède la valeur de cent cinquante francs;

La seconde, qui prohibe, au moment de la demande, la preuve testimoniale, toutes les fois qu'elle présente un intérêt supérieur à cette somme.

Mais nous répondons que c'est là le renversement de toute la théorie de notre Code.

Non! il n'y a pas ici deux dispositions distinctes.
Il n'y en a qu'une seule !

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a une règle et une conséquence, un commandement

et une sanction!

Voilà tout.

Le préservatif, le seul préservatif, que le législateur ait institué contre les dangers de la preuve testimoniale, c'est l'obligation, qu'il impose aux parties, de passer un acte écrit de toutes choses excédant la valeur de cent cinquante francs.

Mais la preuve testimoniale elle-même, il ne la prohibe pas absolument, même dans les cas où l'intérêt pécuniaire engagé est supérieur à cette somme.

Tout au contraire! il l'admet, lorsque les parties n'ont pas dû se procurer une preuve par écrit, et qu'elles ne sont pas en faute pour ne l'avoir pas fait (comp. Supra no 10; art. 1348);

Or, lorsque la convention, au moment de sa formation, a pour objet une chose d'une valeur inférieure à cent cinquante francs, les parties ne sont pas en faute de ne s'être pas procuré une preuve par écrit ; et l'on peut même dire, sans exagération, qu'elles n'ont pas pu se procurer une preuve par écrit, si, en effet, à l'époque de la convention, elles ne pouvaient pas prévoir que la chose qui en fait l'objet, d'une valeur alors au-dessous de cent cinquante francs serait, à l'époque de la demande, d'une valeur au-dessus de cette somme;

Donc, d'après la théorie fondamentale de notre Code, la preuve testimoniale doit, dans ce cas, être admise. 4o Cette démonstration nous paraît péremptoire.

On a, toutefois, entrepris encore de déduire des objections des articles 1342, 1345 et 1346.

Nous allons bientôt arriver à ces textes; et nous croyons pouvoir annoncer d'avance que les arguments que l'on en tire, ne sauraient infirmer la doctrine, que nous venons de présenter. (Comp. infra, no 37; Toullier, t. V, n° 44; Zachariæ, Aubry et Rau, t. VI, p. 430; Larombière, t. V, art. 1341, no 15; Colmet de Santerre, t. V, n° 315 bis XI et XII.)

34.-Le contrat de société présente des applications intéressantes de notre principe; et nous devons les mettre spécialement en relief, parce qu'elles sont de nature à l'affermir.

Aux termes de l'article 1834:

<< Toutes sociétés doivent être rédigées par écrit, lorsque <«<leur objet est d'une valeur de plus de cent cinquante « francs.

<< La preuve testimoniale n'est point admise contre et << outre le contenu en l'acte de société, ni sur ce qui serait

«

allégué avoir été dit avant, lors et depuis cet acte, « encore qu'il s'agisse d'une somme ou valeur moindre « de cent cinquante francs. >>

Deux hypothèses sont possibles :

Quatre personnes contractent une société, dans laquelle chacune d'elles apporte une somme de cent francs. Aucun acte écrit n'en est dressé.

La société ne fait pas de bénéfices, ou même elle fait des pertes.

Et ensuite, l'une de ces personnes demande, contre les trois autres, la somme de cent francs, montant de son apport, ou même une somme moindre.

Le demandeur peut-il prouver, par témoins, la convention de société et la mise en commun de la somme de cent francs, qu'il prétend y avoir apportée ?

Oui! répond Duranton; «< car ne demandant rien de la part du défendeur, il ne demande pas au delà de cent cinquante francs; il n'y a d'ailleurs pas présomption qu'il ait cherché à corrompre des témoins pour s'approprier indûment cette valeur. »

Et il ajoute :

« Le système contraire conduirait à dire que si vingt personnes, par exemple, ont mis en commun chacune dix francs pour un certain objet, pour une certaine destination, il n'y aurait pas lieu à la preuve testimoniale en faveur de celui qui réclamerait sa part dans les deux cents francs. Mais la loi, entendue en ce sens, serait absurde dans ses résultats et en pleine contradiction avec ses motifs; car puisqu'elle ne présume pas qu'on corrompt des témoins pour cent cinquante francs juste, elle doit bien moins. encore supposer qu'on a pu en corrompre pour dix francs. On ne doit pas voir uniquement la convention de société; on doit voir, au contraire, l'objet de la demande » (t. XIII, n° 306 et t. XVII n° 323).

Notre avis est, au contraire, que la preuve testimoniale ne doit pas, dans ce cas, être admise; et nous espérons

pouvoir démontrer que la doctrine du savant auteur méconnaît tout à la fois le texte de la loi et son motif essentiel :

4° L'article 1834 dispose que toutes sociétés doivent être rédigées par écrit, lorsque LEUR OBJET est d'une valeur de plus de cent cinquante francs;

Or, quel est l'objet de la société, dans le sens de cet article?

Est-ce la mise de chacun des associés isolément et séparément considérée ?

Evidemment non!

Car ce n'est pas, bien entendu, sur chacune des mises, séparément et isolément, que la société s'établit et va fonctionner.

Elle s'établit et elle va fonctionner sur toutes les mises réunies, sur l'ensemble de ces mises, qui constitue le fonds social.

Or, le fonds social, c'est précisément l'objet de la société ! Autrement, que pourrait-il arriver?

C'est que, si les mises étaient inégales, la preuve par témoins serait admissible pour les uns et inadmissible pour les autres, entre les mêmes associés.

Ainsi, dans notre exemple, l'un n'a apporté que 100 fr.; tandis que l'autre a apporté 200 francs.

Le premier pourrait donc prouver par témoins le contrat de société; tandis que le second ne le pourrait pas ! Tout cela est déraisonnable! s'écrie Troplong trèsjustement.

Voilà d'abord pour le texte.

2o Ajoutons que ce texte est, en effet, l'expression fort exacte du motif essentiel, sur lequel repose toute la théorie de la loi en cette matière.

Duranton se montre très préoccupé des dangers de la preuve testimoniale, au point de vue de la corruption des témoins; c'est dans ce danger qu'il voit le motif principai de la prohibition de ce genre de preuve.

Telle paraît être également la préoccupation de M. Pont, qui, tout en désavouant la doctrine de Duranton, écrit pourtant aussi que « l'intérêt en jeu est, en ce cas, trop modique pour qu'il y ait à redouter les dangers, qui ont fait exclure, en principe, le témoignage oral. » (Du Contrat de Société, art. 1834, n° 144.)

Mais nous persistons, pour notre part, à penser que la crainte de la subornation des témoins n'a été que le motif secondaire.

Le principal motif de la prohibition de la preuve testimoniale, est déduit de la faute que les parties ont commise, en ne rédigeant pas un acte écrit de leur convention, lorsqu'il y avait lieu de le rédiger, d'après la loi, c'est-à-dire lorsque l'objet de la convention était d'une valeur au-dessus de cent cinquante francs;

Or, l'objet de la société, dans notre hypothèse, avait une valeur au-dessus de cent cinquante francs;

Donc, la société devait être constatée par un acte écrit.

Et, en effet, les frais de l'acte n'étaient pas alors en disproportion avec l'intérêt engagé ; car si l'apport individuel de chacun des associés n'était que de cent francs, l'apport collectif des quatre associés était de quatre cents francs; et, par conséquent, les frais de l'acte n'auraient pesé sur chacun d'eux que d'après une répartition proportionnelle à sa mise (comp. Cass., 5 janv. 1875, Perard, Dev., 1875, I, 72; D. 1877, 1, 39; Troplong, Du Contrat de Société, art. 1834, no 202; Larombière, t. V, no 15; Colmet de Santerre, t. V, no 315 bis, XIII).

35. II. — Mais renversons l'hypothèse.

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Quatre personnes contractent une société, dans laquelle chacune d'elles apporte une somme de vingt francs. Aucun acte écrit n'en est dres-é.

La Société fait des bénéfices, très-considérables même! Avec son capital, avec son objet de quatre-vingts francs, elle achète un billet de loterie.

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