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l'ame qui les fait. J'ai dit que la grace laisse ces motifs intéressés ou mélangés, c'est-à-dire ce mélange d'amour naturel. En effet, je ne dis pas que la grâce produise cet amour dans lequel consiste l'inté rét propre; je dis seulement qu'elle le laisse, jusqu'à ce qu'elle soit assez forte pour ne donner de place qu'aux actes surnaturels dont elle est le principe. Mais enfin les paroles qu'on m'impute ne sont ni dans les endroits cités ni ailleurs.

XII

DÉCLAR. L'intérêt propre est tellement expliqué dans tout le livre, que l'ame n'est plus touchée d'aucun désir intéressé, ni pour le mérite, ni pour la perfection, ni pour la béatitude ou récompense même éternelle, et que ce soit le sentiment de tous les saints anciens et nouveaux.

Rép. Il est vrai que j'entends par intérêt propre un amour naturel de nous-mêmes, qui nous attache à rechercher tous les biens naturels ou surnaturels qui nous sont proposés. Je prétends avoir montré que c'est l'idée des Pères sur la mercenarité, celle des saints contemplatifs sur la propriété, et celle des auteurs français les plus approuvés de notre temps quand ils ont parlé de l'intérêt propre en matière de vie intérieure. Ayant ainsi défini les termes sur de si grandes autorités, je ne crains pas de dire qu'on ne blesse en rien les actes surnaturels de l'espérance vertu théologale, ni son motif propre qui est notre souverain bien, en disant que les parfaits ne sont point d'ordinaire excités par un motif inté

ressé, ni pour le mérite, ni pour la perfection, ni pour la béatitude. Est-il nécessaire de vouloir ces choses par un attachement naturel pour soi-même? Ne s'aime-t-on jamais assez que quand on s'aime d'un amour naturel et délibéré? L'amour surnaturel, que le Saint-Esprit nous inspire pour nous dans l'ordre de Dieu à qui nous appartenons, ne nous suffit-il pas pour l'exercice des vertus distinctes? Les trois prélats veulent absolument que mon souverain bien, en tant qu'il est mon bien, soit mon intérêt propre. Ils veulent que le motif de l'espérance soit de sa nature toujours intéressé. Mais comment estce. que M. de Meaux peut le dire, lui qui veut qu'on n'exprime point la béatitude d'une manière basse (1), en lui donnant le nom d'intérêt? lui qui veut que le Saint-Esprit nous ait révélé expressément par saint Paul, que le désir d'être uni à Jésus-Christ, et par conséquent de régner avec lui, qui est un désir du souverain bien, « est un acte d'amour pur et par» faitement désintéressé (2)? » lui qui veut qu'on ne puisse sans erreur mettre de tels actes parmi les actes intéressés? lui qui veut que l'acte d'une terrible résolution, que saint François de Sales fit lorsqu'il « portoit une impression de réprobation,... et comme » une réponse de mort assurée, fut un acte si désin» téressé (3) ? » L'intérêt est donc selon lui quelque chose d'imparfait qu'il faut ôter des désirs parfaits qui sont si désintéressés. En attendant qu'il veuille bien s'expliquer précisément là-dessus, je me con

(1) Instr. sur les Etats d'orais. liv. x, n. 29: tom. xxvii, p. 453. — (2) Ibid. liv. 111, n. 8; p. 124. — (3) Ibid. liv. 1x, n. 3; p. 353.

tente de justifier ma doctrine. J'ai dit (1) que l'objet formel de l'espérance est « mon bien, en tant que » mon bien, mon bonheur et ma récompense,..... » sous cette précision,... dans cette réduplication..... » et ce concept formel. » Quand nous désirons une telle chose, en tant qu'elle est telle, c'est en tant qu'elle est telle qu'elle excite notre désir et meut notre volonté. C'est ce que M. de Meaux a reconnu dans son livre (2). Voilà donc toute la vertu réelle et excitante de l'objet, en tant que tel, qui est reconnue dans mon livre sans ombre d'équivoque : que reste-t-il pour épuiser le langage de l'Ecole, sinon le terme de motif? Ce terme est-il consacré comme ceux de consubstantiel et de transsubstantiation? Dès que l'Eglise voudra le consacrer, je serai le premier à m'en servir d'autant plus volontiers que j'ai admis par trente répétitions tout ce qu'on veut lui faire signifier. Je m'en suis même servi souvent dans les écrits que j'ai faits depuis mon livre, dès que j'ai vu que quelques personnes étoient peinées que je ne l'eusse point d'abord assez employé. Pour le terme d'intérêt, quand on y joint celui de propre, et pour le terme d'intéressé, je les ai employés, non pour signifier le souverain bien en tant qu'il est l'objet de notre espérance surnaturelle; mais pour exprimer un amour naturel et délibéré de nous-mêmes qui nous attache aux dons de Dieu. Voici un raisonnement que je prie le lecteur de lire

avec attention.

(1) Max. Art. 1v vrai, p. 43, 44 et 45. (a) Liv. x, n. 29; p. 450 et suiv.

Les trois prélats, qui ne sont pas suspects de me favoriser dans la traduction des termes de mon livre, traduisent toujours intéressé par mercenarius; d'où il s'ensuit que, selon eux, intérêt propre et mercenarité sont la même chose: or est-il que les termes de mercenaire et de mercenarité sont, suivant les Pères et les autres saints, des termes qui expriment une imperfection, et qui doivent être retranchés de la vie des ames parfaites. Donc en retranchant la mercenarité ou propriété ou intérêt propre, je n'ai rien retranché qu'une chose imparfaite que les saints ont retranchée avant moi. Voilà ce que je tire de la propre traduction que ces prélats ont faite de mes paroles. On n'a qu'à lire d'un côté leur Déclaration, et de l'autre les passages des saints que j'ai cités dans ma lettre pastorale sur la mercenarité (1). Mais allons encore plus loin.

Quand M. de Meaux a approuvé les livres du P. Surin, il a approuvé qu'on dise, que « l'ame » laisse tout jusqu'à s'oublier soi-même.... son temps, >> son éternité. » Il a approuvé qu'on dise, que << l'homme s'est entièrement quitté soi-même en tous » ses intérêts humains et divins, n'ayant aucun égard » à son bien; parce qu'il a oublié tout ce qui le con» cerne, sa vie, sa santé et tout ce qui lui peut arri» ver, non-seulement dans le temps, mais encore » dans l'éternité, par une entière décharge de soi» même entre ses mains. » Il a approuvé qu'on dise, que «< son étude principale est de prendre garde à » ne jamais agir par la considération de son intérêt, » et de ne s'arrêter jamais à aucun autre motif qu'à (1) Ci-dessus, p. 225 et suiv.

» celui de plaire à Dieu (1) : » voilà tous les motifs réduits à l'unique de plaire à Dieu, qui est celui de la charité. On est en garde contre tous les autres. Ce n'est point une simple abstraction passagère; c'est une exclusion positive. On est en garde pour la faire toujours, et pour ne s'arrêter jamais, etc. M. de Meaux n'a qu'à compter la multitude des négations qui sont entassées dans ces paroles, et combien le terme absolu de jamais y porte une exclusion de tout autre motif pour tout un état et pour toute une suite de vie. M. de Meaux a-t-il approuvé qu'on exclût le motif de l'espérance surnaturelle en se quittant dans tous ses intérêts humains et divins, non-seulement dans le temps, mais encore dans l'éternité? A-t-il voulu que la vigilance chrétienne se tournât à être en garde contre le motif du salut qui est celui de l'espérance, et qu'on ne s'arrétét jamais qu'à celui de plaire à Dieu, qui est celui de la charité? Dieu me préserve de lui imputer cette erreur. Il a bien entendu dans le P. Surin ce qu'il est natu→ rel d'entendre par intérêts humains et divins... nonseulement dans le temps, mais encore dans l'éternité. Il a bien su la juste valeur de ces négations absolues en les autorisant. Il a bien compris qu'il ne s'agissoit que d'exclure la mercenarité exclue par les Pères, et que cette exclusion pouvoit être positive et constante. Pourquoi prendre dans mon livre en un sens impie ce qu'il a si bien su entendre en un sens édifiant dans celui du P. Surin? Pourquoi vouloir me rendre odieux à toute l'Eglise pour avoir dit qu'on sacrifie absolument son intérêt propre sur l'éternité,

(1) Fondem. de la Vie spir. liv. 1, ch. Iv;

liv. V,
ch. III.

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