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à son secours, et disoit à Dieu : « Hâtez-vous;... puisqu'une fois vous m'avez abandonnée, achevez, » et plongez-moi dans cet abîme (1), » elle étoit dans involontaire de désespoir, dans cette conviction qui cette espèce de persuasion, dans cette impression n'est pas intime, mais apparente.

Quand saint François de Sales portoit « si long» temps une impression de réprobation,.... et comme » une réponse de mort assurée, où il fallut en venir » à cette terrible résolution, que puisqu'en l'autre » vie il devoit être privé pour jamais d'aimer un Dieu » si digne d'être aimé, il vouloit au moins, etc. (1) » l'impression de réprobation; et ce qu'on nomme comme une réponse de mort assurée suivi d'une terrible résolution, n'étoit, selon moi, qu'une impression involontaire de désespoir, une conviction apparente et non intime. Peut-on l'expliquer avec des termes plus précautionnés? Quand le Frère Laurent, dont la vie est approuvée par M. de Paris, disoit que « dans les peines d'esprit qu'il avoit eues » pendant quatre années, si grandes que tous les » hommes du monde ne lui auroient pas ôté de l'es» prit qu'il seroit damné, etc. (3) »

Et quand on dit de lui ces paroles encore plus fortes, croyant certainement qu'il étoit damné (4), cette croyance certaine, qui n'eût cédé à nulle autorité en ce monde, ne peut être plus bénignement expliquée qu'en l'appelant une conviction apparente et non intime, une impression involontaire de déses

(1) Dans sa lie, chap. xv. pag. 36. rapporté par M. de Meaux, Instr. sur les Etats d'orais. liv. 1x, n. 3, p. 354. — 12+ Rapporté par M. de Meaux, ibid. p. 353. (4) Pag. 52.

3, Vie, p. 15.

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poir. Enfin quand Job, modèle des ames éprouvées, disoit: Je suis dans le désespoir, il en avoit l'impres sion involontaire; puisqu'il le disoit sans faire un mensonge. Il falloit donc qu'il en eût quelque sorte de conviction apparente et non intime.

le

Voilà ce que les prélats approuvent et rapportent eux-mêmes, quand il n'est pas question de moi. Voilà ce qu'ils condamnent dans mon livre. Ils m'imputent d'avoir enseigné le désespoir le plus impie, lorsque toutes mes expressions sont formelles pour nier, et pour ne reconnoître dans les ames peinées que la perte «< du goût sensible, du bien, de la fer» veur consolante et affectueuse, des actes empressés » et intéressés des vertus, de la certitude qui vient » après coup et par réflexion intéressée, pour se ren» dre à soi-même un témoignage consolant de sa » fidélité (1). »

ll est vrai que le cas impossible de la condamnation aux supplices éternels paroît possible et actuellement réel à ces ames; mais le terme de paroît n'exprime qu'une apparence. Ai-je dit que c'est par une véritable persuasion qu'il leur semble tel? nullement. Au contraire je dis que ce n'est que par une conviction apparente, et qui n'est point du fond intime de la conscience. Quand on n'a qu'une conviction apparente, on s'imagine croire et on ne croit pas réellement. C'est ainsi que tout scrupuleux s'imagine n'avoir ni foi, ni espérance, ni amour. On devroit d'autant plus aisément me faire justice sur cette persuasion imaginaire, qui est celle des scrupuleux, que je me suis expliqué formellement là(1)Art. 1x vrai, p. 81 et 82.

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épreuves: «Elle ne croit plus avoir fait ce qu'elle
dessus. J'ai dit de l'ame qui est dans les dernières

devoit, elle se trouble par scrupule (1). » Il ne

s'agit donc que d'une persuasion imaginaire com

mune à toutes les ames scrupuleuses. J'ai dit que le sacrifice que font les ames dans l'état ordinaire regarde le salut conditionnellement, et que celui qu'elles font dans les plus extrêmes épreuves est absolu, mais qu'il ne tombe alors que sur l'intérêt propre pour l'éternité (2).

L'opposition que j'ai faite entre deux sacrifices, l'un conditionnel, et l'autre absolu; l'un de la béatitude éternelle, l'autre seulement de l'intérêt propre pour l'éternité, marque évidemment que ce sont deux différens sacrifices, et que la béatitude et l'intérêt propre pour l'éternité ne peuvent être selon moi la même chose. Si le sacrifice de l'intérêt propre pour l'éternité eût été celui de la béatitude éternelle, je ne les aurois pas opposés l'un à l'autre ; il n'y auroit eu qu'à dire en deux mots que le sacrifice conditionnel devenoit absolu pour le salut dans les dernières épreuves. Non-seulement je ne l'ai pas dit, mais j'ai pris soin de distinguer ces deux choses, le salut et l'intérêt propre. Il paroît que les prélats ont confondu le sacrifice sur la béatitude avec le sacrifice de la béatitude. Car de ce que j'ai dit que le sacrifice sur la béatitude devient en quelque manière absolu dans le cas des dernières épreuves, ils m'accusent de dire qu'en ce cas le sacrifice de la beatitude devient en quelque manière absolu, et qu'ainsi en ce cas j'approuve le désespoir. Mais (1) Art. XIII vrai, p. 116. —(2) Art. x vrai, p. 90.

cette difficulté disparoît dès qu'on remarque qu'il y a une grande différence entre le sacrifice sur la béatitude, et le sacrifice de la béatitude. Le premier est un genre à l'égard du second; il comprend tout sacrifice qui regarde la béatitude de quelque manière que ce soit, médiatement ou immédiatement. Quand il la regarde immédiatement, c'est un sacrifice non-seulement sur la béatitude, mais aussi de la béatitude; celui-là ne peut être absolu; il n'est que conditionnel pour un cas que l'ame sait être impossible; autrement il renfermeroit un désespoir. Quand, au contraire, il ne regarde la béatitude que médiatement et comme sa matière éloignée, c'est un sacrifice sur la béatitude, et non pas de la béatitude; il peut être absolu, parce qu'il ne regarde pas immédiatement la béatitude, mais l'intérêt propre ou l'amour intéressé de la béatitude, qu'on peut absolument sacrifier : loin que ce sacrifice renferme une espèce de désespoir, il emporte au contraire la plus haute perfection, et c'est de celui-là que j'ai entendu parler quand j'ai dit qu'il devient en quelque manière absolu dans le cas des dernières épreuves. Le cas supposé dans ce second sacrifice est regardé par l'ame troublée comme réel et présent; car elle se croit contraire à Dieu et endurcie. J'ai donc opposé l'intérêt propre sur la béatitude, au salut; et pendant que j'ai voulu qu'on sacrifiât l'un comme une imperfection, j'ai voulu qu'on ne cessât jamais de désirer l'autre, en sorte que. j'ai condamné comme le comble de l'impiété la cessation de ce

désir.

D'où vient donc que les prélats confondent dans

mon livre la béatitude éternelle, et l'intérêt propre sur l'éternité, eux qui ont su si bien distinguer ces choses, et qui ont approuvé cette distinction dans le Père Surin et dans le Frère Laurent, où l'intérêt propre, même divin et pour l'éternité, est exclu comme un motif imparfait.

Pour l'acquiescement simple, il ne tombe dans mon livre que sur le seul intérêt propre pour l'éternité, que j'oppose toujours au salut, en disant qu'il ne faut jamais cesser de désirer l'effet des promesses en soi et pour soi. Peut-on interpréter mes paroles contre leur restriction formelle? Doit-on m'imputer de ligne en ligne les plus extravagantes et les plus impies contradictions, de peur d'approuver dans mon livre la distinction du salut d'avec l'intérêt propre, comme on l'avoit approuvée dans le Père Surin et dans le Frère Laurent? Les prélats ont donc pris la conviction apparente et non intime pour une persuasion véritable, et l'intérêt propre, que j'oppose toujours au salut, pour le salut même.

XXII.

DÉCLAR. On juge même qu'il est inutile et hors de propos en cet état de représenter à cette ame le dogme de la foi sur la bonté divine répandue sur tous les hommes, ni même d'essayer de la guérir par la raison; y a-t-il rien de plus désespéré?

RÉP. J'ai dit que pendant ce trouble il est inutile de dire à une ame le dogme de la foi sur les miséricordes de Dieu, parce qu'elle ne doute point de la bonne volonté de Dieu, et qu'elle croit la sienne

mauvaise

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