Page images
PDF
EPUB

A

mauvaise (1). En effet elle s'accuse d'endurcissement, et non pas Dieu de rigueur contre elle; est-ce que je ne veux pas que cette ame espère les miséricordes de Dieu ?

J'ai dit en termes formels, qu'il est essentiel qu'elle les désire sincèrement, et qu'elle ne se croie jamais abandonnée. Voilà la persuasion intime et réelle dans la cime de l'ame, qui est conforme au dogme. Mais à l'égard de cette conviction apparente, qui n'est pas du fond intime de la conscience, et qui n'est qu'un trouble d'imagination; je dis que le trouble est alors si grand, que les vérités mêmes qu'elle croit le plus ne peuvent la calmer.

Est-ce que j'ai voulu que la vue des miséricordes de Dieu fût une chose importune et inutile, comme les trois prélats me le font dire? Nullement. Cette vue, selon moi, est alors dans la cime de l'ame; mais elle ne peut servir à appaiser l'imagination trop violemment troublée. Je dis seulement que dans le trouble et l'obscurcissement où cette ame se trouve, << il n'est » pas question de raisonner avec elle, car elle est » incapable de tout raisonnement (2). » M. de Meaux n'a-t-il pas dit ce qu'il trouve mauvais que je dise, quand il a parlé ainsi de saint François de Sales : « Dans les dernières presses d'un si rude tourment, » il fallut en venir à cette terrible résolution, etc. » Toutes les réflexions pour rappeler les miséricordes de Dieu n'avoient donc pu calmer la tentation, qui étoit un trouble invincible; mais quand il eut acquiesce par «< cette terrible résolution, le démon

(1) Art. x vrai, p. 89. — (→) Ibid. p. go.

FÉNÉLON. IV.

24

» vaincu par un acte d'amour si désintéressé lui céda » la victoire, et lui quitta la place. » Dans la Vie du Frère Laurent, il est dit : « Pendant quatre an» nées, les peines du Frère Laurent étoient si gran» des, que tous les hommes du monde ne lui au» roient jamais pu ôter de l'esprit qu'il seroit damné: » donc on lui représentoit alors inutilement le dogme de la foi. Ce qui le mit en paix fut de dire : « Arrive » ce qui pourra, je ferai du moins toutes mes actions » le reste de ma vie pour l'amour de Dieu. » Voilà sans doute une conviction seulement apparente de la réprobation, dans lequel on ne sacrifie que l'intérêt propre ou la consolation de l'amour naturel de soi-même par rapport à l'éternité, et dans lequel on conserve la persuasion intime des miséricordes, et le désir de l'accomplissement des promesses en soi et pour soi : cet état, loin d'admettre aucun désespoir, est la perfection de l'espérance surnaturelle.

XXIII.

DECLAR. L'ame, avec la permission de son directeur, fait un acquiescement simple à sa juste condamnation et réprobation. Toutes ces choses sont clairement rejetées dans nos xxXIV Articles, où nous n'avons admis le consentement absolu pour aucune épreuve (1). A Dieu ne plaise que nous l'ayons fait. Il n'y est que dans une supposition fausse et impossible, et nous avions déjà, dans un Article précédent (2), exclu tout désespoir. Loin de vouloir que le directeur permette l'acquiescement simple à la juste condamnation et réprobation, nous defen(1) Art. d'Issy, II. — . (2) Art. XXXI.

[ocr errors]

dons au contraire de l'y laisser consentir. De plus, loin de conseiller de ne parler point du dogme de la bonté divine, comme le livre le marque, nous recommandons au directeur après saint François de Sales d'assurer cette ame abattue qu'elle ne sera jamais abandonnée de Dieu; ce qui exprime, nonseulement la bonté divine pour tous les hommes en général, mais encore une particulière pour cette ame.

REP. Quand on lit cet endroit de la Déclaration, qui ne croiroit qu'en parlant de l'acquiescement simple, j'y ai mis le terme de réprobation, comme les trois prélats l'ont joint deux fois avec ceux de juste condamnation. La vérité est néanmoins qu'après avoir parlé de l'acquiescement à la perte de l'intérêt propre et à la juste condamnation, etc. sans y joindre comme eux la réprobation, j'ai ajouté au contraire les choses les plus décisives pour ne laisser jamais croire au lecteur que cette juste condamnation soit la réprobation éternelle. Je ne perdois de vue ni la règle de la foi, ni notre xxxie Article d'Issy, où nous avons dit « qu'il ne faut pas permettre aux ames

>>

d'acquiescer à leur désespoir et damnation appa» rente, mais avec saint François de Sales les assu» rer que Dieu ne les abandonnera pas. » Je l'ai dit encore plus dans mon livre que dans nos Articles. D'un côté je dis que « le directeur ne doit jamais ni » conseiller, ni permettre à cette ame de croire po» sitivement, par une persuasion libre et volontaire, qu'elle est réprouvée, et qu'elle ne doit plus dési>> rer les promesses par un désir désintéressé (1). Je

>>

(1) Art. x vrai, p. 92.

ne permets donc pas de douter des miséricordes de Dieu. D'un autre côté j'ai ajouté qu'il faut toujours désirer les promesses, et qu'il n'est pas permis de croire qu'on soit abandonné de Dieu, et qu'il n'y ait plus de miséricorde, mais qu'au contraire il la faut désirer sincèrement (1). Rien n'est plus opposé à un acquiescement au désespoir que cette règle, de désirer sans cesse les biens promis, avec cette décision inébranlable, qu'il n'est pas permis de croire sa réprobation, ni de supposer qu'il n'y a plus de miséricorde à désirer. On dit donc toujours à ces ames qu'elles doivent espérer les miséricordes de Dieu, et on voit bien qu'elles les désirent actuellement d'un désir intime dans le fond de la conscience ou cime de l'ame, quoiqu'elles s'imaginent n'avoir ni foi, ni espérance, ni amour: mais on voit par expérience que cette vue des miséricordes ne finit point d'ordinaire leur trouble, et que ce qui le finit, c'est cet acte d'amour si désintéressé qui vainquit le démon dans saint François de Sales, comme M. de Meaux le rapporte.

L'usage de tels actes ne convient, comme nous l'avons dit dans nos Articles d'Issy, qu'aux ames vraiment parfaites, et qu'à celles dont le trouble ne peut être vaincu ou appaisé par les actes ordinaires de confiance en Dieu. En effet, il y a très-peu d'ames qui ne soient pas encore un peu dépendantes de l'amour naturel d'elles-mêmes, et qui, selon la permission que saint Chrysostôme donne aux foibles, n'aient besoin de jeter encore aussi les yeux sur la récompense, par une vue purement naturelle, et dont la (1) Art. x vrai, p. 93.

grâce n'est point le principe. Il y a très-peu de cœurs qui ne soient pas retrécis, pour parler comme saint Ambroise, et qui n'aient pas besoin d'étre consolés et invités par les promesses, paroles qu'on doit entendre pour le retranchement de l'amour naturel et délibéré de nous-mêmes.

XXIV.

DÉCLAR. Dans nos Articles, toutes les vertus théologales et morales sont conservées et distinguées par leurs motifs. Mais ce livre en obscurcit la distinction par ces paroles: Le pur amour fait lui seul toute la vie intérieure. Il devient lui seul l'unique principe et l'unique motif de toute la vie intérieure. Les autres motifs sont donc ôtés. Il ne reste que celui de la charité seule, et même on ôte à la charité son essence en disant : Cet amour devient tour-à-tour toutes les vertus distinctes. On n'en désire pourtant aucune en tant que vertu, ni la foi comme foi, ni l'espérance comme espérance, ni la charité même, qui est la vie et la forme des vertus, n'est pas désirée en tant qu'elle est vertu.

[ocr errors]

RÉP. J'ai dit que «< le pur amour fait lui seul la vie » intérieure, et qu'il devient l'unique principe et l'unique motif de tous les actes délibérés, et méri» toires (1); on a déjà vu que dans mes expressions, principe et motif sont la même chose. J'ai dit aussi, que cet «< amour, sans sortir de sa simpli>> cité, devient tour-à-tour toutes les vertus diffé» rentes (2). » Mais j'en avois dit la raison immédia

(3) Conclus. p. 272. — (2) Art. xxxIII vrai, p. 224.

« PreviousContinue »