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gens si droits et si sages, n'importe) se réduit uniquement et essentiellement à l'amour désintéressé, qu'ils admettent eux-mêmes avec toutes les écoles catholiques. Il est vrai que j'ai ajouté (mais seulement pour le temps des épreuves extrêmes et passagères) que l'ame étant quelquefois dans une conviction (*) de sa juste réprobation, elle aime Dieu d'un amour d'autant plus pur qu'elle n'espère plus d'être aimée de lui. Elle dit : Si je ne l'aime pas en l'autre vie, du moins je l'aimerai en celle-ci, comme saint François de Sales le dit en entrant dans l'Eglise de saint Etienne-des-Grès. J'ai même expliqué que l'espérance est alors cachée à l'ame; qu'elle n'a rien perdu de réel; et que ses sacrifices ne sont fondés que sur un état où elle n'est point. Je déclare devant Dieu que je n'ai jamais rien cru de plus fort sur cet article. Ainsi, bien loin d'avoir à cacher là-dessus quelque chose de mes sentimens, je ne saurois les expliquer trop clairement et trop nettement.

Pour l'inspiration de l'homme passif, il faut distinguer soigneusement ce que j'ai rapporté des autres d'avec ce que je dis affirmativement de mon chef. Par exemple, j'ai rapporté les expressions de saint Clément et de Cassien, comme un traducteur, qui n'est pas responsable des termes de l'auteur qu'il traduit, et pour montrer que les mystiques

(*) On lit, sur plusieurs copies de ce Mémoire, conviction invincible; mais on voit assez, par le contexte, que la conviction dont il s'agit, invincible ou non, n'est que dans la partie inférieure de l'ame, c'est-à-dire dans l'imagination; autrement 'cette conviction seroit un véritable désespoir. Aussi une des copies explique-t-elle ainsi en note la conviction invincible; parce qu'on ne peut s'óter cette peine de l'imagination. (Edit. de Vers.)

n'ont pas plus exagéré que les Pères. Je n'ai pas même prétendu que saint Clément attribuât à tous les gnostiques les dons prophétiques et apostoliques qu'il semble attacher à la gnose; j'ai voulu seulement montrer qu'il a cru que Dieu avoit communiqué ces dons à certains gnostiques. Quoi qu'il en soit, je n'ai fait que rapporter les passages des auteurs, sans répondre de leur doctrine. Pour la mienne, la voici précisément.

J'ai dit que l'inspiration de l'homme passif étoit semblable à celle des prophètes et des apôtres pour l'intérieur seulement. Je l'ai distinguée expressément de l'inspiration miraculeuse des prophètes et des apôtres pour le gouvernement des églises, ou pour écrire les livres saints. Il ne s'agit que d'une inspiration habituelle pour les actes intérieurs de la piété évangélique. Je n'ai point dit même que cette inspiration n'eût pas été plus pure et plus forte dans les prophètes et dans les apôtres, que dans les hommes passifs; j'ai déclaré qu'elle ne rendoit l'homme passif ni infaillible ni impeccable, ni indépendant de l'Eglise, même pour son régime intérieur, ni exempt du besoin de mériter et de croître en vertu. Il est vrai que j'ai dit que cette inspiration étoit en un sens différente, dans l'homme passif, de l'inspiration commune de tous les justes ; et il faut bien que tout le monde l'avoue, à moins qu'on ne veuille se jouer du nom de passif, et admettre le nom sans admettre aucune différence réelle entre l'état actif et le passif. Mais j'ai ajouté aussitôt, que l'inspiration de l'homme passif n'est différente de celle de tous les justes actifs qu'en ce qu'elle est plus pure, plus exempte de tout intérêt

propre, plus pleine, plus simple, plus continuelle et plus développée en chaque moment. C'est toujours la même inspiration, qui va se perfectionnant et se démêlant davantage, à mesure que l'ame se renonce davantage, et devient plus souple aux impressions divines.

J'avoue que je ne vois pas encore où est le mal de cette doctrine; et je prends Dieu à témoin que je n'en ai jamais eu d'autre.

Pour ma conduite personnelle, on ne doit m'imputer que les choses précises que j'ai dites de moi dans ma confession générale; tout le reste ne me regarde qu'autant qu'il se trouvera dans cette confession (*).

Pour le pardon à demander à Dieu, je ne sais comment je me suis expliqué dans ma confession; mais je sais bien que mon intention n'a jamais été de ne vouloir rien devoir à Dieu pour le pardon de mes fautes; ce qui seroit une impiété et un blasphême: ma disposition est seulement d'un amour désintéressé, qui ne demande point le pardon pour son intérêt, même éternel, sur la peine et sur la récompense. D'ailleurs je veux toujours aimer Dieu, et je sais bien que je ne le puis aimer sans pardon; ainsi je

(*) Pour l'intelligence de ce passage, il faut se rappeler que pendant les conférences d'Issy, Bossuet ayant paru craindre que l'estime de Fénélon pour madame Guyon ne l'eût entrainé dans quelque nouveauté dangereuse, celui-ci, pour détromper l'évêque de Meaux, lui remit un Mémoire secret dans lequel il exposoit toutes ses dispositions intérieures, et tout ce qui pouvoit être compris dans une confession générale de toute sa vie. Nous avons parlé plus au long de cet écrit dans l'Avertissement, à l'occasion de la Réponse de Fénélon à la Relation sur le Quiétisme. (Edit. de Vers.)

veux le pardon pour le seul amour, et comme je veux l'amour même. L'amour ne veut qu'amour, quoiqu'il ne le veuille pas toujours distinctement et avec réflexion.

Pour les propositions qu'on m'a communiquées, je ne demande que deux choses, qu'on ne peut, ce me semble, me refuser; qui est d'y expliquer nettement deux vérités qu'on admet: la première est l'amour désintéressé ; la seconde est l'oraison passive.

Pour l'amour désintéressé, je demande qu'on restreigne les actes distincts qu'on exige, à ne blesser point cet amour. La restriction ne doit blesser personne; elle ne peut être trop nette et trop positive.

Pour l'oraison passive, qu'on reconnoît distinguée de la contemplation active, de l'oraison de présence de Dieu, de remise et de quiétude, je demande qu'on la définisse exactement, après avoir défini la contemplation active, l'oraison de présence de Dieu, etc.. Puisqu'on prononce que c'est une insigne témérité que de tenir l'oraison passive pour suspecte, on doit savoir précisément ce que c'est, autrement on ne donneroit, sous ces grandes paroles, qu'une apparence vaine et vide de tout sens. Il est capital même de définir cette oraison, qui est l'essentiel de toute la matière. Ne le point faire, c'est ne faire rien, et être toujours à recommencer : ce n'est ni autoriser sérieusement cette oraison conire ceux qui l'attaquent, ni préserver de l'illusion ceux qui la poussent trop loin; c'est ne chercher qu'à condamner en rigueur et en détail tout ce qu'on croit pouvoir condamner, et laisser dans des termes superficiels et vagues ce qu'on n'ose condamner. J'in

siste donc pour demander des définitions précises: le moins qu'on puisse me donner dans ma soumission sans réserve, c'est d'expliquer nettement les vérités dont on convient avec moi. Si on me le refuse, j'adorerai Dieu, je me tairai, et je n'en obéirai pas moins aux hommes.

Au reste, je donne le choix, ou que je signe les propositions que l'on m'a données, contre ma persuasion, parce que je ne les crois pas assez expliquées sur ces deux articles essentiels, et que je le fasse par pure soumission à l'autorité des évêques ; ou bien que je signe par pleine et entière persuasion les mêmes propositions, avec les modifications que j'y ai ajoutées dans mon projet par rapport à l'amour désintéressé et à l'oraison passive. De la première façon, je signerai avec une soumission contre toutes mes pensées, mais qui sera pourtant de bonne foi, parce que je préfère le jugement des évêques au mien de la seconde, je serai ravi de signer: je crois plus que personne ce que je signerai, et je voudrois le signer de mon sang.

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