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ce que cette secte avoit d'odieux (1). Mais, outre que Fénélon avoit par son caractère toute la mission nécessaire pour écrire sur les matières de théologie et de spiritualité, il est certain que son vœu le plus sincère étoit de garder le silence sur des questions qui avoient récemment produit de si fâcheux éclats, et qu'il ne se détermina à écrire que pour satisfaire à l'engagement formel qu'il avoit été obligé de prendre d'exposer au public ses véritables sentimens; engagement approuvé à cette époque par les personnes du plus grand poids, et que Bossuet lui-même avoit rendu nécessaire, en témoignant publiquement son mécontentement du refus que faisoit l'archevêque de Cambrai d'approuver l'Instruction sur les Etats d'oraison (2).

19.

tions extrê

liyre.

Fénélon s'étoit aussi engagé à ne publier son livre qu'après l'avoir soumis à M. de Noailles, Ses précanarchevêque de Paris, et à M. Tronson, supérieur mes avant de général de la compagnie de Saint-Sulpice. Il publier son prit en effet leurs avis, profita de leurs observations, et ne put en obtenir d'autre réponse, sinon que le livre étoit correct et utile. Bien plus, pour calmer plus sûrement les inquiétudes de l'archevêque de Paris, il voulut encore soumettre son ouvrage à M. Pirot, savant docteur de Sorbonne, très-estimé de Bossuet, et ancien examinateur des

(1) Voyez, dans le x11 vol. des OEuvr. du chancelier d'Aguesseau, les Mémoires de la vie de son père. — (2) Mémoire de Fénelon, du mois d'août 1696; p. 89 de ce vol. Questions proposées à M. de Paris, en présence de madame de Maintenon; p. 105 et suiv. Voyez surtout les questions XI, XII, XVII.

FÉNÉLON. IV.

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livres de théologie, qui avoit rédigé, sous M. de Harlay, la censure des écrits de Madame Guyon. Ce docteur, non content de souscrire au jugement des deux premiers examinateurs, ne balança pas à déclarer que le livre étoit tout d'or. Après de pareils suffrages, Fénélon pouvoit sans doute publier son ouvrage avec confiance, et il le publia en effet au mois de janvier 1697. Mais, soit que les examinateurs n'eussent pas fait assez d'attention aux propositions inexactes qu'il renfermoit, soit qu'ils n'eussent pas cru devoir les entendre aussi rigoureusement qu'on le fit depuis, il est certain que la publication du livre des Maximes excita en peu de temps les plus vives réclamations, et que Bossuet surtout se prononça bientôt à ce sujet avec une véhémence qui dutsingulièrement influer sur l'opinion publique.

Ce n'est pas que la doctrine de Fénélon fût Différence la même que celle des Quiétistes déjà condamnés. entre la doc- Bien loin de se joindre à eux, il rejetoit expres

trine de Fé

nélon, et le sément, dans le xxv. article de son livre, le prinQuiétisme cipe fondamental de leur systême, c'est-à-dire, déjà condam- la supposition chimérique d'un acte continuel

né.

de contemplation et d'amour, et il condamnoit en plusieurs endroits les autres erreurs qui découlent de ce faux principe. Dans son intention, tout le plan de son livre, comme il le disoit dans l'Avertissement, se réduisoit à établir et à développer ces quatre points, auxquels il croyoit qu'on peut rapporter toutes les maximes des saints sur la vie intérieure: 1° que toutes les voies intérieures tendent à l'amour pur ou désin

téressé; 2° que le but des épreuves de la vie intérieure est la purification de l'amour; 30 que la contemplation, même la plus sublime, n'est que l'exercice paisible de cet amour pur ou désintéressé; 4° enfin que l'état de la plus haute perfection, appelé par les mystiques vie unitive ou état passif, n'est que l'entière pureté et l'état habituel de cet amour.

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« Tout le plan de mon livre, dit-il encore » dans le premier de ses écrits apologétiques, » se réduit à deux points essentiels. Le premier » est de reconnoître que la charité, principale » vertu théologale, est un amour de Dieu indépendant du motif de la récompense, quoiqu'on » désire toujours la récompense dans l'état de la » charité la plus parfaite. Le second est de re» connoître un état de charité parfaite, où cette » vertu prévient et anime toutes les autres, en » commande les actes, et les perfectionne, sans >> leur ôter leurs motifs propres, ni leur dis>> tinction spécifique, en sorte que les ames de » cet état n'ont plus d'ordinaire aucune affection >> mercenaire ou intéressée (1). » Mais, en voulant soutenir la doctrine du pur amour, sur laquelle il croyoit Bossuet dans l'erreur, Fénélon ne sut pas toujours donner à ses expressions l'exactitude et la précision qu'il avoit lui-même annoncées dans la préface de son livre, et qui étoient en effet plus nécessaires que jamais dans les fâcheuses

(1) Instr. past. du 15 sept. 1697: Introduction, p. 180 de ce volume.

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livre des

Maximes.

circonstances où il se trouvoit. Il arriva de là qu'en réprouvant le systême absurde des nouveaux mystiques, il introduisit, contre son intention, un quiétisme mitigé, dont le principe fondamental étoit un état habituel de pur amour, dans lequel le désir des récompenses et la crainte des chátimens n'ont plus de part.

Nous n'entreprendrons pas de donner ici l'anaAnalyse du lyse détaillée du livre des Maximes; ce travail nous meneroit beaucoup trop loin, à cause de la méthode que l'auteur y adopte pour exposer sa doctrine. Nous nous bornerons à exposer en peu de mots le plan de cet ouvrage, et les principales erreurs qui l'ont fait condamner.

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Fénélon distingue d'abord (1) cinq sortes d'aCinq états mour, ou plutôt, comme il l'explique luid'amour dis- même (2), cinq états différens d'amour de Dieu : tingués dans 1° l'amour purement servile, qui consiste « à ce livre. » aimer Dieu, non pour lui-même, mais pour >> les biens distingués de lui, qui dépendent de sa » puissance, et qu'on espère en obtenir. Tel étoit >> l'amour des Juifs charnels, qui observoient la » loi pour être récompensés par la rosée du ciel » et par la fertilité de la terre (3). »

2° L'amour de pure concupiscence, « par le>> quel on n'aime Dieu que comme le moyen ou » l'instrument unique de félicité, que l'on rap(1) Explic. des Maximes, etc. Notions préliminaires, p. 1, etc. (2) Ibid. Avertissement, p. 22. Dans le corps du livre, p. 8, 268, 272. Instr. pastor. du 15 sept. n. 2.— · Réponse à la Déclar. n. 9 et 46: p. 183, 319, 441 de ce vol. Max. Notions prélim. p. 1、

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(3) Explic. des

» porte uniquement à soi, comme fin dernière,.... » ce qui est, comme dit saint François de Sales (1), » une impiété non pareille (2). »

3o L'amour d'espérance, « dans lequel le mo» tif de notre propre bonheur prévaut encore sur >> celui de la gloire de Dieu.... Cet amour

» n'est pas entièrement intéressé, car il est mé» langé d'un commencement d'amour de Dieu » pour lui-même; mais le motif de notre propre » intérêt est son motif principal et dominant (3). » 4° L'amour intéressé ou l'amour de charité mélangée, qui est « un amour de charité mé» langé de quelque reste d'intérêt propre, mais » qui est le véritable amour justifiant, parce que » le motif désintéressé y domine. . . . . Cet amour » cherche Dieu pour lui-même, et le préfère à » tout sans aucune exception (4). »

5o Le pur amour, ou la parfaite charité, «< qui est une charité pure et sans aucun mélange » du motif de l'intérêt propre. Alors, dit Féné» lon, on aime Dieu au milieu des peines, de ma» nière qu'on ne l'aimeroit pas davantage, quand » même il combleroit l'ame de consolations. Ni » la crainte des châtimens, ni le désir des récom>> penses n'ont plus de part à cet amour (5). » Ces paroles renferment la première proposition, justement condamnée par le bref d'Innocent XII, comme on le verra bientôt.

Après ces notions préliminaires, l'auteur di

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