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» pour rentrer dans les goûts sensibles et dans les >> raisonnemens où elles étoient auparavant, se >> persuadant que, sans cela, elles ne font rien et >> perdent le temps..... Mais, ajoute-t-il, tandis que » ces gens-là se retirent de cette sainte oisiveté, >> ils ne gagnent rien par leur application labo>> rieuse. Ils occupent bien leur esprit à produire » des actes; mais ils perdent la tranquillité inté>> rieure dont ils jouissoient auparavant (1). Qu'y » a-t-il de plus clair que ces paroles, dit Féné» lon?.... l'ame non-seulement peut se retirer du regard général et amoureux, mais elle l'entre» prend et l'exécute; il est vrai seulement qu'elle » le fait sans profiter (2). »

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L'archevêque de Cambrai insiste plus fortement encore sur l'autorité de saint François de Sales et de la vénérable Mère de Chantal. « Pour la Mère » de Chantal que vous m'opposez, monseigneur, » sur ces impuissances de faire des actes, souffrez » que je vous représente que c'étoit de tous les >> exemples celui qu'il vous étoit le moins per» mis de citer. Il est vrai qu'elle parle ainsi de » son esprit: Il est dans son Dieu et entre ses bras » miséricordieux, sans actes; car je n'en puis » faire. Mais elle ajoute aussitôt : ce qui me peine, » c'est de retrancher les réflexions. Les réflexions » sont sans doute des actes discursifs. Loin d'être >> dans une impuissance absolue de faire des ré>> flexions, qui sont des actes discursifs, elle as» sure que sa peine étoit de retrancher ces ac(1) Nuit obscure, liv. 1, chap. x. (2) Lettre contre le Mystici in tuto, n. 7: tom. VIII.

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»tes..... Je suis de même, ajoute-t-elle, dans l'impuissance d'accepter le mal que la tenta» tion me présente. Voilà deux impuissances qu'elle suppose semblables; l'une de faire des >> actes sensibles; l'autre d'accepter le mal que la » tentation lui présente. Direz-vous que l'impuis» sance de pécher étoit absolue en elle, et qu'elle » étoit absolument impeccable?..... »

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<< Mais écoutons ailleurs cette vénérable Mère, » qui consulte saint François de Sales: Je vous » demande, mon très-cher Père, si l'ame ne doit » pas, spécialement au temps de l'oraison, rejeter >> toute sorte de discours, industries, répliques, » curiosités et choses semblables, et au lieu de >> regarder ce qu'elle a fait ou fera, regarder » Dieu, demeurant en cette simple vue de lui et » de son néant, toute abandonnée, contente et tranquille, sans se remuer nullement pour faire » des actes sensibles de l'entendement et de la vo» lonté, non pas même pour la pratique des vertus, » ni détestation des fautes.... Vous me direz: » Pourquoi sortez-vous donc de lù? O Dieu! » c'est mon malheur, et malgré moi, l'expé» rience m'ayant appris que cela m'est fort nui»sible; mais je ne suis pas maîtresse de mon » esprit, lequel, sans mon congé, veut tout voir » et tout ménager. Le saint ne croyoit pas moins la vénérable Mère qu'elle étoit libre pour » faire ces actes ou pour ne les faire pas : c'est » pourquoi il lui défendit de les faire..... Je » vous commande, lui dit-il, que simplement vous » demeuriez en Dieu, sans vous essayer de rien FÉNÉLON. IV.

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que

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99.

» faire, ni vous enquérir de lui de chose quel» conque, sinon à mesure qu'il vous y excitera. » Il paroît clairement, conclut Fénélon, que cette » vénérable Mère, loin d'être dans une impuis»sance absolue de faire des actes sensibles et dis»cursifs, retomboit sans cesse dans l'empresse»ment pour en faire. C'étoit son malheur : ces >> actes lui étoient fort nuisibles : elle prie le saint » de les lui défendre, parce qu'elle espère que » l'obéissance la rendra fidèle pour les suppri» mer... Elle étoit donc bien éloignée de manquer » de liberté, pour faire ces actes; puisque son » malheur étoit de les faire, et que le saint lui » donne pour règle de les retrancher. Que ne ci>> terez-vous pas, monseigneur, puisque vous ci» tez un exemple qui renverse si évidemment >> toute votre opinion (1)? »

L'archevêque de Paris lui-même, malgré l'apAccord de probation générale qu'il avoit donnée à l'Instrucl'archevêque tion de Bossuet sur les Etats d'oraison, étoit loin

Fénélon avec

de Paris.

d'admettre son opinion sur la nature de l'oraison passive. Pendant l'examen qu'il fit du livre des Maximes, avant sa publication, il témoigna être bien aise de ce que le sentiment de l'archevêque de Cambrai sur cet article étoit plus net et plus précautionné que celui de l'évêque de Meaux (2); et dans le temps même où il se réunissoit à celuici pour attaquer publiquement le livre des Maximes, il enseignoit que l'oraison passive ne réduit

(1) Lettre contre lo Mystioi in tuto, n. 8: tom. viii. (1) Questions proposées à M. de Noailles, en présence de madame de Maintenon: pag. 109 de ce vol.

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pas une ame à l'impuissance absolue de produire
des actes discursifs; mais que ses facultés sont seu-
lement comme liées en ce temps là par la force
de la grâce qui l'attire aux actes directs. Voici
comment il s'exprimoit à ce sujet, dans son In-
struction pastorale du 27 octobre 1697: « L'esprit
» de Dieu enlève une ame quand il lui plaît, dit
» sainte Thérèse qui l'avoit tant éprouvé, et la
» porte où il veut avec une force toute-puissante.
» Alors il n'y a qu'à suivre un mouvement si ra-
» pide. Il en coûteroit trop, si l'on vouloit ré-
>> sister à l'impétuosité de l'esprit de Dieu. Les
» puissances de l'ame sont comme liées dans ce
» temps là. C'est alors qu'on peut dire qu'elle est
passive, ainsi que parlent les vrais spirituels, si
» mal entendus, ou si malignement expliqués par
» les faux mystiques (1). »

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100.

Nouveauté

Fénélon se croyoit d'autant plus fondé à rejeter sur ce point l'opinion de Bossuet, que ce prélat, reprochée à qui faisoit valoir avec tant de force et de raison l'opinion de contre les nouveaux mystiques le silence éternel Bossuet. de l'antiquité, avouoit en même temps que, « dans » les plus grands saints de l'antiquité, on ne voit ni » trait ni virgule qui tende à l'état passif, »au sens où il l'expliquoit; et que dans saint Augustin en particulier, « dont nous avons tant de hautes in>>>structions sur l'oraison,... on ne voit aucun vestige, mais plutôt tout le contraire de ces impuis

(1) Instr. past. contre les illusions des faux mystiques, n. 45 : ci-après, tom. v. Ce passage est rapporté dans la Lettre de Fénelon à Bossuet, contre le traité intitulé: Mystici in tuto, n. 5:

tom. VIII.

>>sances mystiques » dont les modernes ont parle. » Vous triomphez, Monseigneur, disoit à ce sujet l'archevêque de Cambrai, de ce que je n'ai point rapporté de passages des écrivains mystiques, pour rejeter l'impuissance absolue dans » laquelle vous faites consister l'état passif. Mais » à qui est-ce de nous deux à entrer en preuve? » Pour moi je prends naturellement les termes de » passif et de passiveté, comme ils sont partout » dans le langage des mystiques, pour quelque » chose d'opposé aux termes d'actif et d'activité.... » Ainsi le retranchement des actes inquiets et em» pressés, marqué dans le xrie Article d'Issy, fait, » selon moi, une oraison et une vie qui n'a point » d'ordinaire d'activité, et qui en ce sens est nom» mée passive. Si vous voulez une autre passiveté, » c'est à vous à la prouver clairement, et non pas » à me demander des preuves contre votre opi>> nion.... Remarquez, monseigneur, que vous » avez donné pour règle que toute tradition soit » reçue par le consentement unanime de tous les » Pères..... Suivant votre règle prise en rigueur, » il ne vous seroit pas permis d'admettre votre » passiveté, sans la trouver dans le consentement » unanime de Tous les Pères; il faudroit que tous sans exception l'eussent autorisée. Où en » êtes-vous, puisque vous êtes contraint d'avouer

qu'on n'en trouve dans aucun Père jusqu'à saint » Bernard inclusivement ni trait ni virgule ? Pour »saint Augustin, loin d'en laisser quelque vestige, il dit plutôt tout le contraire (1) ? »

(1) Lettre contre le Mystici in tuto, a. 2: tom. vii.

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