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mis par les auteurs mystiques. Il nous suffira de rappeler ici quelques-unes des autorités qu'il invoquoit en sa faveur (1). Nous avons déjà rapporté que la vénérable Mère de Chantal ayant consulté saint François de Sales au sujet des actes les plus essentiels au christianisme, auxquels elle assuroit ne pouvoir plus s'exciter, le saint évêque lui répondit : « Je vous commande que simplement » vous demeuriez en Dieu, sans vous essayer de » rien faire, ni vous enquérir de lui de chose quelconque, sinon à mesure qu'il vous y exci» tera (2). » Saint François de Sales et sa sainte fille reconnoissoient donc un état de perfection dans lequel l'ame ne s'excite plus ordinairement aux actes de la piété chrétienne, et ne les produit plus d'ordinaire que par une inspiration ou une grâce spéciale du Saint-Esprit.

>>

Le cardinal de Bérulle, dans son Traité de l'abnégation intérieure, reconnoît aussi que Dieu attire quelquefois une ame, même dès cette vie, « à une telle perfection de vertu et d'élévation » intérieure, qu'il en prend totale possession à » perpétuité, sans remise et relâche quelconque,

(1) Les écrits imprimés de Fénélon n'offrent qu'un petit nombre de citations sur cette matière. On en trouve un plus grand nombre dans ses ouvrages manuscrits, dont nous avons donné la liste à la suite de l'Avertissement, et spécialement dans une Dissertation sur l'état passif, où il tâche d'établir la réalité de cet état, par une tradition constante et non interrompue depuis les premiers siècles. - 2) Vie de madame de Chantal, par Maupas: réponse aux consult. 2o part. ch. vII. Lettre de Fénélon à Bossuet, des 6 et 8 mars 1695: OEuv. de Boss. tom. xL, pag. 110 Vérit. Opposit. n. 35: tom. v.

et suiv.

› et sans jamais plus lui rendre la faculté d'agir » par elle-même, qui est un moyen par lequel » elle peut conjecturer ce que Dieu demande » d'elle en ce point (1). »

Cette doctrine paroît être également celle du P. Surin dans son Catéchisme spirituel : « La vie parfaite, dit-il, est celle où l'homme, après avoir > beaucoup travaillé à sa perfection avec les se» cours ordinaires de la grâce, n'agit plus de son » propre mouvement, mais suit en tout la con» duite et le mouvement du Saint-Esprit. On ap» pelle cette vie l'état passif, parce que l'ame y >> reçoit des opérations de Dieu dont elle n'est » que le sujet, et qu'elle ne contribue à bien des choses qui se passent en elle, que par le consen» tement qu'elle y donne (2). »

§. IV. Quatrième difficulté. Les épreuves de l'état passif.

La quatrième et dernière difficulté entre les deux prélats avoit pour objet les épreuves ou les ten

120.

Opposition entre les deux

prelats sur les

tations de l'état passif, et les actes héroïques de résignation que Dieu inspire aux ames parfaites. On épreuves de l'etat passif. a vu plus haut (3) que dans ces terribles épreuves l'archevêque de Cambrai admettoit deux sortes de sacrifices, l'un conditionnel qui a pour objet la béatitude éternelle ; et l'autre absolu qui a pour objet cette imperfection que les mystiques nomment propriété ou mercenarité. Il est certain que

(1) Traité de l'Abnég. intér. ch. 111, n. 7. — (2) Catéch. spirit. tom. 1er, ire part. chap. vi, rre quest. 111* part. chap. 111, 1re quest, — (3) 1re part. de cette Analyse, §. 111; пe part. §. 111.

121.

torise le sa

tionnel.

Bossuet balança pendant quelque temps à autoriser le sacrifice même conditionnel de la béatitude. La prétendue résignation d'une ame persuadée de sa réprobation lui sembloit être un véritable désespoir; et, par une conséquence naturelle de son opinion sur le motif de la béatitude essentiel à tous nos actes, il étoit porté à regarder comme de pieux excès et d'amoureuses extravagances tous les actes d'amour fondés sur des suppositions impossibles (1). Fénélon croyoit, au contraire, que la généreuse résignation d'une ame fervente au bon plaisir de Dieu, parmi les vives appréhensions de sa réprobation future, laissoit toujours subsister l'espérance au fond du cœur, quoique cette disposition cessât alors d'être sensible et aperçue. Il ajoutoit qu'on ne peut rejeter les actes d'amour fondés sur des suppositions impossibles, sans contredire ouvertement la pratique des plus grands saints et la doctrine des auteurs mystiques les plus révérés dans l'Eglise.

Malgré les instances de Fénélon, Bossuet eût Bossuet au- bien désiré ne pas s'expliquer là-dessus dans les crifice condi- Articles d'Issy; mais les nombreux témoignages de la tradition qu'on lui opposa le firent enfin consentir à autoriser par le xxxIII Article le sa-crifice conditionnel du salut dans les grandes épreuves de la vie intérieure (2). L'examen plus

(1) Hist. de Fénelon, liv. 11, n. 20: tom. I. Mirepoix, du 29 mai 5: tom. XL, p. 131.

Lettre à l'év. de

(2) Lettres à l'év.

de Mirepoix, des 24 et 29 mai, et du 3 juin 1695: tom. XL, p. 127 et suiv. — Voyez aussi les Questions à M. de Noailles, en pré· sence de madame de Maintenon, pag. 106 de ce vol.

approfondi

approfondi qu'il fit bientôt après de la tradition, le convainquit de plus en plus de la vérité de ce XXXIII Article, comme on le voit par le 1x livre de son Instruction sur les Etats d'oraison, dont il emploie une grande partie à « établir le fait cons>> tant qu'on ne peut rejeter ces résignations et sou>> missions fondées sur des suppositions impossibles, » sans en même temps condamner ce qu'il y a de » plus grand et de plus saint dans l'Eglise (1)... Plu>>sieurs savans hommes, dit-il un peu plus haut, qui voient ces suppositions impossibles si fré» quentes parmi les saints du dernier âge, sont » portés à les mépriser ou à les blâmer comme de pieuses extravagances, en tout cas, comme de » foibles dévotions où les modernes ont dégénéré » de la gravité des premiers siècles; mais la vérité » ne permet pas de consentir à leurs discours (2). » Ailleurs il représente le sacrifice conditionnel du salut comme un acte héroïque dont «< la pratique » ne peut être sérieuse et véritable que dans les » plus grands saints (3), dans un saint Paul, dans » un Moïse, c'est-à-dire, dans les ames d'une » sainteté qu'on ne voit paroître dans l'Eglise que >> cinq ou six fois dans plusieurs siècles. >>

122.

sacrifice ab

Quant au sacrifice absolu, les Articles d'Issy n'en font aucune mention, et l'évêque de Meaux Il rejette le l'a constamment rejeté, non-seulement en tant qu'il auroit pour objet la béatitude éternelle, mais encore en tant que son

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ique objet seroit l'amour

(1) Instr. sur les Etats d'orais. liv. 1x, n. 4: tom. xxvii, p. 357.

·(2) Ibid. n. 3, p. 349. — (3) Ibid. liv. x, n. 22: p. 437.

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naturel de cette béatitude, c'est-à-dire, les douceurs et les consolations sensibles que l'amour naturel de nous-mêmes nous porte à y chercher. Selon lui, le sacrifice absolu se réduit pour le fond au sacrifice conditionnel, et les termes absolus employés par quelques ames peinées, dans le temps des plus rudes épreuves, sont uniquement l'effet du trouble extrême de leur imagination (1). Bossuet regardoit même la doctrine de Fénélon sur le sacrifice absolu de l'intérêt propre comme une nouveauté dangereuse; il craignoit qu'en autorisant, même en ce sens, le sacrifice absolu, on ne donnât lieu à l'illusion, «< et que, sous prétexte >> d'exterminer l'amour naturel et délibéré de soi» même par lequel on veut jouir de Dieu, on se » donnât la liberté d'exterminer tout désir de » la jouissance.... Ces sacrifices absolus que vous » nous vantez tant, disoit-il encore à Fénélon, ne » se trouvent chez aucun auteur que chez vous, » où il les faudroit effacer, et non pas leur cher>> cher un vain appui (2). »

Fénélon n'en persista pas moins à soutenir le Comment sacrifice absolu dans le sens où nous venons de Fénélon ré- l'expliquer. Bien loin de regarder cette doctrine difficultés sur comme nouvelle et dangereuse, il la croyoit auce point. torisée par la tradition constante des Pères et par

pond à ses

(1) Instr. sur les Et. d'orais. liv. ix, n. 3; liv. x, n. 17: t. xxvII, p. 349, 411, etc. Voy. aussi l'abrégé, déjà cité, de la même Instr. liv. 1, dial. xiv.

Rép. à quatre Lettres de M. de Cambr. n. 12: tom. xxix, pag. 43. —(2) Rép. à quatre Lettres de M. de Cambrai, n. 13: pag. 49.

Pref. sur l'Instr. past. n. 120 et

121: tom. xxvII, pag. 665 et suiv.

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