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politiques et sociales

SUR LES ÉVÉNEMENTS D'ITALIE

Le procès Notarbartolo, qui se déroule en Italie depuis tant de jours et qui a été signalé par de si extraordinaires dépositions, évoque avec tout le passé historique et tous les récents méfaits de la Maffia, les conditions de la politique intérieure de la Péninsule.

Chacun sait que la Maffia sévit surtout en Sicile, cette province déshéritée, cette Irlande du Midi, où s'épand une misère atroce, où, à l'ombre des grandes propriétés terriennes triomphantes, subsiste la plus redoutable ignorance qu'on puisse noter dans l'Europe latine, germaine ou anglo-saxonne. Contre le paysan pressuré à merci, foulé plus durement encore que le serf de l'ancien régime, contre le petit citadin ruiné par les contributions d'octrois, contre le mineur des solfatares voué à la faim incessante, les agrariens, les bourgeois, ont formé, avec l'administration civile et militaire, une coalition bientôt séculaire. La Maffia, qui fut jadis la révolte organisée des classes inférieures contre le mauvais gouvernement des Bourbons, n'est plus, à cette heure, que la conspiration permanente des classes aisées, de tout temps protégées par le pouvoir, contre les petits, les malheureux et les mendiants. Elle dérobe ses membres à la justice, quand ils volent ou tuent; elle leur assure par préférence toutes les places lucratives; elle les décharge de l'impôt, des réquisitions de toute nature; elle pourrait se définir une féodalité occulte, armée pour le pillage et sûre, par ses ramifications innombrables, de l'impu

nité absolue.

C'est merveille que l'affaire Notarbartolo ait pu venir devant les assises: il est prodigieux que le député Pallizolo ait été appréhendé, et stupéfiant que le général Mirri ait osé, à la barre des témoins, prononcer contre la Maffia un véritable réquisitoire. Jusqu'ici, le nom même de cette Société n'était proféré qu'avec respect; un souffle de mort passait sur ceux qui méditaient d'arrêter ses forfaits. Les préfets achetaient de leur silence une tranquillité toujours menacée et les procureurs du roi étouffaient méthodiquement, fidèlement, dévotement les plaintes dont on les saisissait contre le tout puissant syndicat. Aussi bien les ministres qui eussent été tentés de sévir hésitaient devant les perspectives qu'on faisait miroiter à leurs

yeux.

Pourquoi le cabinet Pelloux s'est-il résolu, cette fois, à rompre le charme, à violer les traditions? Les motifs de sa décision sont encore mal connus et il y aurait plaisir et profit à savoir la pensée du roi Humbert et de son entourage immédiat en cette occurrence. En tout cas, et quelle que soit l'issue du procès Notarbartolo, le président du conseil doit s'attendre à subir, à la rentrée de la Consulta, de très rudes assauts. On ne l'attaquera pas, à coup sûr, à propos de l'arrêt

rendu ou de l'instruction commencée, mais la bataille ne s'en déploiera pas moins, et qui sait si les affiliés et les amis ou les clients de la Maffia ne lui feront pas payer très cher sa témérité ?

Il n'y a qu'un cri dans le peuple, en Italie, contre la terrible Société sicilienne. Entourée d'obscurité, elle suscite des haines aussi intenses que l'effroi qu'elle perpétue. Il n'est point d'homme dans la foule qui ne sente, qui ne discerne en elle le soutien, la colonne centrale de l'état de choses que la maison de Savoie a établi et préserve jalousement. La Maffia n'est au fond que l'oligarchie capitaliste érigée en groupement mystérieux pour l'exploitation des masses. Elle frappe par le poignard, par le poison, par le rapt. au lieu de dominer par la famine. Comment la dynastie elle-même atteinte, vacillante, mènerait-elle la lutte jusqu'au bout? Pour dompter l'association dont le berceau est la Sicile, mais qui s'est prolongée en terre ferme, il lui faudrait s'appuyer sur la démocratie, c'est-à-dire revenir à son origine révolutionnaire. Ce serait aujourd'hui fournir des armes à la République radicale et socialiste. Donc, le procès de la Maffia sera, d'une façon ou de l'autre, réduit à ses plus strictes limites.

L'affaire Notarbartolo, après les multiples affaires Crispi, après le Panamino et l'effondrement des Banques, voilà le dramatique et saisissant résumé de l'histoire de la Péninsule dans les dix dernières années. Les scandales politiques se superposent aux scandales financiers; les crimes et les meurtres, aux délits d'escroquerie et aux chantages éhontés. Comme la France, comme l'Allemagne, comme l'Angleterre, l'Italie a eu sa large gerbe de fleurs bourbeuses, son lot déplorable de brigandages perfectionnés. Mais la France est une République qui peut, sans changer le principe de sa Constitution, s'assainir et se réhabiliter il lui suffit de modifier sa structure sociale; l'Angleterre ne toucherait point sans raisons extrêmes au trône où s'asseoit une reine qui ne gouverne pas; l'Allemagne ne songe pas encore à reprocher à son empereur les flibusteries de ses capitalistes, et pour l'heure la croissance méthodique de sa démocratie socialiste suffit à ses visées de régéneration. La dynastie de Savoie ne saurait se targuer d'avoir des assises aussi stables que les Hanovre ou les Hohenzollern. Adoua faillit la précipiter. Le procès de la Maffia, avec les complications qui peuvent en découler, les lumières étranges qu'il projette sur certains dessous, le véhément réquisitoire qui s'en dégage spontanément contre les complicités administratives, contre les complaisances ministérielles, contre la tolérance prolongée de l'autorité monarchique, est susceptible d'imprimer l'ébranlement final. A la veille des écroulements de trônes, sont toujours intervenues ainsi de scandaleuses informations, aux suites illimitées... Comme le disait Colajanni, le gouvernement central de Rome n'est qu'une grande Maffia et c'est peut-être sa condamnation qui se prépare.

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PAUL LOUIS

Petite Gazette d'art

L'ART DANS TOUT (1)

Quelques artistes depuis quelques années déjà, sous ce titre absolu, organisent des expositions exclusivement consacrées à des travaux d'art décoratif où ils montrent des bijoux, des étoffes et des meubles de leur invention.

De ce groupe, se détachent tout d'abord MM. Charles Plumet et Tony Selmersheim. Architectes de profession, ils ont un idéal certain de renouveau décoratif. La ligne infléchie leur semble l'élément de toute élégance; aussi joue-t-elle un rôle prépondérant dans leurs meubles. Les formes qu'ils ont adoptées sont neuves et pratiques; enfin ils ont le souci de la perfection du travail.

On connaît de ces messieurs, signés parfois de l'un ou de l'autre, plus souvent de tous les deux à la fois, des ameublements harmonieux. Cette année MM. Plumet et Selmersheim nous montrent une salle à manger, en bois clair. La table est élégante de lignes et les sièges sont suffisamment confortables. Mais leur meilleure pièce est encore une étagère d'angle ornée de gracieux cuivres dont l'ornementation empruntée à la flore repose des formes calligraphiques dont on commence à abuser. Une seule critique : nous avons dit que dans ces meubles les courbes prédominaient. Or, le bois se plie mal à des inflexions qui sont l'apanage du fer forgé, d'où des raccords fréquents qui agacent l'œil et laissent des doutes sur la solidité de ces assemblages.

Les recherches de M. Alexandre Charpentier semblent faites pour montrer la difficulté qu'il y a à concevoir du nouveau dans l'ameublement. Très logiquement il a voulu réagir contre la fragilité des objets <«<modern-style ». A l'instable il a tenu à apposer du solide et du résistant. Mais il est tombé dans l'excès. Ses modèles nous ramènent à la plus mauvaise époque Louis-Philippe, et l'ornementation volontairement fruste active encore l'impression. de lourdeur du fauteuil et des quelques sièges qu'il a exposés. Evidemment, M. Alexandre Charpentier a cherché lui aussi ses formes, mais sans résultat heureux et neuf. Echec peu important, peut-être momentané, d'un artiste de talent qui a nombre d'œuvres de valeur à son actif. Par exemple, le joli groupe de « la Fuite de l'Heure » heureusement présent.

Dans sa « table à écrire », de travail si parfait, M. Jean Dampt pêche par excès d'élégance. C'est un meuble pour des Esseintes. 11 semble qu'on ne puisse l'approcher que vêtu de satin, chaussé de cygne et ganté de blanc. De plus pour ceux qui aiment le personnel talent de M. Dampt, ce joli bibelot a le tort de ne pas renseigner

(1) Galerie des Artistes modernes, rue Caumartin.

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ainsi que cela arrivait dans les meubles et motifs montrés antérieurement sur les facultés intellectuelles et la maîtrise technique de son créateur, ce maître ès-arts, dompteur des matières les plus diverses, résistantes ou capricieuses: bois, fer, ivoire.

M. Aubert, à qui l'on doit des modèles de tapis et de soieries accueillis favorablement en France et même à Londres, consacre depuis quelque temps son spécial talent à la confection de dentelles polychromes dont le dessin s'inspire, mais lointainement, de la forme de fleurs, d'insectes, et qui sont d'un grand charme.

M. Jules Desbois n'est, à cette exposition, que de nom. M. MoreauNélaton montre une série de poteries, dont le décor est emprunté à la flore. L'exécution est large, décorative et brillante. Mais nos vieux potiers obtinrent de si admirables résultats dans cette spécialité, qui tend à devenir pour quelques-uns une sorte de sacerdoce, qu'on ne saurait applaudir outre mesure lorsqu'il s'agit de coûteuses pièces. Je ne dis pas cependant cela pour M. Moreau-Nélaton dont je connais l'esprit large et l'amour profond pour l'art populaire.

M. Jorrand montre une tapisserie, et M. Yahn-Naud, des bagues d'aspect curieux,

M. L.-M.-A. Herold réussit assez bien dans des marquetteries de boites, travail qui semblait réservé jusqu'ici aux seules femmes du monde.

En fait, une exposition intéressante par ses tendances et par ses résultats, mais où l'on ne trouve malheureusement pas ces objets usuels, neufs de forme et de décors et accessibles à toutes les bourses, qui légitimeraient cette devise brutale et belle : L'Art dans tout.

DEUX CENTS DESSINS

HERMANN-PAUL: Deux cents dessins, 1897-1899 (Editions de La revue blanche).

De même que l'on aime à feuilleter, à retrouver des notes de voyage, ceux qu'enfiévra l'Affaire auront plaisir à revivre pendant une heure, en la compagnie d'Hermann-Paul, les émotions de ces deux dernières années. Car ces deux cents dessins, c'est toute l'Affaire Drey.us évoquée. C'est la Campagne pour la Révision, le Ministère Brisson, les tragiques fins Lemercier-Picard et Henry, l'Agitation antisémite, le Procès de Rennes, le Commencement de la Réparation. Tout cela retracé, résumé en des compositions mordantes, commentées par des portraits qui n'ont nul besoin de déformation ou d'accentuation pour être évocateurs.

Des chauvins mal inspirés placardèrent naguère sur les murs les photographies de cinq ministres de la guerre. Les crânes de ces gens, leurs rides, leurs regards étaient déjà suffisamment significatifs, mais le retoucheur avait passé par là. Hermann-Paul, lui, les a croqués tels quels. Et de Mercier, de Zurlinden, de Chanoine, de Billot, de Cavai gnac il a tracé des effigies inoubliables.

Mais à côté de la valeur documentaire il y a l'importance artistique de l'œuvre. Telles des compositions du livre resteront parmi les meilleurs morceaux de la caricature française. L'Intervention Scheurer-Kestner, C'est épatant, un peu plus ça faisait une barricade, Résultats nationalistes, Avec celui-là au moins on est tranquille, Les chiens aboient, la caravane passe, Pièces à conviction, Les Deux victimes sont des œuvres qui ne sauraient être atteintes par les variations de l'actualité.

En fait, un document d'art et d'histoire.

CHARLES SAUNIER

A. A. A.

The American Art-Association of Paris ouvre son annual exhibition (1). Commensaux intègres, ce qu'ils apprirent de nos plus accrédités maîtres tout ils n'en ont rien oublié, et leurs ouvrages le restituent loyalement : il manque à cette peinture probe, attentive, solide jusqu'à la compacité, terne jusqu'en ses rutilances, timorée même lorsque violente, pourvue d'ailleurs de tous les mérites pratiques réunis par les productions des bons ouvriers, la seule qualité nécessaire à l'artiste une originalité. De la centaine exposée (presque rien que paysages) on distingue Idylles et Pastorales de C. Gihon, un Orage d'automne de A. D. Gihon, un Jardin du Luxembourg de Suhr, un paysage de Officer; les eaux-fortes de A. Lewis et Trowbridge. La sculpture est morne.

PASTELS DE PESKÉ (2).

Quitté l'un peu orgueilleux étalage, sur le point de sortir, la joie d'une trouvaille : des pastels qu'on découvre, au couloir de dégagement. Notre pastel abâtardi par les petites mains, encanaillé aux doigts mercantiles: aquarelles ou gouaches ambitieuses, ou bien des à-l'huile contrefaits; (métier d'estomper, fondre les tons en pains de savon abandonnés dans la cuvette; « empatements et cuisines >> tels qu'avec la brosse, etc...)

Ici, la première impression est d'une diaphanéité lumineuse. Pourquoi ? C'est que le pastel est traité en pastel. Des néo-impressionnistes, prudemment étudiés, apparaît-il, certains procédés qui dans leur rigueur les desservirent, servent celui-ci qui les applique, modifiés, à un art différent. Car, si la peinture garde, indélébile, son caractère de pâte figée, coagulée, emprisonnée, le pastel, matière sèche, pulvérulente, est la mosaïque d'une poussière de pierres précieuses, juxtaposables, non mélangeables; d'où sa mobilité, presque volatile : un duvet de fruit. Or, chez Peské, point d'amalgames, d'où

(1) Galeries Durand-Ruel, rue Le Peletier, II. (2) Mêmes galeries.

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