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Dans la matinée, la nièce de M. Bidoure, Clotilde, l'institutrice laïque, était venue avec son caoutchouc annuel.

Ainsi qu'à chaque premier de l'an, elle riait et suffoquait sans pouvoir parler, et ainsi qu'à chaque premier de l'an, il lui était arrivé quelque chose d'extraordinaire. Tous les Bidoure l'entouraient, se demandant avec anxiété la cause de cette nouvelle crise, et vantaient les beautés du caoutchone qu'elle avait déposé sur le coin de la crédence, afin de la faire causer.

Mais enfin, Clotilde...? insinuaient-ils...

Bonne année,... ma tante,... bonne année... Pourtant, je t'en supplie... Tout à l'heure.

Mais enfin, Clotilde...?

Bonne année,... mon oncle... Tout à l'heure... Tout à l'heure.., Puis :

— Je ne pourrai jamais... Je ne pourrai jamais vous raconter !... continuait-elle, faisant des mines... C'est incroyable !... Il n'y a qu'à moi que cela arrive, véritablement !

Bref, comme Clara, Sophie et Juliette la pressaient.... tout d'une traite :

C'est Widmer, le concierge, qui m'a entraînée sous la voûte de la porte cochère, sans que je sache pourquoi! « Non, Widmer !... Non, Monsieur !... lui disais-je... Je n'entrerai jamais dans votre loge!... A quoi pensez-vous done, Widmer, de donner ainsi le bras à la nièce du propriétaire !... Me prendriez-vous pour une de ces femmes auxquelles... >>

Elle n'avait pas eu le loisir de finir sa phrase, que le concierge la menait déjà sous les yeux complaisants de Mme Widmer, qui des coins de sa robe esquissait d'interminables révérences, et de deux inconnus qui souriaient en la saluant. Là, il la forçait d'accepter un petit verre de raspail et une cerise à l'eau-de-vie, ainsi qu'il avait coutume d'en offrir à ses nombreux locataires à cette époque de l'année.

Chose incroyable !... Elle acceptait, tant ces procédés la désarmaient.... la décontenançaient.... et osait trinquer avec ces gens de si piètre extraction.... à plusieurs reprises!... puis, formulait un adieu, s'éclipsant.

Pourtant Widmer, décidément un peu éméché (elle eût dù s'en apercevoir plus tôt), la suivait encore :

— Laissez-moi, Widmer!... Vous m'entendez, Monsieur, ne me touchez plus !...

De plus en plus excité, et tandis que sa femme décrivait dans le lointain ses sempiternelles révérences, il la repoursuivait jusqu'au fond d'un corridor: et comme elle défaillait de nouveau de stupéfaction

devant tant d'audace, de sa bouche encore collante de raspail, là, près du cou, il l'embrassait.

- En tout bien tout honneur, Mademoiselle Clotilde! ajoutait-il... Simplement afin de vous faire plaisir; et parce qu'en ce beau jour d'aujourd'hui, un baiser d'homme porte bonheur aux demoiselles à marier!

Suffoquée du toupet, elle avait pourtant trouvé la force de se regimber et de lui répondre d'un ton sec

Merci de votre obligeance, Monsieur le concierge... Mais vous feriez mieux de frotter votre escalier!

Il la quittait tout penaud.

Maintenant, en y réfléchissant, et après avoir été sur le point de s'en formaliser, elle se tordait... Vraiment ce demeurait incroyable!... invraisemblable !... Il n'y avait qu'elle à qui cela arrivât!..... Déjà le facteur des imprimés avait manqué de l'embrasser la veille!... L'homme du gaz l'avant-veille !... Et puis c'était l'inspecteur de l'enseignement primaire qui se permettait des privautés !

Singulières mœurs ! fit Mme Bidoure pinçant ses lèvres gercées. Et tandis que son époux opinait gravement de la tête, elle conduisit Clotilde dans le salon afin de lui montrer d'autres caoutchoucs, dracenas et cactus, que quelques inférieurs, protégés de la famille, étaient venus lui offrir les jours précédents.

Restes-en là de tes histoires, ma fille !... lui dit-elle tout à coup, tout bas, entre deux pots... Ça pourrait donner des idées à mes enfants!

Mais ma tante, je ne vois pas ce qu'il y a de mal là-dedans ! Tu m'entends!... reprit Mme Bidoure d'un ton plus accentué...... Restes-en là !

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tour la voix de

Tu entends ta tante!... grommela à son M. Bidoure, juste au-dessus de l'endroit d'où, feignant de regarder aussi les plantes vértes, il les observait.

Néanmoins on la garda à déjeuner.
C'était de tradition.

D'ailleurs, aussitôt terminé, on l'expédia, car, malgré qu'elle fut de la famille du côté de Monsieur, elle était réellement par trop Bignard et pas assez Bidoure, pour aller rendre visite à toutes les vieilles dames seules, aux anciens colonels, ingénieurs en retraite et magistrats, qui constituaient la lignée des Duseigneur-Bertinet, du côté de Madame.

On commanda à Anna, la femme de chambre, d'aller quérir un quatre places à l'heure au plus tôt, Widmer, de plus en plus excité et gémissant à fendre l'âme les Dragons de Villars à travers la cour de l'immeuble, étant désormais incapable de s'y rendre.

Dès qu'Anna en eut apporté le numéro l'on descendit; et déjà l'on pouvait contempler les deux petits chevaux gris couverts

sur le dos comme de braise noire, qui allaient emporter les Bidoure vers le chocolatier où ils se fournissaient d'habitude, lorsqu'on vit un second quatre places aux petits chevaux jaune-clair couverts aussi sur le dos comme de braise noire, s'arrêter devant la porte-cochère, et tous les Norbert-Lemur, y compris leurs trois fils, en descendre subitement.

Enchanté, fit Norbert-Lemur d'un ton badin, nous allions justement chez vous. Permettez-moi de vous présenter mes souhaits de nouvel an, au milieu de la rue.

Nous vous présentons les nôtres, et les meilleurs, mon cher Norbert, fit Mme Pulchérie.

Tiens, mon petit Pulcho, voilà les marrons de l'amitié !... interrompit Mme Lemur.

Que c'est gentil à vous vraiment!... Vous nous gâtez!...

Bonne année, bonne santé et le reste... conclut M. Bidoure d'un air entendu.

Cependant les jeunes Lemur profitaient de cet assaut de courtoisie de leurs parents pour en tenter d'autres, plus effectifs, sur les joues roses et tendues de ces jeunes demoiselles Bidoure.

M. Bidoure, qui s'en aperçut à un regard dont un coiffeur vis-à-vis, suivait ce petit manège de derrière sa vitrine, se contenta de pronon

cer:

Mesdemoiselles, allez vite porter ce sac de marrons chez Widmer, et dites que nous le reprendrons en rentrant.

Alors la famille Lemur réintégra son quatre places à l'heure aux deux petits quadrupèdes jaune-clair couverts sur le dos comme de braise noire, tandis que la famille Bidoure, dès que ces demoiselles furent revenues, s'immisçait dans la sienne aux petits quadrupèdes gris couverts sur le dos d'une identique braise noire, tout semblable

ment.

Chez le chocolatier du boulevard où l'on se fournissait d'habitude, les jeunes filles du comptoir étaient affolées et ne savaient à qui répondre. C'est à peine si, au milieu de leur coup de feu, elles eurent le loisir de s'informer de la santé de cette excellente Madame et de cet excellent Monsieur Bidoure, de si bons clients!

Elles mirent même trois quarts d'heure à leur préparer les trois emplettes qu'ils firent la première de chocolat, boite chinoise d'un goût à la fois riche et distingué, pour la tante Capitan, que porta Clara; la seconde, de marrons glacés, superbe cigogne en peluche pour la tante Duseigneur, que porta Sophie; la troisième, de papillottes mélangées de crottes contenant de la crème rose ou blanche, petite souris dans les prix doux, pour la tante Cottineau, sa vieille demoiselle de compagnie Terpsichore, et son vieux chien havanais Pepito, que porta Juliette.

C'étaient les trois tantes fondamentales. celles auxquelles, pour des

motifs de reconnaissance divers, on avait l'habitude d'offrir de ces beaux présents au jour de l'an.

Les autres tantes n'étaient auprès de celles-là que des tantes éloignées ou accessoires, semblables aux cousines ou aux alliées de degré vague et incertain, desquelles l'on se contente d'ordinaire d'accepter les carrés de caramel que du bout de leurs engageants doigts elles vous offrent.

Quand Clara, Sophie et Juliette se furent réinstallées dans le quatre places, avec sur leurs genoux leurs emplettes soigneusement posées, l'on se dirigea donc, à travers le boulevard et les petites baraques du jour de l'an, vers la première de ces tantes, la Capitan.

Une fois là, l'on abandonna la cigogne en peluche et la souris dans les prix doux aux soins de l'automédon, emportant l'unique boîte chinoise d'un goût à la fois si riche et si distingué vers celle à laquelle on se disposait à l'offrir.

Mais juste, la voiture aux petits quadrupèdes jaune-clair, couverts sur le dos comme de braise noire stationnait déjà devant la porte de

cette tante.

Voilà que nous allons rencontrer les Lemur, de même que l'année dernière, dans toutes les visites que nous ferons!... s'écria Clara.

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Ce sera bien amusant, dit Juliette... n'est-ce pas, sœur?
Oui!... fit Sophie radieuse.

En effet, comme on parvenait au deuxième étage, on les vit, les Lemur, une seconde fois en chair et en os en face de soi.

Enchanté !... fit Norbert, du même ton badin et avec son éternel sourire,... et permettez-moi de vous représenter mes souhaits!

Nous vous représentons les nôtres, mon cher Norbert!... fit Mme Pulchérie.

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Mon petit Pulcho,... dit Mme Lemur, je n'ai plus les marrons, mais je t'offre tout de même l'amitié!

Bonne année, bonne santé et le reste !... conclut M. Bidoure en train de repasser son haute-forme avec sa manche, afin de lui ajouter le luisant.

La tante Capitan était une mafflue avec bonnet de dentelles, robe à crinoline et à tralalas,... même à traderideras.

Bonne année, ma tante !... s'écria Mme Bidoure la baisant, aussitôt entrée, au front.

Bonne année, ma tante!... continua M. Bidoure, la baisant également, au même front, après lui en avoir demandé la permission. Bonne année !... clamèrent ces trois demoiselles la baisant aussi, qui au menton, qui à la joue, qui sur l'œil, tandis que la dernière, Clara, porteuse de la boite chinoise, riche et distinguée, la lui remettait en mains propres.

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Ah! que c'est gracieux vraiment, mes petits enfants, de penser

ainsi à sa vieille tante, si oubliée et qui a tant de douleurs à l'heure actuelle, dit la Capitan d'une voix de nez... Asseyez-vous, je vous prie... Car, je vous le répète, je suis toute seule, toute délaissée, et j'ai bien de la peine, mes pauvres amis !... Que c'est gracieux à vous de penser ainsi à votre vieille tante !...

Alors, elle démaillota avec des mains charmées la boîte chinoise de ses enveloppes et de ses faveurs, et soulevant le léger couvercle, le papier ajouré, mousseline, qui dissimulait les divers produits chocolatés, à l'anis, au nougat, à l'ananas, même les doubles pyramides couvertes de sucre cristallisé, si tentantes pour les veuves:

Prenez-en, mes petites filles... fit-elle... car pour moi, j'ai de fort mauvaises dents, et je ne saurais y toucher !...

Oh! ma tante!... si nous avions pu prévoir, nous aurions apporté autre chose pour tes dents... fit Mme Pulchérie... Ça nous aurait été bien facile !...

Je n'aurais même pas pu goûter à cette autre chose, ma pauvre fille, répondit-elle, car j'ai aussi un trop mauvais estomac !

- Nous aurions fait nos emplettes à un autre magasin, que chez ce chocolatier...

J'ai tout mauvais, mes enfants... Je n'aurais pas pu me servir de vos emplettes!

Alors avec dignité et tristesse, ainsi qu'annuellement, elle commença son antienne :

Elle se portait bien mieux du temps de l'oncle Capitan, quoique ce ne fût pas toujours un homme agréable !... Oh, non!... Pourtant, elle avait éprouvé une grande douleur lorsqu'elle l'avait perdu !... On ne laisse pas s'en aller ainsi un époux, en compagnie duquel, malgré son affreux caractère, on a passé vingt-cinq années de son existence, sans être cruellement touchée !... Elle avait été touchée jusqu'aux moëlles !... Trois semaines d'agonie, l'infortuné!... Et quelle agonie! Il réclamait un revolver !... Ce sont de ces scènes atroces qui vous blanchissent les cheveux prématurément !... Elle ne souhaitait pas à son pire ennemi d'assister à ces scènes-là !... Elle en avait pour son compte éprouvé une telle révolution que, depuis ce temps, elle s'en ressentait toujours!

La dyspepsie ne la quittait plus !... Elle avait des pituites chaque matin, des hoquets chaque soir!... Elle rendait de l'eau par la bouche pendant des heures d'affilée!... Les reins n'étaient pas meilleurs, tant elle avait dû se tenir debout pour soigner le cher moribond!... Le ventre devenait mou, atone, de plus en plus sujet aux coliques hépatiques et congestions hémorrhoïdales !... Et elle demeurait toute triste, seule, avec tous ses chagrins, sa dyspepsie et ses douleurs..... négligée !... abandonnée !...

- Prenez done du baume Opodeldock! C'est excellent, ma tante!....... insinua afin de trouver un remède à cette grande tristesse Mme Pulchérie... Je m'en suis trouvée très bien l'année dernière !...

Ou de la tisane des Shakers!... insinua Clara... Il y a une de

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