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loppant le même thème, le renouvelant, mais témoignant cette fois d'un désir nouveau, plus personnel, d'élégante écriture aiguë des profils, du souci d'inscrire dans un cadre qu'elles emplissent des arabesques précieuses qui s'enveloppent, non moins d'y faire vibrer des sonorités stridentes, une salle où vivent des enfants, et, auprès, dans sa somptuosité le Bain : les corps nus de femmes jouent parmi l'eau et un paysage, la magnificence du décor n'est pas le moindre prodige; les pinceaux voluptueusement, ont brouillé, assoupli comme un mol oreiller où s'appuyât la grâce, de matière inaltérable, des chairs tendres, les arêtes, on dirait gravées, de leur émail.

Des torses, des bustes, jaillis splendides. Des paysages où, au soleil, luxurient Sorrente, Venise de feu. D'exquis morceaux, com

potiers de fruits, grappes, vases à bouquets et leurs bouquets, jardinières aux cuivres aussi fleuris que leurs fleurs. Combien de jolies scènes de la vie de Paris, des environs de Paris, de la Grenouillère à l'Opéra loges, nos appartements, jardins, bords de Seine. De 1884, on dirait d'hier, de tout à l'heure, tant elles sont d'éclat, de frafcheur, les Baigneuses que la lumière veloute, qu'elle irise on garde le souvenir de cent, outre le mirage de la composition, elles sont vingtemplissant de voluptueuse gaîté on ne sait quelle féerique verdure. Ni quel miracle a pu réussir la cuisson d'un émail aussi prodigieux. Des compositions décoratives. La Bohémienne, la Pensée, dont la séduction conquiert tous les suffrages.

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Cette merveille, le Premier Pas, à elle seule représentant une série, dont serait peut-être la Femme au Bouquet de lilas et la blonde aux yeux noirs, parée de sa chemise. Evoquant à la fois, pourquoi? l'inoubliable Maman au Paillasson et au Chat et la Guitariste, sans son pareil, ici, la Femme au Chapeau de paille, une perle: Des pastels sourds, intenses, roux, dorés, somptueux comme les plus pénétrants souvenirs de l'automne.

Jusqu'à tout ce jardin dont seules des femmes jeunes, des jeunes filles fourniraient les corbeilles les chefs-d'oeuvre que sont les plus récentes créations où c'est à Watteau que Renoir s'égale. L'adorablę gynécée! Une seule famille de petites faunesses, Mallarmé le disait, y suffit, brunes ou blondes mais parentes et qui ressemblent à de leurs aînées, diverses et pareilles par le visage rond, le nez en l'air un peu, l'arc des lèvres net et troussé, le fruit des yeux bleu sombre ou les yeux clairs liseuses, baigneuses; qui dessinent, se coiffent, s'habillent, jouent et puis se reposent. Ou encore ne font rien que d'être comme elles plurent ou de porter des chapeaux, ce qui déjà serait un sacerdoce, fées si elles-mêmes eussent noué ces paradoxes, rubans, tulles, coques et riens aussi ravissants que leurs joues. Nues ou vêtnes elles sont aussi nacrées, chatoyantes, ignorent les noirs, se parent de transparences azurées, lilas, se dorent, les rousses, ou bien s'argentent selon des timbres délicats, des accords aigus où s'harmonisent aussi argentins, aussi rutilants, verts et rouges et le bain bleu d'atmosphère des décors de verdure et d'eau ou des meubles. Plus rien que des tons purs et légers, mais leur fragilité subtile est plus émouvante d'une invraisemblable assurance qu'elle a de durer. Non, de se raffiner. Le passé est garant de l'immortalité de ce charme impalpable, comme il nous persuade que les yeux des hommes éternellement seront ravis par les aubes.

D'un mot, il semble, l'œuvre entier d'un des plus adorables entre les grands peintres : une petite part de l'œuvre peinte de M. Renoir.

Toutes ces peintures témoignaient des mêmes recherches, aucune ne démentait l'unique souci. Aucune, nulle part, de ces toiles d'études, peut-être les préférées de l'artiste, où voisinent par dizaines, des teints de fillettes, des mêlées minuscules, des pommes ou bien de

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mignons chapeaux, croquis de couleur, aux compositions colossales, aucune ne le démentira. Mais il faut un effort et le plaisir, même sans l'ivresse, en détourne, pour distinguer l'objet qu'un tel maître, en qui subsiste quelque chose de l'apprenti peintre sur porcelaine qu'il fut moins d'un an, se propose, objet, qui, depuis qu'il travaille, n'a pas varié : obtenir une palette, victorieuse mais ingénue, dont la magie fasse durer éternellement les spectacles de sa prédilection.

Mieux, magie, sans doute aimée, et qui le mérite, pour soi-même. Ce souci là est constant. On le devine dès le début. Longtemps il hésite, tâche à se satisfaire mais les chefs-d'œuvre ne suffisent pas à le contenter. Il va toujours plus avant, vers un éclat blond, une clarté jamais assez translucide. Aucun labeur ne l'arrête, ne décourage sa persévérance et, ce qui émeut davantage, aucun succès. C'est à l'âge où, depuis longtemps, les hommes ordinaires se reposent ou se répètent qu'il triomphe enfin, qu'il est maitre d'une palette assez diaphane et diaprée, assez merveilleuse. Nouvelle, entièrement.

Ni aux plus transparents et plus étincelants émaux qu'ait produits l'Orient, ni aux nacres, ni aux ivoires, ni aux plus fragiles porcelaines, ni aux plus pures fresques d'Italie ni à ses mosaïques elle n'a plus rien à envier. Elle crée des bleus éclatants, des lilas, des rouges et des verts qui, par la suite, s'appelleront le bleu Renoir, le lilas

Renoir, le vert Renoir, le rouge Renoir. Elle a toujours la saveur d'un fruit nouveau mais aussi toujours d'un fruit inaccoutumé. Pourtant elle n'use que d'un tout petit nombre de tons, sans mélanges. Selon une pureté, une simplicité, sauf le génie, inexplicables.

Pour ne rien dire de la joie que le peintre connait à composer, à grouper des formes, à les graver, à emplir un tableau, à enrouler aux doigts des mains, pour la ligne d'un nu, les plus délicieuses arabesques. D'un mot, à dessiner. Parfois, elle accapare son effort. Cependant jamais un morceau qui ne garde inaltérable, l'impalpable fleur, sœur de l'autre, qui fait notre désir des grappes. Mais celle-là s'évanouit entre les doigts qui l'ont cueillie.

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où éclate une

C'est encore en dépit des sottises qui s'objectent preuve nouvelle du génie de M. Renoir que ce soit de ses plus purs chefs-d'oeuvre que sa carrière se couronne. L'ardeur des médiocres, même qu'ils aient été précoces, a tôt fait de s'épuiser. A un tout petit nombre est réservée l'impérissable jeunesse.

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Or, ce n'est pas seulement, en abondance, tant d'objets d'art précieux que son œuvre crée, elle est une source inépuisable de beauté où longtemps pourront se désaltérer les humains ils en sont insatiables.

Non que ce soit une qualité ou une norme qui préexiste en quelque

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pensée, même divine, ou qu'on ait à imaginer un secret qui se puisse révéler et dont quelques-uns soient marqués pour détenir des parcelles. Mais l'avidité de nos instincts qui échauffe la ferveur du désir, et, quand il est satisfait, lui survit, bégaie entre nos misères, et, comme pour oublier l'être, se projette dans le passé, y puise l'espoir. Que ce soit un piège de quelque fabuleuse Nature, déesse qui illusionne les moyens qu'il faut à ses fins, ou plus simplement notre condition, nous sommes doués d'imagination. Nos sensations et leur cortège d'images, c'est trop peu pour elle. Il faut à son ardeur un vocabulaire plus subtil et qui l'étonne, la transporte. C'est de quelques maîtres qui se transmettent le tyrannique prestige de créer des for mes nouvelles que les mortels attendent le secours. Ceux-là si l'on veut, d'années en années, recréent la beauté, ou encore, fournissent des aliments nouveaux à l'avide mais paresseuse soif d'ivresse qui est dans la foule. Renoir est de ceux-là. A quoi le reconnaîtrons-nous? D'abord à ce que quelques-uns qui en ont la divination - choisissez vos meneurs, vos maîtres. Où sont les prophètes? - l'osent affirmer. Puis parce que les images qu'il crée à des images, à des signes se limite le pouvoir humain de créer sont d'une matière durable. Parce que leur nouveauté, si elle ressemble à des nouveau

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