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1806.

couronne, sans consulter la Russie, qui, naguère encore, avoit garanti la ligue germanique; ni la Prusse, si essentiellement intéressée à l'existence de cette ligue ! Certes! on a vu de grandes catastrophes produites par le fléau de la guerre ; mais jamais, au milieu de la paix, on n'avoit osé donner à l'univers un pareil spectacle! >>

(Ici le manifeste rappelle que le prince d'Orange, le beau-frère et l'ami du roi de Prusse, avoit été une des premières victimes de la confédération du Rhin : que le prince Murat, à peine arrivé dans ses états de Clèves, avoit commencé l'exercice de sa nouvelle puissance par s'emparer des abbayes d'Essen, de Werden et d'Elten, qui appartenoient à la Prusse; que les rois et princes de l'empire étoient traités par Napoléon comme les préfets soumis à ses ordres ; que les journaux françois étoient, depuis quelque temps remplis de diatribes infames et dégoûtantes, contre le roi, la reine et la monarchie prussienne.) Le manifeste con

tinue :

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<< Le dernier douté sur les intentions de Napoléon avoit disparu; des troupes de l'intérieur de la France marchoient vers le Rhin; il étoit évident que la Prusse alloit être attaquée; un temps précieux

se perdoit. Le roi fit présenter par le général Knobelsdorf une note renfermant les conditions auxquelles il consentoit à s'arranger. La note resta sans réponse.

« Désormais le roi ne peut confier qu'aux armes l'honneur et la sûreté de sa personne. Il les prend avec un sentiment pénible, parce qu'une gloire qui coûtera des larmes à son peuple n'a jamais pu le tenter. Il les prend avec confiance, parce que sa cause est juste. Le roi a poussé la condescendance jusqu'au dernier point: l'honneur ne lui permet pas d'aller plus loin. Le roi a supporté tout ce qui ne regardoit que sa personne; il s'est mis audessus des jugements de l'ignorance et de la calomnie, dans l'espoir qu'il pourroit conduire son peuple sans secousse à l'époque qui arrivera peut-être tard, mais qui arrivera infailliblement, où l'usurpation trouvera son terme, l'ambition son châtiment, et l'honneur sa récompense.

« Donné au quartier-général d'Erfurt, le 9 octobre 1806. »

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Jéna.

Quatre jours après, c'est-à-dire le 13 oc- Bataille de tobre, les deux armées se trouvèrent en présence dans les plaines de Saxe, entre Veymar et Jena. L'armée prussienne, forte de cent cinquante mille hommes, étoit commandée par le roi en personne : deux

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des plus célèbres compagnons de Frédéric II, le duc de Brunswick et le feldmaréchal de Moellendorf, commandoient sous ses ordres.

L'armée françoise, forte de cent quatre-vingt mille hommes, étoit partagée en sept grands corps que commandoient les maréchaux Lannes, Bernadotte, Ney, Soult, Augereau, Lefebvre et Davoust. Une bataille étoit inévitable, elle devoit être meurtrière et décisive. Des deux côtés on la désiroit avec ardeur; et, ce qu'il y a de plus déplorable, c'est que des deux côtés l'ardeur militaire étoit renforcée par une animosité particulière qu'avoient fait naître et qu'entretenoient des calomnies outrageuses, des railleries amères et d'insultantes provocations.

La bataille eut lieu le 14; un brouillard épais couvrit la terre pendant deux heures, il fut dissipé par un beau soleil d'automne. Les deux armées s'aperçurent à petite portée du canon.

La gauche de l'armée françoise, appuyée sur un village et des bois, étoit commandée par le maréchal Augereau. La garde impériale la séparoit du centre, qu'occupoit le corps du maréchal Lannes.

La droite étoit formée par le corps du maréchal Soult. Elle étoit appuyée et soutenue par le corps du maréchal Ney.

Les Prussiens manoeuvrèrent avec une grande habileté, et se battirent avec leur bravoure accoutumée. Le duc de Brunswick et le feld-maréchal Moellendorf furent blessés. Le prince Louis-Ferdinand de Prusse fut tué : le roi montra tout le sang-froid du grand Frédéric, et tout le courage d'un soldat. Il eut deux chevaux tués sous lui. Toute l'armée fit son devoir; mais rien ne put résister à la furie françoise, qu'on avoit trouvé moyen d'exciter au plus haut degré, par tous les motifs de haine, de vengeance et de cupidité.

Suivant sa tactique ordinaire, Napoléon attaqua et enfonça le centre de l'armée ennemie, et par cette manoeuvre hardie jeta le trouble et l'incertitude dans les deux ailes. Sa nombreuse artillerie, parfaitetement servie, portoit de tous côtés le désordre et la mort. La bataille avoit commencé à neuf heures, à trois heures l'affaire étoit décidée; l'armée prussienne étoit en pleine déroute, et le roi avoit perdu son royaume. Si l'on s'en rapporte au cinquième bulletin de cette campagne, les premiers résultats de cette bataille furent trente mille prisonniers, vingt mille morts, trente drapeaux, trois cents pièces de canon, et des magasins immenses de vivres et de munitions de guerre. Mais il

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Invasion de

la Prusse.

y a évidemment de l'exagération dans ce récit. Le lendemain le grand-duc de Berg cerna et prit Erfurt, où se trouvèrent six mille fuyards et huit mille blessés.

L'empereur ne donna pas le temps à l'ennemi de se rallier. Voulant, avec raison, prévenir l'arrivée des Russes, qui venoient à grandes journées au secours des Prussiens, il ne prit aucun repos. Il alla établir son quartier-général à Poztdam, tandis que ses lieutenants poursuivoient à outrance, et sur tous les points, les débris de l'armée vaincue, tandis que le grand-duc de Berg attaquoit Spandau, que le maréchal Ney bloquoit Magdebourg, que le maréchal Augereau entroit à Berlin, etc.... Il méditoit la conquête de la Pologne. Ses ordres furent suivis avec autant de succès que de ponctualité; tout s'aplanissoit devant ses desseins. En moins de quinze jours, la Prusse électorale tout entière tomba au pouvoir des François.

Pendant le séjour qu'il fit à Poztdam, Napoléon descendit dans le tombeau du grand Frédéric. Nous ignorons s'il y fut entraîné par le désir de rendre hommage à la mémoire d'un héros, ou par un simple motif de curiosité : on lui sut gré de cette pieuse démarche; mais il en gâta le fruit en faisant enlever de ce lieu sacré

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