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pour excuse une doctrine qui admet des controverses. Mais ici ce fut une basse cupidité qui détacha un grand nombre d'ecclésiastiques de leur chef spirituel, et qui les détermina à vendre leur conscience et leurs services au tyran qui les méprisoit. Ils le célébrèrent dans leurs prônes et dans leurs catéchismes, comme l'envoyé de Dieu, l'instrument de ses décrets et le représentant de la Providence sur la terre.

Que l'empereur se fût intitulé pape, muphti ou grand-lama, peu importoit à ces prêtres de Baal, pourvu qu'ils fussent nommés par lui évêques, aumôniers de cour, ou sénateurs. Mais ce qui importoit à l'honneur de la nation, c'étoit que le clergé françois, jadis renommé par ses lumières et par ses mœurs, ne s'avilît pas au point de devenir l'organe et l'instrument de la tyrannie.

Ce qui alarmoit les amis de l'ordre et de la morale, c'est le mépris que cette apostasie faisoit rejaillir sur la religion; c'est la tendance que les opinions religieuses, refoulées dans les consciences par la conduite abjecte des prêtres, prenoient vers un déisme qui n'a besoin ni de culte ni de ministres ; c'est enfin la crainte qu'une guerre religieuse ne vînt mêler ses horreurs à celles de la guerre civile.

1808.

1808.

Invasion

Espagne.

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On ne peut se dissimuler que la religion n'ait perdu une grande partie de son empire, au moins sur l'esprit des hommes (1): mais à qui faut-il s'en prendre, sinon aux gouvernements qui, depuis trente ans n'ont fait de la religion que le jouet ou l'instrument de leur politique; et aux prêtres eux-mêmes, qui, trop dociles aux ordres et aux séductions des puissances de la terre, ont toujours oublié les intérêts du ciel ; et qui, prêchant tour à tour des doctrines contradictoires, ont perdu l'ascendant qu'ils tenoient jadis de leur auguste ministère ?

L'invasion de l'Espagne ne fut pas moins de odieuse dans son principe que celle de Rome, mais fut bien plus désastreuse dans ses effets.

On a peine encore aujourd'hui à concevoir l'étrange aveuglement de Napoléon, dans une entreprise qui fut non-seulement la plus criante injustice de son règne, mais la plus grande faute de sa vie.

Qu'avoit-il besoin de porter la guerre et tous ses fléaux dans un pays depuis longtemps soumis à ses ordres, dévoué même à ses caprices, et dont les trésors, les armées et les flottes étoient entièrement à sa disposition? Il avoit tous les

(1) Allez dans nos temples aux jours de fête; vous y verrez un homme sur dix femmes.

bénéfices du royaume sans en avoir les charges.

C'est de cette faute capitale que datent les premiers symptômes de sa décadence. Il étoit dans l'ordre des choses que le plus grand de ses crimes politiques devînt la première et la principale cause de sa chute.

La cour d'Espagne étoit devenue, depuis plusieurs années, la proie des dissensions domestiques qu'entretenoient à l'envi la foiblesse du roi, l'insolence d'un favori sans mérite, et les intrigues du gouvernement françois. Don Manuel Godoï, duc de la Alcudia, prince de la Paix, gouvernoit le roi, la reine et le royaume, mais étoit lui-même gouverné par Napoléon (1).

Le prince des Asturies n'avoit jamais voulu fléchir sous le favori. De là une haine profonde que celui-ci lui voua, et les persécutions sans fin qu'il lui fit éprouver. Il l'entoura d'espions; il le fit insulter par ses créatures; le retint prisonnier

(1) Le principal mérite du prince de la Paix consistoit dans les avantages qui font les héros de roman, une haute taille, une belle figure, une voix agréable et une grande habileté à jouer de la guitare. Il eut le bonheur de plaire à la reine, et, par elle, au roi. Sa fortune fut rapide. En très-peu de temps, de simple garde-du-corps, il devint secrétaire d'Espagne, duc de la Alcudia, prince de la Paix, allié de la famille royale, premier ministre, et plus puissant que le roi lui-même.

1808.

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dans son palais. Il le représenta au roi non-seulement comme un ambitieux qui ne soupiroit qu'après sa mort, mais comme un parricide disposé à l'accélérer.

Ces horribles imputations produisirent leur effet sur l'esprit du trop foible Charles IV. I ordonna l'arrestation de son fils. Une telle sévérité, qui rappeloit les malheurs de don Carlos et la cruauté de Philippe II, alarma la ville et indigna la cour. Les plaintes arrivèrent de tous côtés; aux plaintes succédèrent les menaces. L'indigne favori eut peur, et fit rendre la liberté au prince, sans pouvoir rétablir la paix ni la confiance entre le père et le fils.

Napoléon, qui favorisoit secrètement ces désordres, et qui paroissoit les voir avec une douleur hypocrite, offrit publiquement sa médiation, afin de les faire cesser et lorsqu'il vit que l'irritation de part et d'autre étoit portée à son plus haut degré, il donna l'ordre à une armée de soixante mille hommes, qu'il tenoit prête au pied des Pyrénées, de passer la frontière et d'entrer en Espagne, avec la seule précaution de tromper les trois parties intéressées par trois versions différentes en disant au roi, que cette armée étoit entièrement à sa disposition, et le défendroit contre les entreprises séditieuses

de son fils; à son fils, qu'elle étoit destinée à le protéger, ou à le venger des outrages d'un insolent favori; et à celuici, qu'elle marchoit en Portugal pour le conquérir et y fonder une principauté héréditaire en sa faveur.

Cependant ne se fiant que médiocrement au succès de cette triple imposture, il crut, en cas d'un mécompte et d'un revers, devoir ménager une retraite assurée à cette armée, qu'il lançoit inconsidérément au milieu d'un peuple endormi, mais qui pouvoit se réveiller. Il s'empara, moitié par ruse, moitié par force, des forteresses de Pampelune, de SaintSébastien, de Roses, de Figuerres et de Barcelonne c'étoit s'emparer de toutes les clefs du pays.

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La conséquence immédiate de ces hostilités, faites sans motif et sans déclaration de guerre contre une nation généreuse, amie et sans défiance, fut de la soulever tout entière. Elle courut aux armes, demanda vengeance, et parut disposée à se la faire elle-même, si elle étoit abandonnée de ses chefs naturels.

1808.

Ceux-ci prirent enfin une attitude plus Confé convenable: ils rassemblèrent des for- rences de Baïonne. ces, et demandèrent à Napoléon une explication, qu'il consentit à leur donner,

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