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thèque pour une obligation non encore contractée prendre une inscription valable sur les biens du débiteur futur? Les jurisconsultes hollandais, et parmi eux Voët, estimaient que l'hypothèque qu'aurait consentie un aubergiste ou marchand de vin, pour le prix des vins qui se récolteraient dans l'année, par exemple, était valable ; mais qu'elle ne pouvait naître qu'au fur et à mesure de la livraison et de la vente consommée de ces vins récoltés; et, en posant en principe qu'une hypothèque pouvait être valablement consentie et inscrite sur des immeubles pour une obligation non encore contractée, ils ne la subordonnaient, comme nous l'avons déjà dit, qu'au paiement pour le trésor de la quarantième partie de la somme dont désignation devait être faite d'avance. Cette condition purement fiscale pouvait lier, jusqu'à un certain point, les parties contractantes, et les amener à réaliser leur contrat; mais elles n'étaient pas moins libres, en souffrant la perte de la somme donnée au trésor, de ne pas réaliser l'obligation.

Parmi nous la législation hypothécaire est essentiellement protectrice des intérêts du débiteur et de ceux des tiers. La spécialité et la publicité de l'hypothèque sont établies par la loi, pour ménager et conserver le crédit de l'un, et veiller à la sécurité des autres; c'est par cette raison que le débiteur ne peut point consentir une hypothèque indéfinie sur ses biens présens et à venir, à moins qu'il n'exprime l'insuffisance reconnue de ses biens présens et libres, pour la sûreté de la créance, cas auquel il peut consentir que chacun des biens qu'il acquerra par la suite, y demeure affecté à mesure des acquisitions (2130); que ses biens à venir ne peuvent être par lui hypothéqués, et qu'il n'y a d'hypothèque conventionnelle valable que celle qui, soit dans le titre authentique constitutif de la créance, soit dans un acte authentique postérieur, déclare spécialement la nature et la situation de chacun des im

meubles actuellement appartenans au débiteur, sur lesquels il consent l'hypothèque de la créance; que l'hypothèque ne peut exister qu'autant qu'elle sera inscrite, et que son existence et son rang datent de cette inscription. Or, le but de la loi, qui est de concilier le plus grand crédit possible de la part du débiteur avec la sécurité des tiers, serait manqué à l'égard du débiteur, s'il pouvait d'avance consentir des hypothèques sur ses immeubles pour des obligations non contractées : facilité qui serait, dé sa part, d'autant plus grande, qu'il ne serait engagé que par une promesse qu'il serait libre de réaliser ou de ne pas tenir, mais qui ne nuirait pas moins essentiellement à son crédit, à l'égard des tiers qui pourraient être trompés par des inscriptions existantes, quoique sans effet, et être éloi gnés de toute transaction avec le débiteur qu'ils croiraient obéré, et qui pourraient, à son gré, atténuer ou anéantir le gage commun de ses créanciers, en réalisant ces obligations futures. Il serait facile, en effet, par une obligation de cette nature faite à un prête-nom, de frauder les créanciers de qui on pourrait emprunter ensuite. V. 1.4, ff. quæ res pign. vel hypoth.; l. 11, ff. qui potiores. Re contrahitur obligatio mutui datione inst. quib. mod. re contr. oblig.

Aussi le texte précis de notre loi rejette-t-il une pareille décision. Il n'y a d'hypothèque conventionnelle valable, porte l'article 2129, que celle qui, soit dans le titre authentique constitutif de la créance, soit dans un titre au thentique postérieur, déclare spécialement la nature et la situation des immeubles sur lesquels on consent l'hypothèque de la créance. D'où il suit que l'hypothèque ne peut point être consentie dans un titre authentique antérieur au titre constitutif de la créance; qu'il faut que cette créance existe avant toute hypothèque'; qu'elle en est la condition essentielle. Comment concevoir qu'un droit accessoire destiné à garantir le sort principal existe par

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l'effet d'une stipulation, quand l'obligation principale n'existe point encore? Ce droit accessoire n'aurait, il est vrai, de date que celle de l'obligation principale, mais enfin, d'après un tel systême, il n'existerait pas moins à cette date, si l'obligation venait à se réaliser sans stipulation nouvelle et par la seule vertu de la stipulation primitive. Non-seulement ce systême serait en contradiction manifeste avec le texte positif de l'article 2129, mais il serait encore renversé par les dispositions de l'article 2134 et suivans, qui donnent à l'hypothèque la date de son inscription, de laquelle dépendent son existence et son efficacité. On serait forcé, en effet, d'arriver à cette conséquence absurde, qu'une telle hypothèque aurait une date antérieure à son existence par l'effet de l'inscription qui en serait faite.

La négative de la question posée plus haut ne saurait donc être douteuse; aussi n'est-ce pas sans étonnement que nous voyons une décision contraire à ces principes dans un article sur les hypothèques, judicieux d'ailleurs, inséré au Répertoire de jurisprudence. En avouant le principe qu'une hypothèque conventionnelle ne saurait exister, si elle n'est appliquée à une obligation contractée, l'auteur de cet article dit qu'il ne faut pas confondre avec ce cas celui où un emprunteur consentirait actuellement une hypothèque, pour sûreté d'un remboursement d'un prêt de 10,000 fr. qui doit lui être fait par un tel, parce qu'il y a dans cette espèce une obligation légitime pour cause de prêt, dont l'existence, ajoute-t-il, dépend de la volonté du créancier, condition potestative qui n'annulle point l'obligation. Mais il n'est point exact de dire que, dans le cas particulier, l'existence de l'obligation ne dépende que de la volonté du créancier; elle dépend aussi, et bien davantage, de celle du débiteur qui est libre de recevoir ou de ne recevoir pas le prêt: elle est donc nulle, elle doit donc être mise au rang des obligations

non contractées, et l'hypothèque consentie pour ce prêt à venir ne peut être valable (1). Il en serait autrement si l'obligation était causée pour un prêt déjà fait; elle porterait la preuve de la délivrance de l'argent, quoique le créancier ne le délivrât que quelque temps après l'obligation, et l'hypothèque ne produirait pas moins tout son effet. Tous les jours on fait des obligations pour des sommes qui ne seront délivrées que quelque temps après, et en un autre lieu; mais l'engagement est déjà formé, et la délivrance de l'argent peut être retardée par quelque obstacle; sans mauvaise foi. (Voyez Domat, lois civiles, liv. 3, tit. sect. art. 4.)

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C'est par suite de ce principe qu'une hypothèque peut être consentie pour un crédit ouvert par un banquier à son correspondant, pour la somme dont celui-ci pourra disposer, et les indemnités d'usage pour fonds mis à sa disposition; la somme garantie par cette hypothèque se determinera par l'usage qui sera fait du crédit. Quoique les fonds, dès le moment de la convention, ne soient pas dans les mains du correspondant, néanmoins l'obligation existe et a une cause suffisante. Un arrêt de la cour royale de Caën l'a ainsi jugé. Il en sera de même de l'hypothèque consentie pour simple ouverture d'un compte courant, ou pour valeur négociable; mais il faut que l'acte détermine les sommes jusqu'à concurrence desquelles les valeurs seront fournies, ou le compte courant pourra s'élever, et la même détermination devrait, ce me semble, s'appliquer au crédit ouvert, au moins dans l'inscription.

246. Cette doctrine est une conséquence du systême de spécialité et de publicité, qui est la base de notre régime hypothécaire. Il faut qu'une obligation existe, tout comme il faut que la nature de l'immeuble soit spécialement dé

(1)· Re contrahitur obligatio mutui datione inst. quib. mod. re contrah. oblig.

terminée, pour que la stipulation d'hypothèque soit valable; mais cette obligation une fois contractée, quelle qu'en soit la nature, qu'elle soit pure, conditionnelle ou indéterminée, devient le fondement suffisant de l'hypothèque. Nous terminerons ce paragraphe en donnant sur ce point de droit quelques développemens que l'interprétation équivoque qu'un écrivain fort estimable a donnée à l'art. 2132 du Code, rend nécessaires :

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247.« Pour que l'hypothèque conventionnelle soit lé«galement contractée, dit M. Persil, il faut que la somme << due soit déterminée ou qu'elle puisse le devenir, et << notre article ajoute que cette détermination doit avoir lieu par l'acte même qui constitue l'hypothèque. On ne pourrait donc pas, après avoir donné une hypo<<thèque pour une somme incertaine, réparer cette omis<<sion par un acte postérieur, et la raison en est que, sui<< vant l'art. 1129 déjà cité, l'obligation principale étant «nulle, l'hypothèque qui n'en est que l'accessoire doit << avoir le même sort. D'après cela, il n'y aurait pas d'au << tres moyens de réparer le vice de la première obliga«<tion que d'en contracter une nouvelle en déterminant <«< la somme due..... Comme on n'exige pour la cons«<titution de l'hypothèque que la fixation de la somme << due, il est clair que cette affectation peut être donnée «< pour assurer l'exécution d'une obligation suspendue << par une condition même potestative.... etc. »

Il résulterait de cette interprétation donnée à l'art. 2132 du Code, qu'il faut pour que la constitution d'hypothė- · que soit valable, que la somme qui pourra faire l'objet de l'obligation soit déterminée par l'acte même sans quoi l'hypothèque serait nulle comme l'obligation elle-même, et que cette omission serait irréparable.

Mais il est évident que c'est là une erreur fondée sur une fausse interprétation donnée aux art. 1129 et 1132 du Code.

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